jeudi 30 décembre 2010 - par Paul Villach

Otages : informer ou garder le secret ?

Le premier anniversaire de l’enlèvement des deux journalistes de France 3 en Afghanistan, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, a donné lieu, mercredi 29 décembre 2010, à des manifestations diverses de la part de leurs proches, de leurs collègues et du comité de soutien que parraine Florence Aubenas, elle-même rescapée d’une séquestration en Irak de janvier à juin 2005.

Les uns et les autres n’en peuvent plus d’attendre. Comment ne pas comprendre leur impatience ? Les assurances rituellement prodiguées par les autorités en charge du dossier ne suffisent plus après un an d’espoirs de libération toujours différée. C’est l’information qui fait défaut, au sens de « représentation la plus fidèle possible de la réalité  » telle qu’on l’obtient quand elle est « extorquée » par enquête auprès d’un pluralisme de sources, écoutes ou infiltration ?
 
On mesure dans une pareille situation tragique le rôle capital que joue l’information mais aussi la contradiction où elle enferme les acteurs : faut-il parler ou bien se taire ? Faire un maximum de publicité autour d’une prise d’otages ou bien garder le secret ? Les deux conduites sont nécessaires et doivent se conjuguer quitte à se contrarier.
 
1- Informer le plus largement possible
 
- Rechercher la plus large audience possible pour faire connaître l’enlèvement et la séquestration d’otages est une stratégie qui paraît évidente. C’est celle où s’est illustrée une organisation comme Amnesty International. On se souvient de sa campagne en faveur des prisonniers d’opinion en 1982. On pouvait lire, incrusté sur la photo en gros plan d’un homme agrippé à des barreaux et fixant des yeux le lecteur, le slogan suivant auquel deux paradoxes donnent sa frappe : « Son crime, penser. Si on l’oublie, il mourra. » (Voir photo en pied d'article) Le second paradoxe qui présente de façon insolite l’oubli comme une cause de mort certaine, trouve sa solution dans la stratégie des groupes ou États tortionnaires : ils recherchent l’ombre et le silence pour accomplir leurs forfaits et offrir en pleine lumière une image respectable à la face du monde.
 
- Molière dans la bouche de Tartuffe a théorisé cette stratégie : « Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait. / Le scandale du monde est ce qui fait l’offense / Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. » En somme, une information n’existe qu’à proportion de l’audience qu’elle rencontre : gardée secrète, elle n’existe pas ; connue de millions de personnes, elle devient affaire d’État.
 
- Appliquée aux crimes des groupes et États tortionnaires, cette règle nuit ou bénéficie à leurs victimes. Des prisonniers oubliés finissent par disparaître dans l’indifférence générale : leur assassinat a-t-il même existé ? En revanche, si leur incarcération est inlassablement dénoncée, il devient plus difficile à leurs tortionnaires de les faire disparaître. Ils acquièrent même la valeur d’une monnaie d’échange qui peut leur sauver la vie.
 
- Le gouvernement de leur propre pays lui-même qui préfèrerait tellement s’abstenir et ne pas s’exposer à des négociations forcément coûteuses et difficiles, est contraint sous la pression d’une opinion en alerte de faire quelque chose. Il semble que ce soit aujourd’hui le cas après les premières admonestations obscènes de certaines autorités françaises qui, avec délicatesse, ont, dans les premières semaines de leur séquestration, fustigé l’imprudence des deux journalistes de France 3 et déplorer d’avance le coût de leur libération.
 
2- Garder le secret de la négociation
 
Cette publicité nécessaire pour mettre en mouvement les monstres froids que sont les États, tortionnaires ou non, et qui n’aspireraient à rien tant qu’à ne rien faire, a cependant son revers.
 
- Un premier effet indésirable est de donner du prix à l’otage et même de faire monter ce prix à proportion de l’audience que son sort suscite dans l’opinion de son pays d’origine, voire dans le monde. Ses tortionnaires sont donc tentés de se montrer exigeants auprès des autorités de l’État qui négocient sa libération, et dont ils savent qu’elles ne peuvent pas décevoir leur opinion sans encourir la sanction de l’impopularité.
 
- Un second effet indésirable est de perturber la négociation. Le secret absolu peut seul garantir la possibilité des échanges qu’elle implique, puisque chaque partie doit pouvoir, par concessions alternées, céder à certaines exigences de l’autre, sans être soumise à la surenchère ou à la censure des ultras de son propre camp qui interdirait le compromis.
 
- Et conformément à la règle énoncée par Tartuffe, une fois l’accord conclu, le secret est le gage de son inexistence puisque personne n’en aura connaissance hormis les négociateurs. Chaque partie pourra ainsi sauver la face et rien du compromis conclu mais connu d’elle seule et ignoré du reste du monde, ne la ternira. La libération des otages sera la seule information diffusée pour la promotion des deux parties en présence.
 
La libération d’otages offre, on le voit, un beau cas d’école où information et secret sont deux stratégies nécessaires qui se complètent tout en se contrariant. La complexité de la relation d’information qu’engendre une telle situation, est sans doute une des raisons qui la rend si difficile à vivre. Il faut que l’existence d’otages se sache pour qu’une négociation s’engage, mais en même temps qu’on ne dise rien des tractations pour qu’elles réussissent. Information et secret sont les deux côtés d’une même médaille et les prodigieuses performances technologiques des médias n’y pourront rien changer. Paul Villach


8 réactions


  • cti41 cti41 30 décembre 2010 10:59

    Bonjour Paul (et tous mes voeux pour 2011)
    Pour moi il est clair que le cas des deux journalistes de télévision otages se résume par « on est jamais mieux servi que par soi-même ». Ce n’est pas de l’information si non on aurait également les photos des autres otages français. Ce matraquage à chaque journal télévisé existe car ce sont des journalistes de télévision. Je pense aux familles de nos militaires tués en Afghanistan dont l’information sur leur mort ne fait que quelques secondes en dixième minute des journaux télévisés après les résultats de natation, la situation en côte d’Ivoire ou la neige. Pour moi c’est scandaleux. Ceci-dit, comme tous, je souhaite que ces deux journalistes retrouvent leurs familles le plus rapidement possible. Christian Contini. http://sites.google.com/site/assogendarmesetcitoyens/


    • Croa Croa 30 décembre 2010 19:19

      Tout à fait, et cette démesure sert la propagande qui désigne les méchants et justifie la guerre. smiley smiley smiley smiley smiley smiley smiley smiley smiley


    • LE CHAT LE CHAT 30 décembre 2010 23:14

      tout a fait d’accord avec toi , Croa ,ça n’avance à rien de nous parler des deux journaleux tous les jours , ça commence à être franchement aussi chiant que l’étaient les larmoiements sur la Bettencourt détenue par les FARC ! ce n’est que de la propagande !


  • CHARLIE 30 décembre 2010 18:01

    de tout coeur avec Hervé et Stéphane...avec tous les otages !


  • CHARLIE 30 décembre 2010 23:23

    TSAHAL est l’armée régulière d’une démocratie, d’un état de droit. Il n’y a pas d’otage en ISRAEL comme il n’y a pas d’otage en FRANCE ou en Angleterre.
    il y a des prisonniers soumis aux lois en vigueur contrairement aux OTAGES FRANCAIS...et autres entre les mains de mouvements « libérateurs » « résistants »...mais surtout TERRORISTES !


    • Croa Croa 31 décembre 2010 09:09

      « il y a des prisonniers soumis aux lois en vigueur » dont pas mal de pauvres types qui auraient plus leur place à l’hôpital qu’en prison !

      En France les prisons sont archi-pleines mais il n’y a là pas de quoi faire une campagne médiatique !

      CHARLIE aussi a une chaîne qui le relie à son perchoir mais tant qu’on le gave de pipasols il répétera ce qu’on lui a appris à dire en merveilleux perroquet qu’il est ! smiley


  • loco 31 décembre 2010 00:58

    bonsoir,

     Je suis le type même du sale con qui a mauvais esprit, et quand je vois tous les lèche-culs de la caste journalistique orchestrer un concert de pleurs de crocodiles sur les pauvres gars qui sont retenus en otages, je me dis que, pour les vœux, par exemple,le SarkoSauveurSuprême va te nous les ramener du fond du désert avec 15 points de popularité.... Bonne année.
     J’espère que je me trompe, mais autant d’ardeur chez les bouffons, ça a forcément un prix...


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