mardi 9 novembre 2010 - par
Pourquoi les syndicats battent-ils en retraite sur les retraites ?
Le spectacle offert par les directions syndicales après deux mois de manifestations puissantes et répétées contre la contre-réforme des retraites, est déconcertant. Comment abandonner au beau milieu d’un combat qui a obtenu selon des sondages le soutien des deux tiers de la population française, sous prétexte que la loi de contre-réforme des retraites a été adoptée par le Parlement ?
Un crédit retrouvé dilapidé ?
Le crédit que les syndicats ont partiellement retrouvé au cours de ce mouvement, n’est-il pas déjà dilapidé quand on entend le leader de la CFDT estimer qu’il faut maintenant passer à autre chose et demander au patronat, comme il l’a fait au cours de l’émission « Mots croisés » sur France 2, le 25 octobre dernier, d’ouvrir une « négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors ». La patronne du Médef qu’il avait en face de lui, a, on pense bien, tout de suite saisi la perche, trop contente de voir enfin se diviser un mouvement contre la loi sur les retraites qui commençait à inquiéter par son ampleur et sa détermination ?
À quelle logique un responsable syndical obéit-il quand il propose d’entamer un nouveau combat sans même avoir mené celui en cours à son terme ? Ne court-il pas le risque de ne plus être pris au sérieux d’abord par ceux qui se sont mobilisés vainement et par un patronat qui n’aime rien tant qu’un syndicat battu pour discuter ? Se lance-t-on dans un mouvement qui a mobilisé tant de monde sur une telle durée, sans se donner pour but le retrait de la contre-réforme dénoncée ou au moins l’ouverture de négociations qui n’ont jamais eu lieu ? Sinon à quoi bon, sauf à montrer qu’on n’a fait que semblant et poursuivi d’autres objectifs ?
Le secrétaire général de la CFDT ne souffrait-il pas déjà de discrédit après son ralliement à la réforme des retraites de 2003, seul contre les autres syndicats ? On se souvient qu’il en était venu, mardi 20 novembre 2007 vers 16 h 30, à devoir quitter la manifestation en courant sous la protection de ses gardes du corps, hué par un groupe de manifestants aux cris de « Chérèque avec les patrons ! », « Sarkozy-Chérèque même combat ! », « Chérèque, pas de couteau dans le dos ! », « Chérèque au gouvernement ! ». Ils ne lui pardonnaient pas d’avoir déjà à l’époque appelé les cheminots à mettre fin à leur grève contre la réforme des régimes spéciaux (1).
Manifestations syndicales et Carnaval
On en viendrait à se demander si le rôle d’un syndicat, selon la CFDT, ne se limite plus qu’à être le Gentil Organisateur spécialisé de séances rituelles périodiques de décompression sociale, comme il y en a eu dans l’Histoire, avec des manifestations festives où l’on se promène grimé et hilare en cortège, brandissant ballons, banderoles, et pancartes : on s’époumone, on bat le tambour et le pavé, on souffle dans la trompette, on brocarde le pouvoir avec un humour corrosif, avant de reprendre sagement comme avant le travail, le coeur purgé pour un temps de sa révolte et de ses rancoeurs.
C’était le rôle joué par les Saturnales à Rome à la mi-décembre, au solstice d’hiver, où les esclaves commandaient à leurs maîtres qui les servaient à table. Le Carnaval médiéval avait une fonction comparable de purge psycho-sociale : pendant quelques jours, était permis ce qui était interdit le reste de l’année, comme brocarder les maîtres devant lesquels on s’agenouillait. N’est-ce pas à quoi risquent de se réduire ces deux mois de manifestations répétées auxquelles les directions syndicales mettent un terme en n’ayant obtenu ni retrait de la contre-réforme des retraites ni ouverture de négociations ?
La leçon de Mai 1968 ?
On suppose que ces directions syndicales sont conscientes de ce danger qui ne peut être couru que pour en éviter un plus grand. Est-ce une leçon de l’Histoire de mai 1968 qui les met en garde ? On sait qu’après les grèves qui ont bloqué le pays plusieurs semaines, sous la pression de leur base qu’ils ne contrôlaient pas, les élections législatives décidées par le Général de Gaulle, alors président de la République, par une dissolution de l’Assemblée nationale, ont été celles de la peur en envoyant à la fin juin siéger une « majorité introuvable » de Droite. Est-ce donc pour éviter une répétition de l’expérience avec des ingrédients comparables que les directions syndicales cherchent à mettre fin au mouvement, soucieuses de ne pas compromettre les chances d’une nouvelle majorité en 2012 qui ouvrirait les négociations refusées jusqu’ici ?
C’est un pari qui peut être tenté, mais il est risqué. C’est en tout cas la seule raison convaincante qu’on souhaite retenir pour expliquer un désengagement déconcertant que, dans l’attente, les directions syndicales risquent de payer d’un discrédit accru. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Chérèque fuit en courant une manifestation syndicale : image symbolique du conflit ? » AgoraVox, 21 novembre 2007.