lundi 7 novembre 2016 - par Automates Intelligents (JP Baquiast)

Quand le digital défie l’Etat de droit. Olivier Iteanu Eyrolles Oct 2016

Le dernier livre d'Olivier Iteanu illustre, dans un domaine qu'il connait parfaitement, le droit numérique, c'est-à-dire les règles de droit s'appliquant aux systèmes dits numériques ou digitaux, la disparition accélérée du droit français sous l'influence du droit américain et des relais qu'il s'est donné dans le droit international et dans le droit de l'Union européenne.

 

 

Commentaires
Jean-Paul Baquiast 04/11/2016

 

Olivier Iteanu est avocat à la Cour d'Appel de Paris depuis décembre 1988. Il est fondateur et dirigeant de la société Iteanu Avocats et dirigeant de la société Iteanu Avocats.
http://www.iteanu.com/

 

 

 

Biographie de l'auteur

Avocat à la cour d'appel de Paris et chargé d'enseignement aux universités de Paris I Sorbonne et Paris-Saclay,Olivier lteanu est un des meilleurs spécialistes français et européens du droit du numérique et des communications électroniques. Auteur du premier ouvrage de droit français sur Internet (Eyrolles, 1996), il est président d'honneur du chapitre français de l'Internet Society et l'avocat le plus cité dans la première base de données de jurisprudence française sur le droit des nouvelles technologie). Il est également administrateur d'Eurocloud France et vice-président de Cloud Confidence.

Il a publié de nombreux ouvrages sur ces thèmes.

 

 

 

 

Présentation par l'éditeur

Avez-vous déjà lu les fameuses CGU (Conditions générales d utilisation) avant de créer un compte sur Facebook, Google ou Twitter ? Ces dernières prévoient qu en cas de litige le juge californien sera compétent. La cour d appel de Pau a jugé en 2012 ce type de clause abusive, car contraire au droit français de la consommation. Or, quatre ans plus tard, ces plateformes continuent de maintenir cette clause abusive dans leurs CGU au mépris du droit et en toute impunité. Car qui a les moyens d affronter la puissance financière et juridique des géants américains du numérique ? Les États européens eux-mêmes abdiquent ou, au mieux, cherchent à négocier plutôt qu à faire appliquer la loi.

Vie privée, liberté d expression, droits d auteur, rôle de l État dans les mécanismes de régulation... Alliés de circonstance des libertariens de la côte ouest des États-Unis, les grands acteurs du numérique imposent leurs règles et leurs valeurs. Le digital est-il en passe de rendre inopérants les droits français et européen, après avoir chamboulé la technologie, nos modes de vie et les modèles économiques existants ? Dans cet essai accessible à tous, Olivier Iteanu lance un cri d alerte : s il ne reste plus au peuple européen le choix de sa loi, que lui reste-t-il de sa souveraineté ?

Biographie de l'auteur

Avocat à la cour d'appel de Paris et chargé d'enseignement aux universités de Paris I Sorbonne et Paris-Saclay,Olivier lteanu est un des meilleurs spécialistes français et européens du droit du numérique et des communications électroniques. Auteur du premier ouvrage de droit français sur Internet (Eyrolles, 1996), il est président d'honneur du chapitre français de l'Internet Society et l'avocat le plus cité dans la première base de données de jurisprudence française sur le droit des nouvelles technologie). Il est également administrateur d'Eurocloud France et vice-président de Cloud Confidence.

Notre commentaire du livre

Refuser l'américanisme et ses deux visages, le globalisme et l'européisme
Revenir à l'Etat national souverain

Le dernier livre d'Olivier Iteanu illustre, dans un domaine qu'il connait parfaitement, le droit numérique, c'est-à-dire les règles de droit s'appliquant aux systèmes dits numériques ou digitaux, la disparition accélérée du droit français sous l'influence du droit américain et des relais qu'il s'est donné dans le droit international et dans le droit de l'Union européenne. Précisons d'emblée que le livre est très accessible. Ceux qui veulent approndir y trouvent en notes de nombreuses références.

Contrairement à ce qui se fait dans une recension de livre, nous ne résumerons pas ici le contenu de l'ouvrage. Ceci pour ne pas inciter le lecteur à ne pas l'acquérir. Recommandons au contraire vivement à chacun de ceux qui nous lisent de se procurer l'ouvrage, sous la forme papier ou sous forme de livre électronique. Cela ne leur en coûtera que quelques euros. Compte tenu de l'importance pour chacun d'entre nous des thèmes évoqués, ce ne sera pas de l'argent perdu.

Bornons nous ici à indiquer que la thèse du livre, résumée dans le titre de celui-ci, est magistralement démontrée dans les trois premières parties de l'ouvrage, consacrées au recul radical du droit français dans les domaines fondamentaux du respect de la liberté d'expression, de la vie privée et du droits d'auteur.. Ces droits, dans un état de droit comme la France, s'exercent dans certaines limites, afin de ne pas conduire à des abus. Celles-ci sont fixées par la loi et soumises au contrôle des tribunaux nationaux.

Aux Etats-Unis au contraire, ces droits sont définis par les puissances économiques nationales et soumis à leur appréciation, au regard de ce qu'elles considèrent comme leur meilleur intérêt du moment. Il en est ainsi des concepts américains correspondants, de freedom of speech, de privacy et de copywright.

Les deux derniers chapitres du livre montrent comment ces intérêts américains, représentés dans le monde entier par les Grands américains de l'Internet (ou GAFA, Google, Apple, Facebook et Amazon) sont désormais capables de diriger nos vies publiques et privées, comme les intérêts de nos entreprises et de nos administrations. Les GAFA ont désormais été rejointes par une dizaine d'autres à laquelle nul ne peut échapper, sauf dans une certaine mesure en Russie et en Chine, où les gouvernements ont pris, difficilement d'ailleurs, conscience du risque qu'elles représentaient pour leur souveraineté.

Le dernier chapitre dénonce le fait que les pays européens, à travers notamment l'Union européenne, ont été dès les origines « colonisés » par les intérêts informatiques et numériques américains. Ceux-ci sont en premier lieu au service de ce que l'auteur ne nomme pas l'Empire américain, mais qu'il désigne clairement en montrant que les données obtenues par les GAFA sont utilisées par les services de renseignements américains (NSA et CIA) comme plus généralement par le Département américain de la défense, ceci entre autres objectifs pour mettre sous tutelle les Européens.

Nous avons nous-mêmes ici rappelé très souvent qu'au delà de la colonisation de l'Europe, l'Empire américain et les GAFA à son service visent à abattre la Russie dont le grand tort est de disposer d'une arme nucléaire capable de faire jeu égal avec celle du Pentagone. La Chine est désormais aussi dans le collimateur, son tort étant de devenir la première puissance économique mondiale, devançant de plus en plus les Etats-Unis dans de nombreux secteurs émergents.

Pouvons-nous en Europe et plus particulièrement en France, réagir à l'impérialisme numérique américain ?

Le livre d'Olivier Iteanu n'aborde cette question capitale que de façon incidente. Peut-être considère-t-il d'ailleurs que la réaction est impossible, le processus de colonisation numérique étant désormais irréversible. Que pourrions suggérer ici, en complètement et espérons-le dans l'esprit de son livre ?

Il faudrait en France revenir au concept d'Etat souverain, notamment aux plans industriel et scientifique, qui avait été proposé par le Conseil National de la Résistance et très largement repris par Charles de Gaulle lors de son retour au pouvoir. La France, seule en Europe aujourd'hui encore, s'était donné des capacités dans les domaines de l'industrie de l'armement, du nucléaire, de l'aéronautique, du ferroviaire, de l'espace, des grandes infrastructures de service public dont il lui reste encore, malgré les abandons successifs des régimes post-gaullistes, des atouts considérables. Seul malheureusement le digital, malgré les potentiels considérables accumulés par les industries français des télécommunications, a été livré sans résistance aux américains.

Ceci avait commencé avec l'abandon en 1973 du Plan Calcul initialisé en 1967 par le général de Gaulle. Le Plan Calcul avait réussi à mettre en place une véritable entreprise européenne, Unidata, en passe de concurrencer, au moins en Europe, l'entreprise IBM alors dominante. Mais à la mort de Georges Pompidou, des forces politiques françaises depuis longtemps prises en mains par les intérêts américains, étaient venues au pouvoir et avait réussi à faire abandonner le Plan Calcul, en prétextant d'échecs largement inventées par elles.

Mais comment revenir au concept d'Etat souverain, dans une France dont l'essentiel de l'électorat est désormais volontairement ou non au service de l'Empire américain, à travers les GAFA devenues indispensables ? Il ne s'agirait pas de prétendre comme certains idéalistes se l'étaient imaginé, engager l'investissement hors de portée correspondant à des GAFA françaises ou européennes. Il faudrait par contre que les rares éléments politiques le souhaitant abordent la question de la souveraineté d'un Etat français en s'inscrivant dans diverses grandes évolutions géopolitiques en cours dans le monde et prenant de plus en plus de poids en Europe.

On les résumera en disant qu'il s'agirait de la sortie de l'Union Européenne (UE) et de l'Euro, institutions qui depuis les origines ont été les outils de la colonisation américaine (précisons qu'en aucun cas le livre ne préconise cette solution, qu'en fait il n'aborde pas). La façon dont la Commission européenne et même le Parlement travaillent ouvertement au service des intérêts mondialistes de l'Empire américain s'illustre aujourd'hui dans leurs efforts pour obliger les Etats Européens à s'inscrire dans le TTIP et dans son petit frère le CETA, traités d'échanges transatlantiques. Les GAFA tireront un profit accru d'un espace européen sans frontières et sans normes.

Les mouvements européens souverainistes, vilipendés sous le terme de populisme, militent de plus en plus aujourd'hui en faveur d'une sortie de l'UE. Cet objectif sera de plus en plus sensible à ceux des citoyens supportant le poids des crises économiques actuelles et à venir, ainsi que d'une immigration provenant de pays moyen-orientaux et africains manipulés par les intérêts stratégiques américains.

Il s'agirait aussi pour la France, riche des atouts industriels et scientifiques résumés ci-dessus, de se rapprocher des pays du Brics, notamment de la Russie et de la Chine, avec lesquels elle pourrait engager des coopérations fructueuses. L'objectif ne serait pas de remplacer la soumission à l'américanisme par une soumission à l'égard de Moscou et de Pékin, mais par des coopérations limitées, d'Etat à Etat, où la France devrait dorénavant investir en valorisant des ressources propres, notamment dans le domaine de la main d'oeuvre qualifiée et même de l'épargne.

Concernant l'écrasant pouvoir des Gafa, dans le cadre de la réapparition en France d'un Etat fort et interventionniste, il est faut pas penser que rien ne peut être fait contre elles. Il n'est certainement pas possible ni souhaitable de prétendre se passer de l'Internet. Mais de nombreuses mesures pourraient être décidées pour y limiter l'emprise des GAFA et derrière celle-ci, de l'espionnage américain. Les entreprises et les administrations devraient notamment avoir l'obligation de se sécuriser, comme le font encore trop épisodiquement les forces de défense. Les solutions disponibles sont nombreuses, notamment en terme de cryptologie ou de procédures d'échanges protégés.

Une démarche importante devrait par ailleurs être encouragée. Il s'agirait d'utiliser les nombreuses ressources en culture informatique, notamment chez les étudiants, qui ne trouvent pas emploi sur le marché, ceci en les encourageant à devenir des « hackers » et lanceurs d'alerte qui perceraient les défenses des GAFA et révéleraient à tous leurs secrets. L'importance du rôle pris récemment dans ce domaine par Wikileaks montre l'étendue du travail qui resterait à faire.

Concernant les citoyens, il faudrait dès l'enfance leur apprendre à ne pas livrer aux GAFA toutes leurs données personnelles et intimes, notamment en renonçant à se servant d'elles comme exutoire à leurs besoins d'épanchement narcissique. Des solutions de communication plus prudentes sont possibles. Encourager leur usage devrait devenir une priorité pour l'Education Nationale.

Les lecteurs du livre d'Olivier Iteanu, convenablement instruits par la lecture de celui-ci, devraient facilement concevoir qu'une absence de retour à des Etats forts, dans le domaine du numérique comme dans tous les autres, serait accepter de devenir dans quelques années les neurones passifs du cerveau global ( Global Brain), que Google, les autres GAFA et la NSA américaine sont en train de mettre en place dans le monde entier. Alors le post-humain promis par eux sera uniquement représenté par les quelques millions de super-dominants américains.

En fait, le livre d'Olivier Iteanu n'est pas seulement un essai juridique , c'est aussi un ouvrage politique. Ses lecteurs l'auront sans doute compris.

Note

* Sur un thème voisin, voir La Silicolonisation du monde. L'irrésistible expansion du libéralisme numérique par Éric Sadin Editions l'Echappée octobre 2016 Notre présentation http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2016/174/sadin.htm

 



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