jeudi 19 octobre 2017 - par Anthony Michel

Pourquoi George Orwell anarchiste conservateur ?

Cet article pour founir quelques explications philosophiques et politiques à propos de l'expression « tory anarchist » (traduit en « anarchiste conservateur ») et à travers le cas de son auteur, l'écrivain britannique George Orwell (1903-50) célèbre pour ses romans 1984 et La ferme des animaux, qui, avant tout, s'est quelquefois lui-même désigné ainsi.

Remettons-en nous d’abord au parcours de jeunesse de George Orwell. (Je cite, dans le paragraphe suivant, des extraits de l’article du sociologue Daniel Szeftel paru à l’automne 2006 dans la revue Le meilleur des Mondes et dédié à notre auteur anglais.)
George Orwell est issu de la « lower upper middle class » c’est-à-dire la « frange de la haute bourgeoisie anglaise qui n’a pas d’argent » comme il aimait à le rappeler. « Fils d’un fonctionnaire colonial, Orwell est ballotté toute son enfance entre l’Inde et les pensionnats de l’élite anglaise que sont Saint Cyprian et Eton. C’était, par ailleurs, un élève qui, « beaucoup plus pauvre que la plupart de ses condisciples », avait le droit de recevoir une bourse. Pour cette raison, il ne partageait, avec ses camarades, ni le mode de vie ni la « foi en un avenir tout tracé dans les universités d’Oxford ou de Cambridge puis dans la haute fonction publique anglaise ». En outre, il est jeune quand il commence à développer une conscience « des barrières entre classes » ; ces barrières qu’il va alors chercher à briser tout au long de sa courte vie « en fréquentant les marginaux puis en cherchant une communion avec le prolétariat qui lui aurait enfin permis d’échapper à la bonne société britannique, qu’il haïssait mais à laquelle il se savait appartenir ». Orwell va également conserver « de ses années de jeunesse une haine pour la discipline stupide infligée aux élèves dans les pensionnats et une aversion définitive pour l’autorité ». Il va ainsi entretenir en lui l’union d’une « pulsion libertaire », nourrie par la haine précédente, et d’un « attachement aux valeurs traditionnelles et au patriotisme de la classe moyenne anglaise ».

En 1922, George Orwell devient sergent dans la police impériale en Birmanie. Le contexte est très tendu puisqu’il y a, d’un côté, les nationalistes birmans et, de l’autre, les impérialistes britanniques qui n’hésitent pas à recourir parfois à de violentes répressions. Orwell assistera, une fois, à une exécution capitale. Il sera en poste pendant cinq ans. En 1927, il réussit à démissionner, avançant qu’il aurait certains problèmes de santé. Période d’ennui et de dégoût pour le jeune homme qui va renforcer son mépris pour l’autorité hiérarchique et, plus politiquement, pour l’impérialisme britannique. En revanche, il restera attaché à la cohésion, entendue, sur le plan militaire, comme l’unité dans l’effort.

Orwell, qui veut se consacrer davantage à l’écriture, se met ensuite à voyager entre Londres et Paris. Nouvelle période de sa vie qui va durer quelques années et est racontée dans son livre appelé Dans la dèche à Paris et à Londres. Durant ce temps-là, la condition d’Orwell est comparable à celle d’un vagabond. Effectivement, notre écrivain anglais – qui ne vit pas encore de ses parutions mais seulement de petits boulots – va partager la misère qu’on pouvait connaître, en ces temps-là, dans ces deux grandes capitales européennes. A Paris, il lui arrive de ne pas manger pendant plusieurs jours, restant dans sa chambre d’hôtel et espérant que les cafards au plafond ne lui tombent pas dessus. Dans cette même ville, il est notamment plongeur dans un bel hôtel. Il nous explique dans son livre qu’un hôtel même luxueux peut dissimuler une grande saleté dans une partie de ses locaux. Il y travaille au moins quatorze heures par jour et six jours sur sept, et découvre une organisation très hiérarchisée entre les serveurs, les cuisiniers et les plongeurs, avec qui il ne communique quasiment qu’en hurlant.

Durant les années 1930, dans la lignée de la sensibilité qu’il a développée à travers ces précédentes aventures, Orwell va connaître deux expériences de vie capitales dans le sens où elles vont réellement forger ses idées politiques.
Ces deux expériences se rapportent à :
– sa rencontre avec les ouvriers de Wigan, ville modeste de son pays. D’où son livre Le Quai de Wigan ;
– son engagement dans les milices communistes du P.O.U.M. en Espagne au cours de la guerre civile espagnole (1936-39). D’où son livre Hommage à la Catalogne.


A partir de ces expériences et dans les ouvrages qui leur sont associés, notre auteur anglais va défendre un socialisme ouvrier, basé éthiquement sur ce qu’il appelle la Common decency, ou la Décence ordinaire et partagée, ainsi que sur la méfiance à l’égard de toute forme d’autorité..

Orwell est séduit par le ferme positionnement des anarchistes catalans quant à refuser de se faire dicter leur conduite, que ce soit par la bourgeoisie ou l’Église. D’ailleurs, pourtant engagé dans la guerre civile espa-gnole auprès des communistes, c’est surtout avec les anarchistes que l’Anglais sympathise réellement. Il aimera leur organisation de 1936 reposant sur leur capacité, en Catalogne mais aussi en Aragon, d’autogestion des industries et d’autogouvernement en opposition au gouvernement national officiel. D’où ces propos dans Hommage à la Catalogne : « Pour qui arrivait directement d’Angleterre, l’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus. […] Tout cela était étrange et émouvant. Une bonne part m’en demeurait incompréhensible ; mais il y avait là un état de choses qui m’apparut sur-le-champ comme valant la peine qu’on se battît pour lui. »
De retour dans son pays, il crée en 1945, avec les anarchistes anglais Herbert Read et canadien George Woodcock, le Comité pour la Défense des Libertés (Freedom Defence Committee) dans le but de « défendre les libertés fondamentales des individus et des organisations, et pour venir en aide à ceux qui sont persécutés pour avoir exercé leurs droits à la liberté de s’exprimer, d’écrire et d’agir » (extrait de la déclaration de ce comité).

Néanmoins, dans Le Quai de Wigan, Orwell parle de « billevesées sentimentales » à propos des idées anarchistes. En outre, dans l’article intitulé Le pacifisme et la guerre. Controverse entre D.S. Savage, George Woodcock, Alexander Comfort et George Orwell présent dans le numéro de septembre-octobre 1942 de la Partisan review, notre écrivain anglais critique le pacifisme anarchiste de ses trois contradicteurs. Et puis, quoi qu’il en soit, Orwell ne remet pas en cause l’existence de l’Etat. Il est, de surcroît, patriote – en 1946, il rappelle, alors qu’il explique ses motivations d’écriture, qu’un poème patriotique de lui, qui n’avait qu’onze ans, avait été publié par la presse de sa localité. Voilà deux aspects qui peuvent qualifier notre homme de conservateur. Le patriotisme permet, selon lui, de combattre les totalitarismes et les impérialismes. Le patriotisme permet, d’après Orwell, « la démocratie empirique et sensible, incarnée sous nos yeux dans une nation donnée ».

Le socialisme orwellien fonde la tendance progressiste de son défenseur si j’ose dire… Et en même temps, la patrie n’est certainement pas, pour Orwell, à laisser entre les mains des conservateurs exclusivement. D’autant que la Décence ordinaire comprend le patriotisme des gens ordinaires.



14 réactions


  • François Vesin François Vesin 19 octobre 2017 09:36

    Merci pour votre article.

    L’Anarchie, c’est l’ordre !
    Apprendre à se gouverner soi-même
    comprendre le « contrat » consenti avec autrui
    auto-gérer pour n’avoir plus à « obéir servilement ».

    Nous sortons de seize siècles d’asservissement,
    d’aucun nous en esquissent autant et plus à venir et,
    nous perdons notre temps à épier les postures de nos « maîtres »
    quand nous n’en consacrons que si peu, unis, à nous édifier !

    • Paul Leleu 19 octobre 2017 20:36

      @François Vesin


      tous les anarchistes sont conservateurs... malgré ses belles paroles « plus radical que moi tu meurs », l’anarchisme finit toujours par devenir libéral... il y a une trop grande importance accordée à l’individu, pour pouvoir être révolutionnaire.

      en effet, l’anarchisme promeut la révolution et le libéralisme en même temps... en thérorie, c’est idéal... en pratique, la révolution étant difficile à atteindre, surtout quand chacun fait ce qu’il veut et qu’il n’y a pas d’organisation hiérarchisée... alors avec les années, on se replie sur le volet « anarchisme du petit entrepreneur »... bref anar’ de droite... du genre je me mêle pas de mon voisin et lui se mêle pas de moi... 

      ce qui me fait marrer avec les anarchistes, c’est qu’ils sont ensuite les premiers à cracher sur les syndicats, les militants politiques et associatifs... ils deviennent même par réformistes ou solidaires... brefs, des vrais poujadistes... il faut dire que la drogue et l’alcool y sont pour quelque chose... 

    • Anthony Michel Anthony Michel 24 octobre 2017 00:03

      @Paul Leleu Amusante, vos réponses. Il n’y a pas que du faux selon moi.
      Si l’anarchisme de droite signifie quelque chose, il se différencie très généralement de l’anarchisme conservateur à la George Orwell dans la mesure où le premier se fiche totalement de défendre un socialisme autogéré reposant sur la décence ordinaire. L’anarchisme de droite, même si sous cette étiquette on retrouve des gens bien divers (et plus d’un ne se revendiquaient même pas ainsi), promeut généralement une espèce d’aristocratisme individualiste.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 19 octobre 2017 11:04

    Je remercie toujours les auteurs d’article d’Agora.VOX qui font un travail d’historien (même s’il s’agit en partie d’un copié-collé), sachant que les lecteurs n’ont pas le temps de tout lire. Mais pour m’’être également penchée sur la vie d’Orwell, certains aspects sont OC-cultés.


  • velosolex velosolex 19 octobre 2017 12:46

    « A good guy » dirait on de ce Georges là, très inclassable, refusant obstinément qu’on l’enferme sous un étiquette. Anarchiste conservateur ?... C’est bien que vous mettiez un point d’interrogation à votre article. En fait il a toujours été vu de droite par les communistes, et de gauche par les libéraux. C’est dire qu’on se méfiait de lui. 

    Mort à à peine 50 ans victime de ses excès. Oh pas ceux de l’alcool ou du thé mais plutôt des expériences limites : A pris une balle dans la gorge pendant la guerre d’Espagne, et à sans doute contacté la tuberculose qui l’emportera à l’orée d’une gloire naissante, lors de ses expériences de dèche, et de trimard. « L’immersion » dirait on maintenant. L’expérience de la Birmanie coloniale fut sans doute fondamentale pour lui, comme elle le fut pour Lord Casement en Afrique ( lisez « le rêve du celte » de Vargas losa) mais non mortifère. 
    Orwell ne s’égara jamais dans un combat douteux. Avant cela il y eut comme vous le rappelez l’expérience de saint cyprien, où il fut confronté à des collégiens fortunés. ( Lire les mémoires, et essais, arléa, tome 1)...Que sont devenus ces étudiants russes aristocrates, dira t’il plus tard, qui avant 1917 lui demandaient dédaigneusement combien de chevaux avait la voiture de son père ?...
    Une grand résilience, l’envie de comprendre, jamais de colère, sauf lors de la guerre d’Espagne, quand les soviétique en Espagne élimèrent les membres du POUM, ses copains...
    Orwell fait partie au delà des années, à travers ses écrits et ses engagements, et aussi avec cette façon de vivre bien particulière, faite d’isolement, de simplicité, mais aussi faite d’humour et de rencontres en tous genres, des gens qui m’aident à vivre.
    Il faut lire cette expérience, quand il loua une petite maison dans un village, où il faisait épicerie et vendait du jambon. Des poules au fond du jardin.
     La tea pot sur le poêle.
    Un de ces quatre j’irai je le promet en pèlerinage sur cette ile au large de l’écosse où il passa ses derniers moments, conduisant encore une moto sur les chemins de terre, malgré sa maladie de plus en plus invalidante. 
     Rendez nous saint Georges Orwell !. 

  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 19 octobre 2017 18:09

    Un lien pour ceux que la langue anglaise ne rebute pas !


  • alinea alinea 19 octobre 2017 20:50

    Merci ! il est des gens que l’on aime lire, que l’on pense connaître et que l’on aime comme des frères.
    Orwell pour moi est de ceux-là ; je l’ai rencontré tard, mais je me suis reconnue tout de suite dans cet anarchisme, que j’appelle, moi, réactionnaire, en réaction à la pseudo modernité et son faux progrès, sa fausse liberté.
    Il est l’inspirateur d’un autre que j’aime aussi : Michéa.
    Eh oui ! Velosolex a raison : nous sommes de droite pour les gens de gauche, et de gauche pour ceux de droite. C’est une bonne définition ! mais fausse, nous sommes de gauche en échappant au pouvoir. Le pouvoir de qui que ce soit.


  • Franck Einstein Franck Einstein 20 octobre 2017 11:16

    Orwell beaucoup moins visionnaire que Huxley qui avait vu :

    • le transhumanisme, gpa ultime (Meilleur des Mondes)
    • la société du loisir et de la pornographie (la femme « penumatique » dispo à tous, le soman)
    • la féminisation de la société (L’Île)
    • l’immortalité (le Grand Secret)
    • les castes mondialisées, le conditionnement par la jouissance etc.

  • Franck Einstein Franck Einstein 20 octobre 2017 11:22

    Le patriotisme comme nécessaire à la solidarité (le holisme) est partagé par tous les vrais sociologies, marxistes où socialistes (Bauer, Durkheim par ex)
    Et le multiculturel est là pour détruire cette solidarité.


  • phan 20 octobre 2017 19:26

    Méfiez vous du préfixe « anarcho- »
    Vous avez les anarcho-capitalistes comme Leopold Kohr, Soros et les arnarcho-conservateurs comme George Orwell.
    ....
    L’idée provenait de l’économiste et philosophe Leopold Kohr, enseignant de la London School of Economics. Kohr professait une forme d’anarcho-capitalisme. Il croyait que plus la structure politique était petite, plus démocratiques étaient ses institutions. Kohr proposait un retour aux micro-états médiévaux de l’Europe comme meilleur moyen de créer une fédération supranationale européenne.
    Les idées de Kohr sont devenues très influentes dans les milieux politiques de l’Union Européenne. Les élites financières transnationales veulent faire de l’Union Européenne la représentation politique de leur puissance. Une Europe fédérale de micro-états dont les politiques sont déterminées par des élites mondialistes rendrait impossible l’unification des citoyens européens contre cette classe dirigeante financière transnationale ; c’est pourquoi la carte de Heineken devient désormais une affreuse réalité – à travers toute l’Europe.
    L’anarcho-capitalisme est précisément ce que promeuvent les financiers d’envergure mondiale comme George Soros. Il n’est donc guère surprenant de trouver Soros derrière le financement du mouvement catalan pour l’indépendance.
    ....
    Pendant la Guerre Civile espagnole l’Union Soviétique avait soutenu le gouvernement républicain légitime d’Espagne contre les rebelles fascistes de Franco. L’URSS a pris des milliers d’enfants espagnols sous sa protection et fourni des armes ainsi que des blindés aux Républicains espagnols. La victoire fasciste fut finalement assurée par les actions ultra-gauchistes des Trotskistes et des anarchistes, qui ont refusé de rejoindre le front populaire en soutien à la République contre la réaction fasciste.
    En lieu et place, les Trotskistes ont saboté et attaqué le mouvement populaire, camouflant leur réaction derrière des slogans révolutionnaires sur « le réveil des ouvriers ». George Orwell faisait partie des espions trotskistes envoyés en Catalogne par les renseignements britanniques pour rendre compte des actions des Communistes. Il irait plus tard faire carrière en diffusant des mensonges et de la désinformation sur Staline et l’URSS, en écrivant pour des publications financées par la CIA.
    ...
    Quant au problème actuel des salafistes au Myanmar, merci à la Perfide (avec le concours de Orwell) ...


  • Anthony Michel Anthony Michel 26 octobre 2017 00:29

    J’ai bien apprécié les apports de velosolex et alinea. Merci.
    Je suis d’accord avec Franck pour dire que A.Huxley était plus visionnaire que G.Orwell.
    Concernant le patriotisme, est-il à dissocier forcément de l’adjectif « multiculturel » ?
    Il faut voir ce qu’on entend par cet adjectif, mais aussi par patriotisme.
    Le patriotisme est d’abord un sentiment d’appartenance, et il peut être communal par exemple. Le patriotisme n’est pas forcément national. Ce qui me fait penser à certains écrits de l’anarcho-socialiste M.Bakounine et me donne l’idée d’un futur article.
    Aussi, pour prendre l’exemple de la France, on peut la considérer comme grande patrie de petites patries qui possèdent des aspects culturo-traditionnels parfois bien différents. Il existe donc un aspect monoculturel mais aussi multiculturel de la patrie France. Et ce, bien avant même l’époque moderne.

    Phan, associez-vous l’anarcho-capitalisme au mouvement étasunien libertarien ?
    Quant à Orwell espion trotskiste, où avez-vous lu cela ? :)


  • Romain A. Romain Attard 8 novembre 2018 21:23

    Peut être mon article préféré sur AgoraVox. Merci.


  • gaijin gaijin 9 novembre 2018 07:34

    je l’avais raté ...dommage 

    l’anarchisme n’est ni ceci ni cela c’est juste l’état naturel de résistance a l’ oppression de l’être humain ...sans oppression l’anarchiste est un brave type qui cultive ses poireaux quand une oppression existe il prend par défaut la couleur inverse .....de gauche si l’oppression est de droite et inversement .....

    sinon un anarchiste n’est inféodé a rien, aucun dogme, aucune idéologie ....c’est juste un être humain avec toute la variabilité que cela comporte


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