Quand Mélenchon joue au Trump islamo-gauchiste
La sortie de Jean-Luc Mélenchon dimanche parlant « d’attentats écrits à l’avance » a déclenché une nouvelle polémique qui a dominé l’actualité politique de cette semaine, générant réaction, réaction aux réactions, contre-feux et polémiques dans tous les sens. Mais qu’a-t-il pu passer par la tête du chef de la France Insoumise pour faire une telle déclaration ? Tentative d’explication.
Nouvelle étape dans l’autodestruction
Avant de juger, il faut citer, de manière assez exhaustive le candidat à la présidentielle : « Vous verrez que, dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs Elysées (en 2017). Avant on a eu Papy Voise, dont plus personne n’a jamais entendu après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau. Nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà, c’est bateau, tout ça ». Rien ne va dans cette déclaration qui accumule les faussetés et verse dans une interprétation assez délirante de la réalité, y compris la partie sur un « candidat du système »…
Car tout ceci n’a aucun sens. En 2012, il serait ridicule de qualifier Hollande de candidat du système, « sorti du chapeau ». En 2005, il posait déjà aux côtés de Sarkozy en une de Paris-Match comme possible candidat du PS. Le candidat sorti du chapeau, cela n’a été le cas qu’en 2017, et rien ne semble indiquer que 2022 suive la même direction. Ensuite, sous-entendre que des attentats pourraient avoir été écrits d’avance est tout de même effarant. Enfin, indiquer que cela servirait à « montrer du doigt les musulmans et inventer une guerre civile » est ridicule. En 2012, cela aurait dû servir Sarkozy, et c’est Hollande qui a gagné. Et en 2017, cela aurait dû servir Marine Le Pen, et c’est Macron qui a gagné. Fabien Roussel, candidat du PCF, n’a pas manqué l’occasion pour condamner ces propos.
Quelques jours avant, il avait également tenu des propos complètement absurdes sur la panne des numéros d’urgence, qui serait un moyen pour pousser à la privatisation d’Orange. Le Canard Enchainé a beau jeu de rappeler que la privatisation de France Telecom a été décidé en 1997, par une majorité dont il était sénateur, et que le gouvernement Jospin, dont il a fait partie, a mené la baisse de l’Etat dans son capital, qui n’est plus que de 23% aujourd’hui. Bien sûr, l’Etat peut encore baisser sa participation, mais une sortie complète du capital ne semble pas à l’ordre du jour, et cet incident pourrait au contraire ne pas la faciliter. De tels propos semblent n’avoir aucun sens de la part d’un intellectuel comme Mélenchon, qui aspire à devenir président de la République. Qu’est-ce qui peut expliquer un tel discours ?
Et si le chef de la France Insoumise était engagé dans une stratégie à la Trump, où la vérité n’a plus aucune importance et où seule la construction d’une histoire de lutte contre une oligarchie malfaisante importe ? Même s’il défend des idées radicalement différentes sur le fond, la forme actuelle et la posture globale de Mélenchon me semblent avoir beaucoup à voir avec la façon dont Trump a construit son succès. Mais cette stratégie a-t-elle du sens avec les idées qu’il défend ? L’ancien président des Etats-Unis avait une certaine cohérence de fond et de forme sur le discours, à défaut de l’avoir toujours gardé en pratique. Cela lui avait permis de réconcilier avec le Parti Républicain une partie importante des classes populaires abandonnées par un parti démocrate, qui a basculé du côté des élites.
Le problème pour Mélenchon est que le complotisme victimaire et agressif à la Trump n’est probablement pas soluble avec sa ligne islamogauchiste. C’est ce qu’indiquait le fiasco de sa liste aux européennes et sa perte de statut de premier opposant à Macron, gagné dans la première année du quinquennat, chose oubliée depuis. Mais à l’incohérence de cette stratégie s’ajoute le caractère révoltant de ses deux volets. La ligne islamogauchiste renie complètement la ligne républicaine #JesuisCharlie du passé, et pousse à des compromissions inacceptables sur nos valeurs. Et le discours complotiste et victimaire le décrédibilise et inquiète, au point qu’un Raphaël Enthoven en vient à s’imaginer un tout petit peu moins hostile à une accession au pouvoir de Marine Le Pen que de Mélenchon…
Cette séquence représente probablement le chant du cygne pour Mélenchon. Ce qu’elle signifie sans doute, c’est qu’il persiste dans la ligne qui a échoué depuis 2018, un virage indigéniste couplé à une attitude toute trumpienne. Ce mélange d’eau et d’huile ne fait qu’augmenter le rejet qu’il suscite, et par ricochet celui des Insoumis, dont la défense sans nuance de leur chef ressemble au pire des politiciens, Adrien Quatennens, un des rares députés que je suivais, s’y perdant totalement.