Populisme, « fake news » et régression sociale
On assiste de nos jours en France mais aussi dans nombre de pays d‘Europe à la consolidation d’un système pervers qui profite de l’espace démocratique pour en réduire la jouissance. On ne célèbre jamais autant les libertés mais on multiplie les entraves à leur exercice avec un arsenal législatif qui vise en fait à en limiter les effets indésirables ou supposés tels. C’est Valls, ex-Premier-misitre socialiste qui, avec un appuyé coup de menton très caudillesque, veut faire rendre gorge à Médiapart, coupable de propager de mauvaises nouvelles !
L’émergence de cet activisme d’essence néo-libérale a contaminé non seulement la Droite traditionnelle mais aussi la Gauche supposée.
Son émergence a coïncidé avec la conquête du pouvoir par Madame Thatcher et le président Reagan.
L’idéologie avait été pensée au niveau économique par les disciples de l’École de Chicago * et elle fut mise en œuvre au moment où la première crise pétrolière faisait supporter aux états le coût de leur imprévoyance en accélérant le processus de désindustrialisation qui faisait augurer la nouvelle division du travail appelée ultérieurement mondialisation.
Dans beaucoup de pays ( comme au Chili après l’assassinat d’Allende ), champs d’expérimentation des nouvelles orientations économiques de Milton Friedman, les libertés démocratiques furent abolies qui constituaient un frein à leur mise en œuvre, sans que l’on sache d’ailleurs bien si les thèses monétaristes ont profité de l’espace abandonné par les libertés publiques ou si elles ont été à l’origine de l’effacement de le démocratie.
Sous nos latitudes, la parole est restée libre mais c’est « cause toujours » qui est devenu la norme…
Les chiens aboient et la caravane des réformes ( ce vocable vise à donner une connotation positive à des processus de retours en arrière sur le plan social ) passe.
De cette mise en condition des esprits – qui a pris différentes formes dont la société de consommation n’est qu’un des aspects - découle l’environnement qui est aujourd’hui le nôtre.
Tant la Droite que la Gauche dite socialiste se sont converties ( avec des nuances microscopiques pour les différencier ) à cette sentence énoncée par Madame Thatcher « there’s no alternative » et reprise à mots plus couverts par Tony Blair.
En tout état de cause, dès les années 90, les partis sociaux-démocrates s’étaient persuadés que le néo-libéralisme était l’avenir de l’homme et qu’il fallait s’en accommoder voire se l’approprier en essayant de réduire au mieux ses effets dévastateurs.
L’économie financiarisée a connu différentes crises, en effet arrivent immanquablement ces moments où la richesse fondée sur la spéculation, le casino permanent et par conséquent le vide en terme de répondants fait « pschitt ».
Le krach de 2008 fut la plus violente, mais jamais les leçons n’ont été tirées durablement des causes qui produisaient et reproduisaient toujours les mêmes désastreux effets.
Les États dont les néo-libéraux condamnaient l’interventionnisme furent bien évidemment appelés à la rescousse du gangstérisme financier pour actionner en faveur du secteur bancaire la planche à billets.
Ils ont ainsi approfondi leur endettement ( ce qui offre maintenant l’avantage de culpabiliser la population ) non plus pour investir dans des projets d’avenir c’est-à-dire l’amélioration de structures dont nos enfants pourront avoir la jouissance mais bien pour renflouer la Haute finance qui avait vu fondre des dizaines de milliards de dollars dans ses jeux de casino.
La prétention à réduire le rôle économique de l’état n’empêche donc pas d’en ponctionner les ressources pour assurer de confortables profits aux acteurs du mécano financier qui a repris de plus belle jusqu’à la prochaine secousse ; ils gagnent ainsi à tous les coups pendant que les peuples soumis à de multiples prélèvements plus ingénieux les uns que les autres s’appauvrissent.
La monopolisation des médias détenus par les protagonistes du jeu laisse filtrer entre autres balivernes la même petite musique avec des variations de tons mais sur un même thème : « il n’y a pas d’alternative ».
Le bon peuple, en quelque sorte rééduqué par les médias dominants, est déboussolé au sens propre ; il ne sait plus où donner de la tête, il s’égare dans des voies sans issue et à l’analyse beaucoup préfèrent les incantations et le sacrifice du bouc émissaire par qui arriverait tout leur mal-être
Les gens sont mis dans l’incapacité de comprendre car on leur cache la vérité.
Par exemple que ces vagues de réfugiés sont elles aussi les produits des mêmes causes qui les prennent eux-mêmes en otages.
La valse périodique des semblables comme proconsuls du grand capital stimule sans doute les Médias mais n’apporte nulle part le baume qui guérirait la nation de ses maux.
D’alternance en alternance l’étau se resserre qui rend de plus en plus illusoire le champ des libertés réelles.
Macron, dernier promu, se laisse tenter par le gouvernement par ordonnance. Il n’est évidemment pas le premier mais il affiche ouvertement son appétence d’un pouvoir plus vertical, soucieux de ne pas se laisser enfermer dans un système de concertations qui devraient logiquement aboutir à un consensus où chacun perd un peu de sa superbe pour un équilibre dont le pays tout entier devrait se féliciter.
Ce système hybride de démocratie teintée d’autoritarisme avec un parti rassemblé sur la défense du chef davantage que sur un modèle idéologique qui est, lui, savamment occulté ( le néo-libéralisme décomplexé ) n’est au fond que l’ultime avatar de ce « gadget » pensé aux USA ( où il prétendait répondre à une nécessité historique ).
En Italie le peuple est totalement désemparé et cherche maintenant des réponses là où il n’y a que le malheur à attendre.
Les résultats du dernier scrutin y ont été caractérisés par l’effondrement des formations traditionnelles, elles-mêmes déjà fort mâtinées d’opportunisme libéral depuis des décennies et ayant abandonné toute référence idéologique comme, par exemple, le parti Démocrate supposé être, du moins en partie, l’héritier du PCI qui, avec Renzi, s’était macronisé ( avant la lettre ) dans un contexte où cette voie ne correspondait déjà plus à rien et qui a conduit cette formation au désastre..
Gramsci doit se retourner dans la tombe qui a vu ses héritiers plutôt que de convaincre s’être laissés subvertir.
Cet effondrement des formes traditionnelles de représentation politique a fait place à des magmas informes mais au moins d’accord sur une chose : la prééminence du système de prédation capitaliste associée à la mise sous coupe réglée des structures de l’état.
Le résultat de l’acharnement de ces voltigeurs de haut vol à détruire ce qui tenait lieu, plus ou moins bon an mal an, de contrat social a donc débouché sur l’apparition de toutes les formes possibles et imaginables de contestation dont les expressions les plus farfelues ont fini par acquérir droit de cité.
On peut légitimement s’interroger sur les ressorts qui expliquent de telles attitudes.
Disons-le tout net, si le peuple se reconnaît dans ces mouvements dits populistes, il faut d’abord en chercher les raisons dans ce qui alimente sa grogne et qui est légitime.
Populiste n’est pas un gros mot même s’il est acquis que le peuple a tort pour tous les beaux esprits qui partagent en commun le pire des défauts en politique l’imprévoyance et l’impunité que donne la force de l’inertie.
C’est en réaction au fait d’avoir été dupés pendant des décennies que les gens en viennent à accepter de lier leur sort à des théories fumeuses et régressives qui font croire que l’histoire peut aussi sans dommage prendre les chemins de la nostalgie.
En France, ceux qui ont choisi le Front National au premier tour des Présidentielles ont ainsi donné au nouveau Messie en charge du pays le coup de pouce nécessaire à sa flamboyante carrière.
La colère leur a été très mauvaise conseillère qui aurait dû les inciter à faire le choix d’un candidat partageant leur volonté de tourner la page sans tomber dans la caricature.
Ce dernier n’aurait peut-être pas abouti dans son entreprise, du moins aurait-il essayé de réussir l’impossible.
* L'École de Chicago est une école de pensée économique appartenant à la vision libérale de l'économie. Elle est généralement associée à la théorie néoclassique des prix, au libre marché et au monétarisme ainsi qu'à une opposition au keynésianisme. Son nom vient du département d'économie de l'Université de Chicago dont la majorité des professeurs et élèves se rattachent à cette école de pensée. L'école de Chicago est symbolisée pour le grand public par la figure de Milton Friedman ( source Wikipédia)