vendredi 18 novembre 2011 - par Emile Mourey

Pour en finir avec la Joconde

Que tout un chacun voie dans ce tableau ce qu'il souhaite y voir, peu me chaut, mais quand il s'agit d'en donner une interprétation publique dans le cadre de nos musées ou de notre enseignement, je demande un peu plus de réflexion.

Je ne puis accepter qu'on rabaisse l'oeuvre picturale de Léonard de Vinci au niveau des pauvres êtres que nous sommes. Même si son domestique Salaï, au visage plutôt rustre, lui a servi de modèle au départ, il est probable que le visage angélique, voire androgyne, que Léonard a peint à son Jean-Baptiste n'en est qu'une sublimation. Quant aux tableaux religieux du maître, loin d'être de simples images pieuses comme le bon ton l'exigeait alors, ce sont de purs élans de spiritualité. Certes, l'homme avait bien conscience de sa condition charnelle vis à vis de la femme - ses tableaux de "Jupiter et Léa" le prouvent. Est-ce un problème ? Certainement pas ! J'ai expliqué dans mon article http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-femme-que-leonard-de-vinci-aima-104261 que Léonard avait réglé ce problème, en dehors de sa vie domestique, en le traitant dans les maisons faites pour cela. Mais ceci ne veut pas dire qu'il ne se soit pas posé de questions sur l'acte sexuel, de même qu'il s'en est posées sur l'accouplement, sur les organes génitaux et sur le foetus, ce que révèlent ses dessins.

Au risque de choquer, disons-le tout de suite : selon moi, Léonard de Vinci a peut-être voulu exprimer, dans son tableau du Louvre, le sentiment d'orgasme qu'il éprouvait au stade ultime de l'acte sexuel. Dans les milieux informés de l'époque, on devait probablement le savoir. Dans mon article http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-sourire-de-la-joconde-l-art-et-35795 j'ai montré que Titien avait repris le thème - ou l'avait précédé - mais sans rechercher le niveau de spiritualité à la sfumato du maître. Je suis surpris qu'après la parution de cet article, personne n'ait eu l'idée d'appliquer à Léonard ce qui se lit d'une façon pourtant très claire chez Titien. Et je pourrais encore ajouter un autre tableau intitulé "L'amour sacré et l'amour profane" où Titien, cinq ans après, reprend l'allégorie, à gauche, du chemin lumineux qui monte et à droite, du plan d'eau paisible et champêtre d'un lac, mais là encore, en ne proposant à l'élue de la part du prétendant qu'une jouissance terrestre. 

Rappelez-vous la déposition du quatrième témoin de mon article http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/existe-t-il-un-autre-portrait-de-35941 : Je m’appelle Giovanni Paolo Lomazzo, peintre italien, né en 1538, décédé en 1600. J’ai noté en 1590 ‘’par Léonard, une riante Pomone dont un côté est couvert de trois voiles, ce qui est très difficile dans cet art. Il la fit pour Francesco Valeio (François Ier de Valois)’’

Une pomone, ou une flore, ces deux mots n’évoquent plus pour nous ce qu’ils évoquaient au temps de Léonard, à cette époque où l’on se posait des questions sur l’âme du monde – anima mundi. De nombreux artistes ont cherché cette âme dans la nature, couvrant leurs modèles de fruits, de fleurs, ou même de légumes. 

Dans certains de ses tableaux, Léonard a suivi la mode en utilisant des symboles de fleurs ou d’animaux en rapport avec son modèle, un buisson de genévrier pour sa Ginevra Benci, une hermine pour sa Cecilia Gallerani. Mais ici, dans son tableau dépouillé de la Joconde, Léonard de Vinci n’a mis que deux symboles de vie. Le premier décore l’échancrure de la robe. Ce sont des entrelacs brodés. Emblème de l’académie de Léonard, ces entrelacs symbolisent la luxuriance de la végétation et de la création divine.

Le deuxième symbole est une fleur, une seule fleur : Monna Lisa della Gioconda.

Mais ce tableau est-il la représentation exacte de Monna Lisa ? Probablement pas ! N'étant pas commandé par Francesco, son mari, mais par Julien de Médicis - ou par François Ier - Léonard de Vinci pouvait laisser libre cours à son mouvement de l'âme en interférant l'image avec celle de sa Leda, alliant ainsi la beauté de l'âme de la première à la beauté qu'on désire charnellement de la seconde (1) ; puis, par un mouvement de l'âme d'ordre supérieur tel qu'il apparaît dans l'extase de l'amour, se fondre avec l'être aimé dans l'ambiance floue d'un paysage et d'un ciel de rêve... un paysage de rêve qui, pour Léonard de Vinci, ne pouvait être que celui de son enfance.

Si le poète dit qu’il enflamme les hommes à l’amour, ce qui est une chose capitale chez tous les êtres animés, le peintre a la puissance de faire de même, et d’autant mieux qu’il met devant l’amant la propre image de l’aimée ; et souvent l’amant embrasse cette image et lui parle, ce qu’il ne ferait pas avec les mêmes beautés représentées par l’écrivain ; mieux encore, le peintre contraint les esprits des hommes à tomber amoureux et à aimer une peinture qui ne représente aucune femme vivante (Cahiers, Léonard de Vinci). 

Tel est, selon moi, le fabuleux secret du tableau de la Joconde. Ainsi pourrait s'expliquer l'inexplicable impression qu'il exerce sur les foules.

Note 1 . Ainsi pourrait également s'expliquer l'apparente contradiction du témoignage du père Dan, conservateur des peintures du roi en 1642 : « Dans les premiers inventaires royaux qui mentionnent l’oeuvre, j’ai lu ceci : "une courtizene in voil de gaze" mais aussi ‘’une vertueuse dame italienne’’. François Ier a payé la Joconde 4 000 écus. »

Note 2 . Autre hypothèse. Léonard de Vinci ne croyait ni aux dogmes, ni à l’Eglise. Pour essayer d’entrevoir cette âme du monde, peut être s’est-il dit, dans sa froide logique mathématique, que de même que l’amant atteint l’extase en passant au travers de la femme aimée, de même le peintre pourrait-il atteindre une extase d’ordre spirituel par delà une représentation sublimée de la nature, une nature symbolisée par la plus belle fleur qui soit : une femme proche de l’idéal. La peinture, dans son caractère divin, fait que l’esprit du peintre se transforme en une image de l’esprit de Dieu (Cahiers, Léonard de Vinci).

Mes autres articles sur la Joconde

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-madone-de-laroque-est-elle-une-35774

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-sourire-de-la-joconde-l-art-et-35795

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/existe-t-il-un-autre-portrait-de-35941

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-femme-que-leonard-de-vinci-aima-104261

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-joconde-histoire-d-une-grande-104326

Ces cinq articles auxquels s'ajoute celui-ci suffisent pour comprendre le mystère qui a entouré jusqu'à ce jour le tableau de la Joconde. Ils sont extraits d'un ouvrage que j'ai proposé sans succès à des maisons d'édition. En complément de cette étude, je signale l'étude du professeur Laure Fagnart http://www.vinci-closluce.com/fichier/s_paragraphe/3610/paragraphe_file_1_fr_lhistoire.frana.aise.des.tableaux.pdf




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