Polynésie : Déconfiture au paradis
Des décors de carte postale, une desserte aérienne régulière des archipels, un choix de lieux de séjour adapté aux finances de chacun, du bed & breakfast au 5 étoiles en passant par les pensions traditionnelles, et maintenant des vols low cost Roissy Papeete... Et pourtant le tourisme peine à décoller.
Pour comparaison : Hawaï US (1) accueille 8 à 9 millions de visiteurs par an dépensant autour de 15 milliards de dollars boostant l'économie locale, avec des touristes qui reviennent... La Polynésie française reçoit bon an mal an dans les les 220.000 voyageurs (chiffre en diminution par rapport au pic de l'an 2000) pour un budget global de l'ordre de 45 milliards de Francs Pacifique soit 380 millions d'euros. Avec des voyageurs Nord Américains USA & Canada plus nombreux que les Français ! Mais aussi hélas, des gens qui reviennent rarement... Où est le problème ?
La Polynésie française est aujourd'hui plus proche d'un état associé que d'une colonie, avec son assemblée élue, son président, ses ministres, son drapeau et son hymne national. Même si un Haut Commissaire et le Conseil d'État veillent à ce que les lois locales soient conformes à la constitution, les gouvernants disposent d'une large autonomie, en particulier dans le domaine du tourisme. D'ailleurs, conscients de la nécessité de développer ce secteur stratégique depuis que la manne de Mururoa s'est tarie, ils impulsent des initiatives de formation hôtelière ou d'animation culturelle jusqu'à un niveau équivalent BTS. Et les structures d'hébergement bénéficient d'une fiscalité très douce qui ne suffit pas toujours à garder des investisseurs qui, comme partout, s'installent quand il y a des primes à récolter, et plient bagage quand on ne leur donne plus rien.
En outre, la culture polynésienne est ouverte au monde, et il est facile pour un Popaa (européen) de nouer de bons contacts avec les habitants d'un pays où les tensions raciales sont quasi inexistantes, un très grand nombre d'autochtones étant des "demis" (métis). Il suffit seulement d'oublier les critères de la culture occidentale et d'accepter une certaine nonchalance souvent teintée d'une familiarité naturelle.
Certes, les Mao'his ne proposent plus leur femmes et leurs filles aux étrangers... Même s'il s'agissait le plus souvent d'offrir des concubines royales aux explorateurs dont on craignait à juste titre les "bâtons de feu", ou des "Arioi", caste d'artistes partouzards, utilisés pour pacifier les conflits interculturels.
En toute hypothèse, l'entente et la bonne humeur partagées ne sont pas des mythes pour peu qu'on fasse le premier pas.
D'ailleurs il suffit de rappeler l'épisode de "l'Artémise" en 1839 quand Tahiti était sous influence britannique. Ce vaisseau échoué sur le récif de Tairapu fut réparé et remis à flot avec le concours des Tahitiens. Pendant les mois que dura le chantier, ils fraternisèrent avec les Français chez qui ils découvrirent bien des points communs : la spontanéité dans les contacts, une vêture minimaliste, les festins décontractés et le même goût de la fête, de la musique et de la danse. La bringue, le mot est resté. Loin, très loin du maintien méprisant des officiers anglais (Cook fut l'exception) et de la rigidité des pasteurs, engoncés dans leur intolérance et leurs habits cartonnés.
Cet épisode prépara le futur protectorat, mieux que tous les canons de marine, même si aux îles sous le vent d'aucuns se rebiffèrent. (2)
Quoi qu'il en soit, toute la bonne volonté du monde ne suffit plus à rendre attractif un pays qui a longtemps fait rêver... Pour moi, l'entrave principale aujourd'hui est une bureaucratie pesante qui peine à évoluer. Un vestige de l'époque coloniale. Ce que la France a réussi à exporter le mieux outre-mer, pourrait-on dire.
Quelques exemples parmi les plus affligeants :
Les visas des Nord Américains : Alors qu'ils sont les plus dépensiers des visiteurs, et les plus nombreux aussi, on leur accorde un visa de 3 mois, non-renouvelable sur place, quand nombre de retraités ou de "rentiers" (anciens chefs d'entreprises avec des capitaux et/ou des revenus confortables) souhaiteraient rester un peu plus. Certes, la réciprocité est de mise dans les relations diplomatiques. Mais on ne voit pas que si les Américains n'ont pas vraiment besoin de nous chez eux, il serait bon pour nous qu'ils restent plus longtemps, dépensent et investissent au Fenua. Bien sûr des dérogations sont possibles mais les procédures lourdes et lentes s'avèrent décourageantes.
Situation à comparer avec celle les Tinitos, Chinois naturalisés massivement dans les sixties, dont beaucoup ont gardé la double nationalité, et servent de tête de pont aux biens de consommation made in China, mais investissent rarement à long terme.
Le change des devises : À Tahiti, le bureau de change à l'aéroport de Faaa est ouvert le matin et lors des départs internationaux (mais pas aux arrivées !) Et la quasi totalité des banques qui ont pignon sur rue refusent de changer de l'argent si vous n'avez pas un compte chez eux. Mais pour ça, il faut être résident !
Dans les autres îles, la situation est assez floue : il arrive que le supermarché du coin, ou l'agence de voyages quand il y en a une, accepte les dollars et les euros, mais à des taux pas vraiment avantageux (moins 20 à 30% du cours officiel) On peut aussi recourir au black market à ses risques et périls (exercice illégal de la profession de banquier) en changeant auprès de particuliers qui, bien que disposant d'un compte bancaire local, se voient refuser ou limiter la possibilité d'acheter des devises étrangères à leur banque. Or, il se trouve qu'un nombre croissant de Polynésiens fortunés vont passer leurs vacances à Hawaï US. Où le franc pacifique concurrence la roupie népalaise.
Alors, penserez-vous peut-être, il y a les cartes bancaires. Oui mais...
Le système bancaire : Aussi étrange que cela puisse paraître dans notre monde numérique, alors que la 4G fibre optique se généralise en PF, les DAB (quand ils acceptent une Visa ou une Master card étrangère) limitent le montant des retraits en dessous de ce que votre compte permet, et ne vous acceptent à nouveau que 3 ou 4 semaines après. Or dans la majorité des îles, on paye tout en espèces, les petits commerces et les pensions de famille étant rarement équipés de terminaux bancaires.
Pour les visiteurs qui n'ont pas pris un package voyage + hébergement et n'ont besoin que d'"argent de poche" pour le bar et les souvenirs, c'est jouable. Mais ceux qui préfèrent musarder entre les îles, au gré des rencontres et de leur inspiration, se retrouvent très vite à court de numéraire. On ne compte plus les dépités obligés d'avancer la date de leur vol retour. Autant en moins pour l'économie locale.
La philosophie des dirigeants : S'ils semblent avoir compris l'intérêt d'accompagner et de subventionner le développement du tourisme, les hiérarques marchent souvent à côté de leurs savates.
Seuls semblent vraiment les intéresser les établissements 5 étoiles, hôtels ou villages de vacances, dont le summum serait l'atoll privatisé pour milliardaires genre Tetiaroa ou Nukutepipi. Avec un alibi écologique indiscutable : comme les ultra riches sont peu nombreux, ils abîment moins la nature que le populo, il fallait y penser !
Après tout pourquoi pas des happy few si ça faisait tourner l'économie ? L'ennui est que plus de la moitié des structures de luxe ont fermé au cours de ces 10 dernières années, abandonnant des ruines aux intempéries et à la végétation, quand les survivants tournent à présent au ralenti. Bradant leurs prestations haut-de-gamme pour ne pas déposer le bilan.
Aujourd'hui 90% de l'hébergement est concentré sur Tahiti, Moorea et Bora... Cela ne favorise guère les escapades aventureuses, indispensables pour crever la barrière dressée par les tour operators et leurs packages, entre les voyageurs et les autochtones.
Quant aux paquebots de croisière sous pavillon étranger, en les favorisant on tire une balle dans le pied des charters et des cargos mixtes locaux. Même si ces immeubles flottants drainent 20% des visiteurs, ce sont aussi de gros pollueurs.
En conclusion, le bon plan pour les Français et autres Européens pourrait associer un vol charter Roissy-Papeete autour de 1000 € maintenant, pas besoin de visas, et une hôtellerie haut de gamme à peine plus chère qu'une pension de famille.
Un circuit inter insulaire sur plusieurs semaines, avec hébergement dans des pensions du bout du monde, est aussi une option valable pour ceux qui ne veulent pas voyager idiots, cantonnés dans une seule île entre les paillotes, la piscine, le bar et des spectacles calibrés et édulcorés. À condition de changer tous ses euros à la descente d'avion et de les conserver entre peau et chemise car si les agressions violentes sont rares, les rats d'hôtels sont une plaie récurrente.
(1) Précision utile : Hawaï ou Hawaïki représente l'âge d'or dans la mythologie maorie et de nombreux lieux et îles portent ce nom ou un dérivé phonétique. Par ironie, on a aussi donné ce nom à la prison de Raiatea, c'est dire la sévérité des conditions de détention.
(2) Aux îles sous le vent (et tant pis si ça fait grincer des dents) la France est aussi légitime que les Chinois au Tibet, les Turcs à Chypre ou les Russes en Crimée. L'ONU nous le rappelle régulièrement. En effet, les traités de 1842 et 1880 avec les Anglais permettaient de coloniser les Marquises et les îles du vent, mais garantissaient l'indépendance des îles sous le vent. Malgré cela, en 1887, le dernier des Pomaré (roi de Tahiti) dépressif et alcoolique, vendit à la France les îles sous le vent sur lesquelles il n'avait aucune juridiction. Les Anglais, inquiets des prétentions germaniques dans le Pacifique, s'accommodèrent de la situation.
Ouvrages suggérés pour mieux s'imprégner du décor et de la culture :
Victor Segalen – Les immémoriaux
Alain Gerbault – Îles de beauté