mercredi 21 février 2018 - par Michel J. Cuny

Quand Sigmund Freud jette hérédité et dégénérescence par-dessus les moulins

Laissant apparemment de côté le rôle de la « continence » dans les causes de la survenue de l’hystérie chez madame Emmy von N…, Sigmund Freud s’attache, tout d’abord, à faire toute la place possible à ce qu’il appelle « sa constitution héréditaire  ». Mais, en réalité, nous constatons aussitôt qu’il n’a absolument pas renoncé au premier point.

Il ne cesse de le sous-entendre :
« D’une part, ses impressions étaient très intenses et, douée d’une nature ardente, elle pouvait se montrer extrêmement passionnée ; d’autre part, depuis la mort de son mari, elle vivait dans une solitude morale absolue. » (page 956 du PDF)

Soupçonnée de n’être peut-être pas pour rien dans le décès de celui-ci, il est certain qu’Emmy von N... n’avait pas besoin d’être dotée d’une constitution particulière pour ne pas prendre les mesures adéquates. Sans doute l’hystérie n’y ajoutait-elle rien :
« Devenue méfiante à l’égard de ses amis à la suite des persécutions de sa parenté, elle veillait jalousement à ce que nul ne se mêlât trop de ses affaires. Elle avait de multiples obligations qu’elle remplissait seule, sans ami ni confident, presque isolée de sa famille.  » (Idem, page 956)

Du point de vue « constitutionnel  », la suite est tout aussi bénigne, mais nous allons voir qu’ici Sigmund Freud a l’habileté de se rapprocher peu à peu du facteur quantitatif qui, pour lui, est déterminant :
« Cette situation était encore aggravée du fait de sa scrupulosité, de sa tendance à se tourmenter elle-même et souvent aussi de l’embarras naturel dû à sa qualité de femme. Bref, le mécanisme de la rétention de grandes quantités d’excitation est ici indéniable ; il est dû, pour une part aux circonstances de sa vie, pour l’autre, à une prédisposition naturelle.   » (Idem, pages 956-957)

Dans ce mixte, les quantités d’excitation ne doivent pratiquement plus rien à une éventuelle « constitution  », expression qui annonce une certaine rigidité originelle… Sigmund Freud n’est donc déjà plus dans la ligne de ce que l’on serait tenté d’appeler l’« école française ».

Ce qui vient ensuite est tout à fait bénin, et c’est une sorte de fin de non-recevoir qui est opposée à toute la doctrine de la dégénérescence, cette ultima ratio des idées d’hérédité en matière de santé mentale :


« Sa pudeur, par exemple, sa crainte de révéler quelque chose d’elle-même, était si grande que je pus m’apercevoir avec étonnement en 1891 que nul, parmi ses visiteurs journaliers, ne savait qu’elle était malade et que j’étais son médecin. » (Idem, page 957)

Mais, malgré cette pudeur, il est certain que Sigmund Freud en savait beaucoup plus sur un certain point qu’il ne se risque à le dire très directement ici. C’est que lui-même s’est longtemps défendu de s’avancer sur une piste de recherche qui s’était déjà ouverte devant Josef Breuer une petite décennie plus tôt, et qui paraissait conditionner l’accès à une vraie compréhension des cas dont il avait eu à traiter, qu’il s’agît de Cécilie M… ou d’Emmy von N… :
« Ai-je étudié à fond l’étiologie de ce cas d’hystérie ? Je ne le pense pas, car à l’époque de ces deux traitements je ne me posais pas encore les questions auxquelles il faut répondre si l’on veut vraiment s’expliquer parfaitement la maladie. » (Idem, page 957)

Certes – comme il l’a écrit dans l’Avant-propos cosigné avec celui qui aura été longtemps son complice :
« […] nous avons rarement été en mesure de justifier complètement l’opinion que nous avons pu nous faire et qui est la suivante : c’est à la sexualité, source de traumatismes psychiques, et facteur motivant du rejet et du refoulement de certaines représentations hors du conscient, qu’incombe, dans la pathogenèse de l’hystérie, un rôle prédominant.  » (Idem, pages 843-844)

Mais il faut ici à Freud y revenir pour bien montrer en quoi hérédité et dégénérescence ne peuvent, en la circonstance, que servir de paravent à une vérité qui tarde à se dire, tant elle est tout simplement à l’origine de la parole quelle qu’elle soit, délirante ou pas :
« Je crois qu’il a dû arriver quelque chose de plus pour que des conditions inchangées et étiologiquement actives aient, justement en ces dernières années, déclenché un accès de la maladie. J’avais remarqué que dans toutes les confidences intimes de la patiente, l’élément sexuel, plus que tout autre capable de fournir des traumatismes, manquait totalement. Il est impossible que des émois de cet ordre ne laissent aucune séquelle ; elle m’avait donc donné, sans doute, de l’histoire de sa vie, une édition ad usum delphini  » (Idem, page 957)

À l’usage d’un naïf Dauphin que Sigmund Freud n’était certainement pas… puisque l’Avant-propos nous dit encore qu’une certaine vérité – toujours la même – n’a eu de cesse de lui venir à l’oreille comme elle l’avait fait auprès de Josef Breuer :
« Nous nous sommes vus obligés d’exclure de notre exposé justement les observations à contenu fortement sexuel. » (Idem, page 844)

S’il ne peut donc pas nous dire toutes ses raisons en cette année 1895 de publication des Etudes sur l’hystérie, Freud se sent tout de même si sûr de son fait qu’il n’hésite pas à pilonner le camp des adeptes indécrottables de la dégénérescence :
« Si l’observation de Mme Cécilie M… nous avait montré que l’hystérie, sous sa forme la plus grave, n’est pas incompatible avec les dons les plus riches et les plus originaux – fait que rend d’ailleurs évident la biographie des femmes qui se sont illustrées dans l’histoire et les lettres – nous trouvions en Mme Emmy v. N… une preuve de ce que l’hystérie n’exclut ni un caractère impeccable, ni la recherche de buts bien définis.  » (Idem, page 958)

En conséquence plus générale de quoi…
« Qualifier une femme comme elle de « dégénérée » serait modifier, jusqu’à le rendre méconnaissable, le sens de ce mot. Il convient d’établir une discrimination nette entre les concepts de « prédisposés » et de « dégénérés », sans quoi l’on sera obligé d’admettre que l’humanité doit une bonne part de ses grandes acquisitions aux efforts d’individus « dégénérés ». » (Idem, page 958)

« À bon entendeur ! »… pour ces messieurs de la Salpêtrière et d’ailleurs.

NB. Pour comprendre comment ce travail s'inscrit dans une problématique générale de lutte des classes...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/



3 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 février 2018 13:18

    Les hystériques ne sont pas « dé »générées mais « ré »générées. Jeanne d’Arc en fut le plus bel exemple. « dé » : l’inné« , »Ré", l’acquis, la filiation,....


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 février 2018 14:00

    Sigismond :Sigmund Freud, né Sigismund Schlomo Freud. Il est à noter la vraisemblable implication de la famille de Luxembourg tout au long de l’affaire... On a vu dans un autre chapitre le parchemin établissant qu’une correspondance existait avant Orléans entre Jeanne et l’empereur Sigismond (SERG), et on voit Jeanne libérée séjourner à Arlon, à la cour de Luxembourg...et même y contracter mariage ! De plus, la formation de la Pucelle a été faite dans une congrégation dépendant du Saint Empire ! et n’oublions point que la Lorraine (et par là même le Duc Charles II et son beau-fils René) dépend également du Saint Empire...


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 février 2018 14:06

    http://www.jeannedomremy.fr/S_ChinonRouen/descendance.htm.&nbsp ;De plus, sur le fameux retable de l’Agneau Mystique de Gand, sur lequel l’auteur a fait figurer Jeanne au premier rang de « Chevaliers du Christ », on peut identifier l’homme situé immédiatement derrière elle et qui semble la protéger, comme étant Sigismond de Luxembourg, empereur d’Allemagne...


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