samedi 27 janvier 2018 - par Michel J. Cuny

Quand Sigmund Freud n’allait encore qu’à la chasse aux papillons…

Informé de façon certainement très détaillée sur ce que Josef Breueravait vécu auprès d’Anna O… durant les années 1881-1882, Sigmund Freud a tenu à prendre des notes sitôt qu’il aura été mis en présence, le 1er mai 1889, de Mme Emmy von N…

Ainsi, au moment de préparer la publication des Etudes sur l’hystérie (1895), put-il décider de s’appuyer très directement sur ce qui lui apparaissait, à ce moment-là, comme étant particulièrement significatif du cas étudié : les contenus apparus entre le 8 et le 18 mai 1889.

Il faut donc aussitôt remarquer l’extrême brièveté de cette partie-ci du traitement – si l’on peut dire qu’il y en effectivement eu un. Ces dix jours avaient eux-mêmes été précédés d’une semaine dont on peut dire qu’elle avait servi à la prise de contact entre les deux protagonistes et à la mise en place des différentes modalités d’interaction entre elle et lui. Elle serait suivie de quelques autres semaines au cours desquelles rien de vraiment nouveau ne se mani-festera.

La transcription achevée tout en laissant filer les vingt derniers jours, Sigmund Freud peut écrire :
« J’espère que ces notes extraites de la chronique des trois premières semaines du traitement suffisent à donner une impression de l’état de la malade, du genre de mes efforts thérapeutiques et de leurs résultats.  » (pages 925-926 du PDF)

Il faut tout de suite le dire, et c’est ce que Freud fait lui-même dès ce moment-là :
« J’étais alors tout à fait partisan des idées de Bernheim relatives à la suggestion et en attendais plus que je n’en attendrais aujourd’hui. » (Idem, page 926-927)

Ce n’est donc que sous cette restriction de poids qu’il faut lire la suite :


« L’état de ma patiente s’améliora rapidement et à tel point qu’elle m’assura ne s’être jamais mieux sentie depuis la mort de son mari. C’est seulement après sept semaines de traitement que je la laissai retourner chez elle, sur les bords de la Baltique. » (Idem, page 927)

Nous voici alors un peu moins de deux mois après le 1er mai… Il n’y a effectivement que les miracles à la Bernheim qui puissent produire de pareils résultats… Petite incongruité que Sigmund Freud aura réglée, comme nous l’avons vu précédemment, en se dévouant entre 1891 et 1893 à la défense et illustration des positions de Jean-Martin Charcot si rudement mises à mal par… Bernheim justement.

Par conséquent, si, en 1895, Sigmund Freud est très largement libéré des anciennes fantasmagories du maître de l’école de Nancy, son compte rendu du mois de mai 1889 était encore en plein dedans… Quant à ce qu’il ressentira en 1924 lorsqu’il prendra la décision de publier une nouvelle fois tout cela dans une forme inchangée, c’est évidemment sans appel :
« Je sais que nul analyste ne lira sans un sourire de pitié cette histoire de malade  » (Idem, page 960)

Reprenons maintenant le fil du cas Emmy von N… en indiquant que, si Freud a pu, après sept semaines de traitement, permettre à celle-ci de retourner sur les bords de la Baltique, c’est qu’elle en était venue pour consulter les spécialistes du corps médical viennois sur sa situation de santé. Sa vie « ordinaire » était effectivement ailleurs :
« […] sa famille, originaire de l’Allemagne centrale, habite depuis deux générations dans les provinces baltes russes où elle possède de grands biens.  » (Idem, page 895)

Bien sûr, nous n’avons plus du tout affaire à l’une des malheureuses patientes de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière entre 1870 et 1893…
« À 23 ans, elle épousa un homme fort capable, doué d’éminentes qualités, qui s’était acquis une situation brillante dans la grande industrie, mais qui était bien plus âgé qu’elle. Il mourut subitement au bout de peu de temps d’une crise cardiaque.  » (Idem, page 895)

Laissée seule avec deux filles de 14 et 16 ans, elle ne représente pas un si mauvais parti :
« Elle a fait de nombreux voyages, s’intéresse vivement à beaucoup de choses. Actuellement, elle habite un château situé au bord de la Baltique, à proximité d’une grande ville.  » (Idem, page 895)

Mais elle accumule toute une série de symptômes extrêmement gênants pour elle comme pour son entourage…

Que va bien pouvoir faire le petit médecin de Vienne en présence de cette grande dame de l’aristocratie dont on peut dire qu’elle est percluse de maux qui mènent une véritable sarabande où les plus anciens ne sont pas nécessairement les plus faciles à saisir ?

NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/



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