Où va Soral ?
Sa dernière vidéo semble révéler chez Alain Soral une désorientation qu’on espère passagère
En minuscule addendum à l’article Comprendre Soral dans lequel je rappelais que la valeur d’une idée ne dépend pas de la personnalité de celui qui l’énonce — tant je trouvais attristant que le narcissisme d’Alain Soral suscite, par ses excès, des réactions épidermiques et une quasi surdité chez nombre de ses auditeurs — je voudrais revenir ici sur la dernière vidéo enregistrée en février 2016 et diffusée depuis quelques semaines car je la trouve inquiétante. Elle me semble, en effet, révélatrice d’une forte baisse de régime comme d’une surprenante désorientation.
Les grincheux, les haineux et tous ceux qui, pour quelque raison que ce soit, critiquent rageusement Soral voudront probablement se réjouir de voir ici commentées certaines de ses faiblesses mais comme, d’une part, leurs aboiements ne risquent pas de lui porter préjudice et que, d’autre part, j’ai la conviction que tout au long de sa vie on ne lutte, finalement, qu’avec soi-même, je me dis que s’il se trouve quelques parcelles de vérités dans les impressions que je vais livrer, cela sera une bonne chose qu’elles soient énoncées et, peut-être, entendues.
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La première surprise de cette vidéo, c’est l’entrée en matière au cours de laquelle Soral fait de longs et savants commentaires au sujet de trois chanteurs récemment disparus. Comprendre comment l’Empire impacte la sphère culturelle et donc musicale ne manque pas, en soi, d’intérêt mais fallait-il passer une demi-heure sur la question ? On en ressort avec l’impression que Soral a surtout cherché à mettre en avant sa culture musicale et ses capacités d’analyse. Cela aurait pu passer pour un caprice de star anodin si le reste de la vidéo avait été, comme à l’accoutumée, dense et percutant mais, malheureusement, ce ne fut pas le cas.
A l’exception d’une fine et ravageuse analyse de la situation au FN, le contenu de la vidéo m’a, en effet, presque paru ennuyeux ou, plutôt, « déjà vu » et cela ne m’était guère arrivé jusqu’à présent. Les centrations narcissiques et l’autopromotion m’ont semblées omniprésentes et bien que je sache glisser dessus sans difficulté, j’ai eu l’impression qu’on atteignait là des sommets. J’y ai vu une inquiétante insensibilité aux attentes du spectateur.
Le signe sûr et certain que quelque chose n’allait pas était d’ailleurs visible comme le nez au milieu de la figure : il s’agit de ce geste (ce tic ?) mis en illustration que Soral a répété tout au long des trois quatre heures de vidéo et qui consiste à se frotter le menton avec l’index, et parfois aussi le majeur, dans un va et vient horizontal incessant. Je note toutefois que durant l’analyse sur le FN, quand Soral semble avoir retrouvé toute sa fougue, ce geste n’apparaît qu’une seule fois vers 5’36’’.
Que traduit ce geste ? Faites-le et vous en aurez une bonne idée. Il traduit le doute, l’hésitation, c’est un signe de réflexion. Rien que de très banal lorsqu’il s’agit d’un état transitoire mais répété à longueur d’entretien, c’est clairement le signe qu’il y a quelque chose qui cloche.
Et ce qui déjà ne va pas, pour sûr, c’est que personne dans son entourage ne le lui a dit ou n’a pu le lui faire entendre. J’y vois l’indice d’une autocratie de Soral, c’est-à-dire, d’une domination de son entourage telle que nul n’ose le critiquer. En psychologie sociale, on appelle cela le groupthink, c’est-à-dire, un phénomène de groupe découlant du fait que chacun de ses membres se garde d’exprimer des critiques à l’égard du leader et susceptible d’amener de graves erreurs de décision en particulier lorsqu’il impacte un gouvernement.
Quoi qu’il en soit, cet embarras ou cette indécision que l’on peut lire dans la gestuelle de Soral me paraît faire sens si on observe en même temps qu’il ne pointe aucune perspective de lutte, aucun combat à mener, si ce n’est, parce qu’il y est malheureusement obligé, la défense de ses intérêts menacés par les nombreux procès que lui font différentes instances du lobby qui n’existe pas.
En effet rien ne sera dit du nouveau parti Réconciliation Nationale qui (fugacement évoqué dans l’analyse sur le FN) semble mort-né. Probablement ce projet ne pouvait espérer peser qu’au travers d’une stratégie politicienne d’alliance avec le FN qui manquait manifestement de lisibilité pour le commun des mortels et qui — au vu du tableau présenté par Soral lui-même — semble définitivement compromise. Peut-être aussi Dieudonné s’en est-il désolidarisé (vu que dans un enregistrement audio de fin 2015 il semble prêt à tout plaquer tant il se dit écœuré de tout) ?
Bref, Soral me semble à la croisée des chemins. Il a « fait le boulot » consistant à « relier les points » comme disent les anglophones, pour faire émerger clairement la figure menaçante de l’Empire et aider les citoyens égarés que nous sommes pour la plupart à comprendre ce qui nous arrive au lieu de rester chacun le nez collé sur l’un ou l’autre de ces points et en faire le combat de sa vie sans avoir rien compris ni au point en question ni au reste. C’était un sale boulot car dans le contexte actuel il était impossible de ne pas être démonisé. Il a eu ce courage et même si la manière manquait souvent d’élégance en raison de tendances narcissiques le poussant au cabotinage, à la provocation gratuite comme à une incessante et trop souvent vaine conflictualité, les faits n’ont cessé de lui donner raison. Il est devenu, en conscience, une victime du système au sens noble, chrétien et/ou girardien du terme dans la mesure où, pour se faire témoin des violences dudit système, il a pris le risque de les subir. Que cela plaise ou non, quel que soit par ailleurs, l’ambivalence du personnage, il y a là un engagement personnel, une forme de sacrifice de soi qui force le respect.
Probablement peut-il encore éviter la crucifixion, c’est-à-dire, la mise à mort, car le système n’a aucun intérêt à en faire un martyr. Il se pourrait d’ailleurs que la recherche d’une sortie honorable constitue l’objet de réflexion derrière sa gestuelle perplexe. N’a-t-il pas le modèle (mimétique) de Dieudonné qui, lui, semble avoir fait le choix de se ranger des voitures en cherchant à faire la paix avec les représentants du lobby qui n’existe pas ou, en envisageant, à défaut, une radicale prise de distance (voir l’enregistrement signalé plus haut) ?
Toutefois, j’ai peine à croire que Soral puisse songer à rendre les armes car ce serait peu ou prou se renier. Tel que je le vois, son problème viendrait plutôt du fait qu’il n’est pas bon d’avoir été au meilleur de sa forme car ensuite on ne peut que décliner. Or, il est clair que Soral a déjà donné le meilleur de lui-même et que, sauf à radoter, il va devoir se réinventer et, donc, probablement, faire sien ce proverbe tibétain : « quand tu as atteint le sommet de la montagne, continue à monter. »
Quoi qu’il en soit, nul besoin de cette pensée paradoxale pour susciter des abîmes de perplexité chez Soral : l’état actuel de la dissidence devrait y suffire. Il n’est que de voir le contraste entre l’effervescence qui régnait il y a encore quelques années et l’omniprésence actuelle des querelles intestines. Nous voilà amplement désillusionnés et découragés. Tout se passe comme si, tels des petits reptiles mammaliens vivant en marge d’un écosystème largement dominés par les dinosaures (les puissances de ce monde), il ne nous restait qu’à tenter de survivre en attendant une intervention céleste ou une apocalypse — ou peut-être les deux, comme ce fut le cas avec un astéroïde massif à la fin du crétacé — seule à même de bouleverser l’ordre des choses.
Nous avons en effet à envisager l’hypothèse que l’Empire ait déjà gagné [1] et le silence qui obstinément répond de toute part à l’insistante question « que faire ? » me paraît assez probant sous ce rapport. Bref, de quelque manière qu’on veuille l’interpréter, la perplexité apparente de Soral est assez compréhensible. On peut, on doit l’imaginer à un carrefour, cherchant sa voie.
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Bien qu’affreusement mal placé pour donner un avis en matière de combats à mener, si on me le demandait, je dirais qu’une bonne chose que pourrait faire Soral pour sortir de ce qui paraît être une mauvaise passe, serait de rester fidèle à lui-même, sur cette ligne de réconciliation nationale qu’il a su porter haut et fort. Mais, décidément, il conviendrait de le faire en chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, plutôt qu’en rebelle provocateur et vindicatif. Ce qui voudrait dire creuser la veine de la « réconciliation » bien davantage que celle de l’égalité, toujours quelque peu illusoire.
Valeur chrétienne par excellence, la réconciliation reste toutefois une grande méconnue ; il n’est que de voir l’état du monde et l’opulence de ceux qui font profession de semer la zizanie. Elle est d’une exigence extrême pour les protagonistes qui, chacun à leur manière, doivent payer de leur personne. Il s’agit en effet de s’accorder sur la vérité et, donc, en particulier, de reconnaître, se repentir et de réparer ses erreurs ou ses fautes ; attitude responsable et quasi christique qui ne va pas de soi pour un Soral narcissique et fermé à l’idée de repentance pour les raisons que l’on sait.
La réconciliation est probablement le chemin le plus difficile mais sans doute aussi le plus nécessaire. Alain Soral le sait depuis longtemps. Mais aura-t-il le courage de persévérer ? Il pourrait lui en coûter tant ceux qui réclament la paix et la justice ont, au cours du siècle passé, payé un lourd tribu, un écrasant « impôt du sang » qui a de quoi faire reculer les plus téméraires. On me dira que je délire, que n’est pas Gandhi ou Luther King qui veut. Peut-être, mais là n’est pas la question. Elle est juste de savoir si nous sommes prêts à faire ce que nous avons à faire.
Il est vrai que dans ce monde à la renverse où bourreaux et victimes échangent si rapidement leur place, il n’est pas aisé de trouver la sienne. En continuant à nous éclairer comme il l’a fait jusqu’à présent avec le reste de la dissidence, Soral nous serait déjà une aide précieuse, mais saura-t-il se satisfaire de cela ? Sa dernière vidéo laisserait à penser que non. Mais dans ce cas, encore une fois, quelle alternative ?
Il me semble que ressusciter le projet de réconciliation nationale sous une forme moins politicienne et plus fédérative pourrait donner à Alain Soral la stature de leader d’envergure nationale à laquelle il aspire. Une question se pose toutefois : est-il l’homme de la situation ? Pour ma part, je suis convaincu qu’il en a les moyens mais, comme chacun de nous, il a aussi des dispositions qui peuvent le perdre. Seul l’avenir nous dira ce qu’il en a été de son effort de « sculpture de soi. » [2] Mais pour le présent, vu l’état globalement misérable de notre classe politicienne, il est clair que cela aurait du sens.