mardi 4 avril 2006 - par Bernard Dugué

Portait de la France du CPE à travers quelques évocations historiques

« Chez nous, les gens jouissent abondamment et frénétiquement de toutes les libertés sans même daigner s’apercevoir qu’ils ont là un privilège rare en Europe. Ce ne sont que discussions, meetings, conférences, objections, répliques, ratiocinations sur des pointes d’aiguilles, luttes sociales, grèves réitérées, menaces, réclamations et protestations, fermentation en vase clos, discours contradictoires, polémiques de presse, tant et si bien que la volonté nationale, perdue en mille canaux divergents, ne parvient pas non seulement à s’exprimer, mais à prendre conscience d’elle-même. Nous dévoilons à chaque instant notre jeu aux étrangers avant même de nous en être formé, pour nous-mêmes, une idée claire.

 

En Allemagne, au contraire, le peuple est comme un grand réservoir aux eaux mornes et silencieuses dans lequel des dirigeants habiles versent à leur gré des teintes de diverses couleurs et sur lequel ils projettent quand il leur plaît certaines lumières fantasmagoriques. Point de journaux au sens réel de ce mot, point de parlement, point de parlotes, point de tiraillement de l’opinion, maintenue, de la manière la plus absolue, au pas de l’oie.

 

Chez nous c’est la pétaudière, mais cette pétaudière est amusante et il est malgré tout fort distrayant d’y vivre. En somme, nous système de démocratie un peu anarchique est un système de paix ; il convient aux époques heureuses mais ne convient qu’à elles. La tranquillité du monde serait moins menacée si cette méthode de gouvernement prévalait partout. Mais les Allemands, eux, ne considèrent pas que l’époque actuelle soit heureuse (...) Ici c’est l’annihilation de toutes les velléités individualistes devant l’intérêt national. Cette compression maintient les citoyens dans une attitude perpétuelle de subordination à l’égard d’une doctrine conçue en secret et réalisée quand il le faut avec la rapidité d’un coup de surprise » (Naudeau, "Autour d’un discours", L’Illustration, 26 février 1938)

 

 

Ces lignes sont extraites d’un long article de Ludovic Naudeau, belle plume, grand reporter dans les années 1910-1940 et sur ce coup dépêché en Allemagne. J’ai choisi ce propos liminaire ayant valeur de contextualisation, avant que Naudeau n’entre dans le vif du sujet et ne narre en détails l’atmosphère toute spéciale pendant le discours de Hitler à la tribune du Reichstag le 20 février 1938. La comparaison entre la France et l’Allemagne est saisissante, et si cette dernière a considérablement changé après la guerre, notre pays semble avoir conservé quelques traits de cette époque, si bien décrits. Le début des lignes citées pourrait très bien s’appliquer à l’agitation politique récente, celle du TCE, et présente, celle du CPE. On doit y voir un trait spécifique de la culture française, cette propension à vouloir discuter sans compter, au risque de privilégier l’incohérence, au détriment de l’efficacité dans l’action. Mick Jagger l’avait également constaté, alors qu’un groupe gauchisant avait sollicité le droit d’utiliser le micro quelques minutes avant le concert des Stones. C’était en 1970. Pour revenir à la situation actuelle, on notera cette évocation de la pétaudière idéologique comme expression d’une gaieté française, appropriée en temps de paix mais problématique quand le conflit se prépare. En 2006, l’ère des conflits est achevée en Europe. De guerre il ne reste que l’économique. Adoptant un constat à la Naudeau, les réformistes et autres pragmatiques dénoncent cette division alors que la France devrait se serrer les coudes pour affronter la mondialisation en adoptant les mesures nécessaires pour suivre le cours économique du monde. Alors que l’Allemagne est gouvernée par une alliance CDU et SPD et que son peuple semble accepter comme inéluctable la "flexibilité précarisante", une France, éprise de son histoire, a décidé de dire non, et d’assumer le symbole de Michelet autant que l’héritage de la Révolution, de Mai 68, du catholicisme social. Qui ne voit pas dans ces symboles le ressort culturel de ces événements ne comprend rien à l’histoire, qui ne saisit pas dans le CPE un symbole pris comme cible par les classes populaires ne voit rien du présent.

 

 

Une chose est certaine, on ne se comprend jamais mieux que par le reflet des autres. Naudeau, en grand reporter, savait capter les subtilités des peuples, fortement accentuées au début du XXe siècle, avant que le moment individualiste ne vienne aplanir les différences, dans les années 1960-70. Il a fallu le fameux livre de Paxton pour que la France comprenne la période de Vichy, alors que récemment, un livre d’une universitaire américaine a livré quelques impensés de Mai 68, sans oublier Théodore Zeldin, fin connaisseur des subtilités de la culture française avec ses raffinements et autres codes d’alcôves. Moins connu que Paxton mais plus profond à mon sens, le fin connaisseurs des littérature européennes, Curtius, publia en 1930 un Essai sur la France (réédition chez L’aube) dont certaines lignes sont d’actualité pour comprendre le passé récent et notre présent. Voici un premier extrait du livre de Curtius tiré du chapitre sur le génie français. Chacun appréciera à la lumière de l’histoire récente de la France, autour de quelques événements.

 

 

« Un autre trait qui découle du caractère de la maturité de la civilisation française, c’est sa prédilection pour l’âge adulte. La France n’a pas, comme la Grèce ou l’Allemagne, une image idéale du jeune homme. Elle est adulte, dans le sens où l’était la Rome antique. "La France méprise la jeunesse", écrit Jean Cocteau, "sauf quand elle s’immole pour sauvegarder la vieillesse. Mourir est un acte de vieux. Aussi, chez nous, la mort seule donne du poids aux jeunes. Un jeune qui rentre de la guerre a vite perdu de son prestige. Il redevient suspect." Dans les domaines de la littérature et de l’art, les jeunes sont appréciés, et même commercialement exploités, mais cette tendance nouvelle date à peine de la fin du XIXe siècle [...] Les qualités que la civilisation française prise le plus, sont celles que l’on n’acquiert qu’à un âge avancé » (Curtius, p. 313-314).

 

 

Ces lignes écrites en 1930 sont-elles d’actualité ? Y a-t-il dans notre pays non pas un mépris, mais une sorte de malentendu avec la jeunesse, une certaine jeunesse, pas celle qui entre à Polytechnique ou à l’ENA, se met au garde-à-vous et déjà, raisonne comme la vieillesse, et se prépare à servir sous les ordres d’un Etat gouverné par les anciens ? L’Assemblée nationale est certes une représentation nationale, mais pas une représentation sociale. Deux composantes font défaut, les femmes et les jeunes. Les phrases de Cocteau raisonnent puissamment, évoquant à travers l’immolation de la jeunesse à propos de la guerre ce qui paraît être un trait culturel français. Dans les campagnes, celui qui, parmi les fils, travaillait à la ferme était mieux considéré, parce qu’il assurerait non seulement la pérennité de l’exploitation mais aussi les services à ses géniteurs. Le 30 mars, sur les ondes de France Inter, la démagogue Ségolène Royal a cru bon de flatter cette jeunesse qui, selon ses sources, serait prête à aider les personnes âgées. Un coup les jeunes sont loués, un autre ils sont déconsidérés, et même considérés comme source de dangerosité, « excepté les élèves des Grandes Ecoles ». Et Mai 68, qu’en a-t-il été de cette révolte de la jeunesse ? Là aussi, une sorte de mépris larvé de la part des anciens, et le refus d’entrer dans la société avec le fardeau d’un sérieux et d’une froide perfection propres à l’adulte. La France ne sait pas apprécier sa jeunesse, voilà ce qui semble être un motif perdurant, et comme la société s’est transformée économiquement en exigeant de la "casse sociale", elle a fait payer à la jeunesse un lourd tribut. Les solutions inventées n’y ont rien fait. Le pédagogisme et le collège unique se sont retournés contre la jeunesse (une partie) selon le très connu principe des effets pervers. Toujours est-il que le CPE soulève à nouveau la réaction de la jeunesse. N’aurions-nous rien appris du passé ?

 

Certains s’imaginent rendre compte de la situation en une formule du genre : "En 68, les jeunes voulaient changer la société, maintenant ils cherchent à y entrer." On se la passe d’analyse en analyse, et pourtant, cette formule n’explique rien. Non, il n’y a pas d’opposition si grande entre les deux périodes. Différence de motif, oui, mais le ressort, c’est l’émancipation de la jeunesse, par la voie activiste et politique il y a trente ans, par l’activité professionnelle et l’accès aux moyens de consommation actuellement. Et ce CPE est reçu en travers de la gueule comme le symbole d’une émancipation sélective. Et le 28 mars 2006, dans les défilés, n’étions-nous pas tous « jeunes » un peu, comme après le 11 septembre, nous étions Américains ?

 

 

Parmi les traits culturels spécifiquement français signalés par Curtius, il y en a un qui résonne avec cette actualité du CPE, c’est, dans un cadre de passions des Français pour leur histoire et leur passé, l’opposition entre deux tendances très puissantes et se renforçant l’une et l’autre, le traditionnalisme et le radicalisme (à interpréter comme progressisme et, dans le cas présent, comme son avatar adouci qu’est le réformisme) : « Plus la tradition et le culte du passé sont forts, et plus doit être puissante la tendance adverse qui s’efforce d’en briser le joug » (p. 326). Ce schéma de Curtius s’applique parfaitement aux événements actuels et en premier lieu, aux renforcements des tendances opposées conduisant à l’épreuve de force terminale dont le verdict dépend de la décision de Chirac le 31 mars et de la semaine de mobilisation qui s’ensuivra. Qui sont justement ces deux camps ?

 

D’après les analystes se réclamant du réformisme (les libéraux mais aussi Kouchner et Rocard), la gauche socialiste, communiste, syndicaliste, les étudiants anti-CPE, la LCR, sont catalogués dans le camp des traditionalistes car ils revendiquent le maintien de l’emploi surprotégé sur fond de modèle social et d’Etat-providence, plaçant alors la France dans une situation singulière, notamment vis-à-vis des nations anglo-saxonnes qui ont largué les amarres, reléguant le New Deal de Roosevelt au rang d’antiquité. Face à ces prétendus traditionalistes épris de luttes sociales et d’avantages acquis, Sarkozy et Villepin incarnent la rupture, l’avenir, le réformisme, chacun à sa manière et tentant de l’afficher en agissant conformément aux leviers et prérogatives de son positionnement dans l’appareil d’Etat, l’un à l’Intérieur et président de l’UMP, l’autre à Matignon. Pourtant, nos deux compères du réformisme présentent eux-aussi quelques archaïsmes. Villepin ressemble aux dirigeants autoritaires du passé, avec cette fameuse formule d’une France qui veut se faire prendre et son côté très romain. Sarkozy, accusé de néoconservatisme par la gauche bien-pensante. Et pour revenir au camp anti-CPE, on notera cette volonté de la société civile de ne pas se laisser imposer des mesures contraires à un certain esprit du travail, et peut-être de s’impliquer dans une vie politique marquée par une défiance des gouvernés vis-à-vis des élites. C’est à se demander s’il n’y aurait pas deux ruptures conservatrices face à face. Et si tel était le cas, alors il faudrait que la société civile puisse inventer sa rupture, prendre conscience de son pouvoir et de sa capacité à innover que certains lui dénient, et se doter d’un mouvement ou d’un parti, peu importe, mais suivre l’exemple de 1995 qui a vu l’émergence de nouveaux syndicats, dont SUD.

 

Toujours est-il que le CPE est devenu un symbole, celui du réformisme pour les uns et celui de la lutte contre la précarité et le déséquilibre des situations pour les autres. Les partisans du CPE n’ont-il pas déclaré que si ce texte ne passe pas, la France sera définitivement incapable de la moindre réforme, alors que les opposants pensent que si le CPE passe, il entraînera une réforme de plus grande ampleur du Code du travail, faisant jouer à ce contrat le rôle d’un cheval de Troie ?

 

 

Pour finir, un peu d’histoire-fiction. « L’âme française semble avoir enregistré l’expérience selon des schémas qui appartiennent à la maturité de la vie. Ses origines sont marquées par l’absorption de la culture romaine de basse époque (...) L’expérience spirituelle collective ( ...) n’est pas due à une confrontation élémentaire des forces de la vie mais à une adhésion aux forces éducatrices de Rome (...) Les Gaulois romanisés ont repris à leur compte une culture toute formée et déjà nettement définie (...), la civilisation romaine est elle-même une culture secondaire, née de l’adoption du monde intellectuel de la Grèce et de son adaptation au monde italique. La civilisation française est donc secondaire (...) La France peut revivre en elle-même Rome et l’Antiquité (Curtius, p. 298, 299).

 

 

Cette fronde anti-CPE n’est-elle pas une énième tentative pour le peuple français d’affronter cet héritage de Rome, après 1789, 1830, 1848, 1971, 1936, 1968, pour autant que tous ces événements puissent relever de ce schème interprétatif ? Enième crise, oui, c’est certain, et même crise de grande ampleur, différente de Mai 68, ou plutôt qui la dépasse. Crise de civilisation, dit-on. Sur ce point, la comparaison avec la fin de l’Ancien Régime, du Second Empire ou de la Troisième République semble s’imposer. Ce procédé est facile et reste flou sans une analyse précise des situations historiques et présente. D’autant plus que l’ère de la technique, l’importance des médias, l’achèvement de l’individualisme démocratique limitent les jeux de miroir trop faciles. N’empêche que l’idée d’un archétype français hérité de Rome se prête à une méditation pouvant aboutir vers de l’histoire-fiction quant à la compréhension de ce que signifie affronter Rome et le cas échéant en sortir. Belle allégorie que ce peuple français destiné à se libérer de l’Etat impérial, à l’image du peuple d’Israël sortant d’Egypte. Cet exercice allégorique n’est pas sans risque. On sait ce qu’il en est du messianisme occidental et du prophétisme. Ou bien on en meurt, s’il s’accomplit dans les totalitarismes, ou alors on en meurt, mais de rire, tant ce type de discours peut virer au comique. En fin de compte, le peuple français n’a pas vraiment le désir de se libérer de l’emprise de l’Etat. Qu’en est-il de cette libération ?

 

L’ère des grands récits est achevée, selon la formule devenue classique de Lyotard. L’histoire a déjà donné. De plus, défaire Rome symbolise plutôt une régression vers les anciennes formes de société avec leur organisation religieuse, tribale, traditionnelle, où chacun porte le fardeau du lien social. C’est d’ailleurs le constat de Marcel Gauchet. Notre liberté dans l’Etat moderne démocratique nous affranchit en nous dispensant de nous interroger sur les institutions qui garantissent cette liberté à exister sans ce fardeau du lien, mais cet état de fait présente un risque, celui de délaisser la vie civile, d’oublier les autres, et de laisser se déliter l’Etat.

 

 

En fin de compte, cette révolte de 2006 contre le CPE ne peut que laisser un goût amer par son caractère ambigu. Les motifs des uns et des autres ne sont pas très glorieux, mais la légitimité fait basculer le camp de l’opinion publique du côté des anti-CPE, avec une bonne partie des intellectuels. Donc aucune histoire-fiction, aucun royaume ou nouvelle Jérusalem à venir, mais plutôt un sentiment plus ou moins légitime d’injustice sociale à travers un contrat instituant une ségrégation sociale sur fond de ressentiment généralisé à l’égard d’un monde où les profits exagérés s’affichent dans les médias. La conjoncture est plutôt de type marxienne, mais dans la variante Liebknecht, c’est-à-dire conflit au niveau de la distribution, autant des revenus que des droits. Profit faramineux d’un côté, de l’autre précarité, insécurité et pauvreté. Dans une société où chacun veut accéder à un niveau matériel, construire un projet, s’émanciper, il faut équilibrer les droits, les accès au travail, les revenus. Sur ce point, il y a eu fracture et les Etats ne savent plus trop comment réformer en soignant les uns, les autres, en se souciant de la croissance, car plus il y a à partager, mieux cela se passe, enfin, c’est ce qui est admis par la majorité des politiques. Mais la croissance, d’une part, elle ne résout pas tout dans une société, et d’autre part, rien ne dit qu’elle puisse être à la mesure de ce que souhaiteraient les économistes pour satisfaire les individus.

 

Ainsi, se soucier de la croissance comme le fait Christian Blanc par exemple, c’est adopter une analyse matérialiste de la société, bref, sous des apparences réformistes, c’est d’un archaïsme redoutable, renvoyant aux analyses marxistes de la philosophie des années 1960, analyses dont la pensée politique a su se démarquer depuis quelques décennies. Comme l’a montré Marcel Gauchet, l’économique ne fait pas tout, et le politique, l’Etat, a aussi son rôle dans l’émancipation des individus, sans côté le spirituel et le religieux dont on peut dire qu’ils servent aussi à la réalisation des sociétés et des individus. Reste à inventer cette nouvelle société en nous appuyant sur l’édifice et l’héritage de Rome, mais aussi en puisant dans les ressources de la spiritualité. Le religieux est aussi source de lien social. Le religieux ne se réduit pas aux religions. C’est un mode d’existence, un partage, une vibration d’êtres sur des fréquences harmoniques... à la limite du mystique, oui, mystère d’être ensemble, un univers à inventer, si nos sociétés tiennent bon.

 

 

Justement, pour revenir à Rome, on sait que l’effondrement n’a pas eu lieu, plutôt une décadence orchestrée par une classe aristocratique de loisir asservissant le peuple, avec des institutions vieilles de plusieurs siècles et transmises en héritage, l’ensemble associé à un réveil spirituel mu par le christianisme alors que les barbares s’employaient à semer le chaos pour ensuite s’installer eux aussi dans les demeures aristocratiques. Cette évocation se superpose-t-elle avec l’actualité ?

 

La France, entre déclin et dynamisme, décadence et réveil culturel ? L’Etat et le politique restent inflexibles, avec leurs institutions et bâtiments, mais la politique ressemble à une mise en scène, un mauvais vaudeville, une pièce de théâtre mal écrite, et l’histoire, une épopée comique qui aurait inspiré l’ennui à un Cécil B. de Mille ; rien que des figurants, quelques seconds rôles, scénario insipide, absence de stars et autres héros. Pour digérer la sortie de crise, DDV aurait dû offrir une place de cinéma ou un DVD à chaque Français, mais au fait, lequel des DDV ? Matignon ou l’inculture ?

 

 



10 réactions


  • (---.---.63.52) 4 avril 2006 13:14

    Bonjour, c’est Yves.

    Tiens, aucun commentaire encore ? comme c’est bizarre.... peut-être tout le monde s’est-il endormi à la lecture de cet article.

    En tous cas, je suis d’accord avec vous sur un point : je cite « Cette fronde anti-CPE n’est-elle pas une énième tentative pour le peuple français d’affronter cet héritage de Rome... ». Si, certainement. Je pense que si l’on va interroger un étudiant en train de balancer des pierres sur un CRS ou de paralyser les trains au nom de la justice, c’est la première réponse qui lui viendra à l’esprit.

    De tout temps, les français ont de toute évidence eu un moteur premier : affronter l’héritage de Rome. Moi-même, je me demande depuis longtemps comment faire.

    En tous cas, je suis d’accord avec Lyotard : l’ère des grands récits est achevée. Aujourd’hui il ne se passe plus rien : effondrement du communisme, avènement généralisé des démocraties, mondialisation des sociétés, émergence économique des pays du tiers monde, broutilles que tout cela. Comment imaginer que l’histoire puisse s’en souvenir ?

    Tiens, il n’y a qu’a avoir de notre monde la vision que vous avez de la chute de Rome : « ...décadence orchestrée par une classe aristocratique ... » (ah bon, ils l’ont fait exprès ?), « ...institutions vieilles de plusieurs siècles... » (ah bon, elles n’étaient pas remaniées à chaque nouvel empereur ou presque ?), « ...les barbares s’employaient à semer le chaos ... » (ah bon, c’était juste pour rigoler, ils n’étaient pas eux aussi chassés de leurs habitats surpeuplés par d’autres peuples ?). « Cette évocation se superpose-t-elle avec l’actualité ? » Si vous avez de l’actualité une vison aussi particulière que vous en avez une de l’histoire, certainement...

    Voila, c’était Yves.


    • B Dugué (---.---.119.22) 4 avril 2006 16:03

      J’avoue que cette réflexion est un peu une prise de risque, surtout la fin mais j’ai prévenu entre temps, annonçant de l’Histoire fiction. J’avais d’ailleurs l’intention de couper la fin. Le but de cet article est de tenter donner quelques analyses et interprétations qu’on ne lira pas dans la presse. Pas facile d’être original. Mais on me rétorquera qu’il n’est pas nécessaire de l’être. Quant au manifestant dans la rue, il est jeune et il en a marre d’être déconsidéré par les élites gouvernantes. Il ne réfléchit pas sur Rome pas plus que les Communards ne pensaient à la Révolution de 1789 quand ils se faisaient massacrer. On dit qu’il appartient au vainqueur d’écrire l’Histoire alors pourquoi pas de l’interpréter, mais les anti-CPE n’ont pas encore gagné.

      Bernard


    • Elias (---.---.231.46) 12 avril 2006 13:32

      Yves,

      je ne peux pas être d’accord avec vous quand vous dites qu’il ne se passe plus rien.

      Je ne sais pas si vous avez (trop) lu le livre de Francis Fukuyama, « La fin de l’histoire », mais vous reprenez, d’une certaine façon les arguments spécieux de ce monsieur.

      Bien au contraire, l’histoire est en marche : crise énergétique, montée des extremisme etc.

      On est en plein dedans, et il est très possible, que, de nouveau, nous soyons amenés à devoir défendre nos droits les plus élémentaires.

      Elias


  • alberto (---.---.33.235) 4 avril 2006 13:59

    Héritage de Rome ou des Gaulois ?

    Parcequ’à ma connaissance, en gros, notre histoire commence avec Vercingectorix, et on s’engueulait déjà : même que César, l’ennemi commun en a profité !

    Bien, un peu long (lourd ?) tout de même l’article. Mais merci de nous l’avoir présenté. Alberto.


  • (---.---.63.52) 4 avril 2006 16:16

    C’est Yves.

    Alors non, notre histoire ne commence pas avec Vercingétorix. Ca, c’est l’imagerie populaire. Soit on considère le peuplement de ce qui est aujourd’hui la France, géographiquemet parlant, et on peut commencer plus haut (Cro-Magnon), soit on parle du peuple français, et là on peut remonter au plus haut à Clovis, chef des francs Saliens, qui le premier a conquis un royaume franc, mais mieux encore à l’époque de la guerre de cent ans où se forge réellement pour la première fois la conscience nationale. Auparavant, la notion de royaume est floue dans son application territoriale, et une bonne partie de notre pays actuel est au milieu du XIVe siècle dépendant de l’angleterre. Par exemple, Richard Coeur de Lion et Jean sans terre, rois anglais très connus de la culture populaire, sont en fait français (mais aussi anglais, c’est ça l’astuce).

    Étonnant, non ?

    C’était une petite précision de Yves.


    • (---.---.74.32) 5 avril 2006 10:05

      tout dépend de ce que tu appelles histoire : normalement c’est le moment où on a commencé à écrire avant c’est la préhistoire, (et Cro-Magnon n’est pas le premier humain à être venu en france tu peux remonter quelques 450 000 ans avec certitude(ossements) voir même 1.2Ma (outils lithiques) bref je suis quand même d’accord avec toi, cet article est un ramassis de contre-vérité historiques bourrées d’interprétations actualistes


  • éric (---.---.53.150) 4 avril 2006 18:45

    « suivre le cours économique du monde. » Mais pourquoi diable devons-nous suivre un cours qui n’existe pas avant nos pas. Le cours du monde n’est que ce que l’humanité, celle qui a le pouvoir, décide d’en faire. Le cours économique est le résultat d’accords internationaux que nos dirigeants ont signés. Il est possible de revenir sur ces accords, d’en signer d’autres. Donc « l’ère des grands récits » n’ est pas achevée. Il nous convient de les écrire.


  • Démosthène (---.---.32.39) 5 avril 2006 08:26

    Salut, Vu de l’extérieur, de Belgique, pour être précis, ce contrat CPE, objet de controverses me fait intervenir comme jamais je ne l’ai encore fait, les jeunes, qui ont enfin, pour une fois l’occasion de s’exprimer, ont manifesté avec fermeté et en masse en France, montrant leur désaccord quant à ce projet, et je suis assez surpris que le gouvernement ait montré tant d’incompréhension, restant ancré sur ses indéfendables positions, affichant avec arrogance l’impression de « tenir le bon bout ». Mais ce qui ne me semble pas exprimé dans les médias, c’est que ce pourrait bien être une manœuvre, on force l’inadmissible pour vendre plus facilement une dégradation des acquits sociaux plus tard, en ayant l’air de négocier, après coups, à l’avantage des jeunes. C’est une honte, un total manque de considération envers ceux qui sont la France de demain, ceux qui vont bosser pour payer les pensions de ces prétentieux qui veulent leur imposer des conditions indignes et rétrogrades et qui de ce point de vue là, ne risquent absolument rien. C’est encore un pas vers la grande Europe, celle des patrons, celle des délocalisations, ou les grands perdants seront encore les salariés en bout de file. Sous le couvert d’une soi-disant avancée socioéconomique. Prenez la peine de regarder les bilans de votre employeur, et ne vous étonnez pas si ses bénéfices sont représentés par deux chiffres, alors que les comptes d’épargne ne couvrent même pas la valeur de la dévaluation par rapport au coût de la vie. Et pour ceux qui se donnent la peine de chercher un peu, ce n’est qu’un premier pas vers une dépossession totale, un avilissement de la classe ouvrière, des petits, des moyens, car il ne faut pas en douter, les suivants sur la liste des sacrifiés sont ceux qui, maintenant ont un emploi, qui sont assez naïfs pour penser qu’il est stable et garanti, qui payent leurs impôts et n’ont aucun moyen d’y échapper, et dont la destinée ne dépend que du bon vouloir ou de la conscience des actionnaires plus ou moins anonymes, instigateurs irresponsables des délocalisations, surtout intéressés par leurs dividendes. L’aspirateur à fric fonctionne toujours vers le haut, jamais vers le bas. Ce sont eux, avant le pouvoir politique, qui décident. Et les politiques, quels qu’ils soient, n’ont pas le courage d’aller au-delà, ils sont « virils passifs », des fantoches, des images d’Epinal... N’en avez vous pas marre de jouer au Lotto ? De reprendre les mêmes boules et d’essayer d’en sortir quelque chose de moins mauvais que ce qui précède ? Vous serez toujours perdants, c’est toujours la banque qui gagne ! Tant que vous ne changerez pas la donne. Il vous faut changer les boules, vous savez pertinemment ce que peuvent donner les tirages, et qui propose autre chose ? Cette Europe qui n’avantage que les (très) nantis, elle n’est même pas à l’avantage des moyens, pour un petit temps peut-être encore, mais pas pour longtemps, et lorsqu’il sera trop tard, vous n’aurez plus rien à dire. Et il est bien possible, j’en suis bien conscient, que la même chose se passe bientôt ici aussi, comme partout en Europe, si personne ne prend conscience de son pouvoir, et surtout, s’en serve ! ! Car c’est comme ça, personne ne bouge, sauf après coups. Quant il est trop tard. On devient des précaires, ensuite des assistés, si la société l’accepte, des exclus, si rien ne change.. Réfléchissez sur votre responsabilité politique, sur vos gestes de tous les jours, vos achats et vos choix dans tous les domaines qui justifient la dépendance dont nous devenons esclaves, même faire ses courses implique des choix politiques, souvent inconscients, mais pas innocents ! ! Vous avez les moyens de changer, les choses et vous aussi, cela ne dépend que de votre prise de conscience, de votre implication, ça demande des efforts, mais comme on dit, « les alouettes ne tombent pas toutes rôties du ciel » Notre société est le reflet de ce que nous sommes : opportunistes et immoraux ! Et ce n’est que l’image de « tout le monde », pas celle, intime, de chacun de nous. Alors un contrat du genre CPE, avec tous ce qu’il comporte comme désavantages, non-merci ! Puisque vous avez le pouvoir de l’éviter, même si ce refus ne fait que vous donner un peu de répit pour pouvoir y réfléchir, je suis persuadé qu’il en vaut la peine, pensez à tous vos proches, vos amis, si vous êtes jeunes, vos enfants, si vous l’êtes moins, car ce sont eux qui comptent, quels qu’ils soient ! Et sans eux, vous, nous ne sommes rien, ou moins que rien... Ce qui manque encore, qui a été oblitéré par les habitudes, c’est la conscience de pouvoir dire « non » quant les positions de nos élus ne correspond pas à nos attentes, nous sommes « électeurs », ils doivent suivre nos idées, en concertation avec nous, pas contre nous. Un philosophe a dit un jour « aucun projet ne peut aboutir vraiment sans l’accord total et inconditionnel de tous ses participants », et ça veut aussi dire qu’aucun des participants à ce projet ne peut pas avoir conscience des implications que représente ce projet autant pour lui que pour tous les autres. Il doit être à l’avantage de tous, c’est implicite. Bien à vous .


  • jean (---.---.199.178) 5 avril 2006 09:50

    S’il vous plait, sire Bernard Dugué, auriez vous l’obligeance de bien vouloir écrire le mot AQUITAINE correctement ?

    Merci, à vous de respecter ce qui est respectable.


  • www.jean-brice.fr (---.---.238.171) 9 avril 2006 17:07

    Il me semble que dans votre chronologie, il y a un oubli important : ce qui s’est passé entre 194O et 1968 ... Gloser sur nos malheurs actuels ne mène pas à grand chose et ne peut qu’ajouter au cafouillage ambiant !


Réagir