mercredi 22 décembre 2010 - par Paul Villach

Que cache Radio France sous ses dentelles humanitaires ?

Les gens de télévision et de radio forment un manège où l’on aime à s’inviter entre soi : ainsi d’une émission à l’autre, voit-on les mêmes têtes et entend-on les mêmes voix. L’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier accueillait, par exemple, samedi soir, 19 décembre 2010, Patrick Sébastien et Audrey Pulvar. Qu’est-ce qui motivait encore si impérieusement leur présence ? La promotion d’un livre d’images pour l’un, sa propre promotion pour l’autre, habilement présentée depuis quelque temps en martyr d’une  discrimination politico-sexiste. La veille, L. Ruquier avait participé lui-même comme joueur à l’émission « Le grand défi des animateurs » sur la même chaîne publique France 2.

France Inter reprend cette semaine « le concept » en recrutant ses propres journalistes et animateurs comme candidats au jeu maison vénérable par l’ancienneté, «  Le jeu des 1.000 euros ». Mais l’ambition est plus noble. Son animateur, Nicolas Stoufflet, l’a assuré : c’est « pour la bonne cause ». Il ne s’agit pas seulement de promouvoir tel ou tel employé de Radio France, mais d’œuvrer pour une action humanitaire, « Bibliothèque sans frontières  », en faveur d’Haïti. On reconnaît une stratégie prisée de nombre d’entreprises qui vise à donner d’elles une image édifiante de générosité bien différente de la seule recherche de profit maximal qui les motive légitimement par nature.
 
L’efficacité du leurre d’appel humanitaire
 
Le leurre d’appel humanitaire touche, en effet, ce qu’il y a de plus humain en chacun. L’éducation inculque au petit d’homme le réflexe de compassion pour ses semblables quand ils sont faibles ou en danger. Le devoir d’assistance est dicté par le groupe social puisqu’il conditionne sa propre survie. Des sanctions favorisent son respect dans le for intérieur de chacun et aux yeux de la société : manquer à ce devoir peut déclencher un réflexe de culpabilité et/ou être passible d’une condamnation prévue par le Code pénal. S’y soumettre, au contraire, stimule chez le bienfaiteur le réflexe contraire, un sentiment de bonne conscience, et lui vaut souvent la reconnaissance admirative d’autrui. 
 
On ne peut exclure que ce soit l’objectif poursuivi par Radio-France en inventant cette opération humanitaire en faveur d’Haïti, somme toute un peu dérisoire vu le chaos que connaît ce pays depuis si longtemps. Le leurre d’appel humanitaire est un moyen facile et peu coûteux pour livrer de soi une image avantageuse. Des carrières, on le sait, se sont construites sur son usage, avec ou non un sac de riz sur l’épaule.
 
1- Détourner l’attention
 
Par l’exhibition du malheur d’autrui, on détourne d’abord l’attention de sa propre activité. Haïti, île ravagée de dictatures et de cataclysmes naturels est l’incarnation idéale du malheur même. Alors Radio France ameute ses auditeurs pour montrer comme est grande sa générosité en posant dans le décor de ce désastre, plutôt que de songer à corriger ses propres carences.
N’attendrait-on pas, par exemple, que pour mériter l’estime et la fidélité de ses auditeurs, Radio France se montrât en priorité plus exigeante dans l’exercice quotidien de son métier de service public ?
 
- Le manque de pluralisme des opinions a été récemment reconnu par le directeur de France Culture (1).
 
- On a soi-même dénoncé sur AgoraVox l’exhibition fréquente des faits divers comme stimuli du réflexe de voyeurisme ? (2) et même la partialité de certaines émissions (3). 
 
- Le journaliste, Philippe Abitboul, lui-même, qui est venu le premier participer au « Jeu des 1000 euros », le 20 décembre, a, le 14 décembre 2010, meublé son journal dominical de 13 heures par 18 minutes d’information indifférente sur un remaniement ministériel dont on ne savait encore rien ? (4)
 
- Et que penser du leurre sous couvert d’humour que Radio France n’a pas hésité à afficher sur l’échafaudage dont ont été recouverts ses bâtiments pendant leur rénovation : « C’est bien la première fois que nous avons quelque chose à vous cacher  » ? (5) Sans blague, est-ce si sûr ?
 
2- S’ériger en autorité morale
 
Simultanément, par l’assistance à personne en danger que l’on exhibe, on se range ostensiblement dans le camp du Bien qui réunit les victimes et leurs bienfaiteurs. Les premières suscitent la compassion, les seconds, l’approbation, voire l’admiration.
 
L’auréole de bienfaiteur qu’on y gagne aux yeux d’autrui, tend alors à illuminer tout ce que l’on fait. Le récepteur enchanté peut en venir à abdiquer tout doute méthodique qu’il devient inconvenant d’opposer à de si bonnes personnes adonnées à la philanthropie avec tant de désintéressement. Le bienfaiteur y acquiert donc une sorte d’autorité morale. C’est la raison pour laquelle il est rare qu’une star, comme les dames patronnesses qui, au 19ème siècle, tenaient un ouvroir, n’ait pas sa cause humanitaire à promouvoir en même temps qu’elle-même : même le pauvre footballeur Zidane - qui s’est pourtant montré si peu humanitaire sur un terrain de football - a la sienne !
 
Il faut avouer que cette opération de ravalement de façade par Radio France au leurre d’appel humanitaire est d’un bon rapport qualité prix. Cinq jours de « Superbanco », ça ne fait guère plus de 5.000 euros, à condition que les employés-candidats gagnent à tout coup. En échange, chaque jour est répétée pendant près d’un quart d’heure une ritournelle présentant Radio France comme animée par la générosité en participant à une action humanitaire pour Haïti. Seulement, s’il est conseillé de se montrer généreux, on reste convaincu avec Chamfort qu’ « il faut être juste avant d’être généreux comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles. ». Et la justice pour une radio de service publique ne commence-t-elle pas par ne pas tromper ses auditeurs ? Paul Villach 
 
(1) Paul Villach, « Manque de pluralisme sur France Culture ? Non ! de « mixité politique », dit son directeur  », AgoraVox, 10 décembre 2010
(2) Paul Villach, « Les reportages de France-Info : de simples formulaires à remplir ?  », AgoraVox, vendredi 8 août 2008.
(3) Paul Villach
- « La partialité délibérée de France Inter et de France Culture dans l’affaire Al-Durah », AgoraVox, 19 octobre 2010
- « L’agent secret X jette le masque avec France Inter dans l’affaire Al Durah », AgoraVox, 2 décembre 2010.
(4) Paul Villach, « Fillon 2 ou 3 : « mayonnaise » et « encéphalogramme plat » sur France Inter !  », AgoraVox, 16 novembre 2010
(5) Paul Villach, « Ce leurre pernicieux que de son échafaudage Radio France répand dans Paris  », AgoraVox, 31 août 2009.


15 réactions


  • Bill Grodé 22 décembre 2010 11:29

    Vous avez parfaitement raison, Paul. Et j’ajouterai que Radio France aime toujours se placer dans le « camp du bien », pour reprendre votre expression.
    Et , osons aller un peu plus loin, on y aime beaucoup se poser en « donneur de leçon de de bien-pensance ».
    Ceci étant surtout vrai pour France Inter : je ne supporte plus leurs lourds sous-entendus, chargés de connivence .
    Cette critique de la fausse neutralité , faute professionnelle pour des journalistes, ne s’applique évidemment pas aux émissions engagées, type « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet, souvent excellente. Une des dernières que j’arrive encore à écouter sur cette radio.
    Et , au passage- un petit coup de brosse à reluire, ça ne fait jamais de mal- bravo pour la tenue de vos articles, qui soutiennet à bouts de bras le niveau d’Avox. 


    • Paul Villach Paul Villach 22 décembre 2010 14:00

      @ Bill Grodé

      Merci de votre compliment.

      Quant à Radio France, vu sa qualité de service public, on est en droit d’exiger un niveau supérieur à ses concurrentes privées. Malheureusement, le compte n’y est pas. Paul Villach


  • asterix asterix 22 décembre 2010 11:41

    Nourrir les petits cerveaux haïtiens avec des livres...
    Pourquoi pas leurs estomacs avec du riz, tant que vous y êtes !


  • docdory docdory 22 décembre 2010 15:57

    Cher Paul Villach

    Quand on voit le discours lénifiant, politiquement correct et de mauvaise foi tenu pas plus tard que ce matin ( 22 décembre ) par France Inter dans la « revue de presse » de Bruno Duvic [ en résumé : s’il y a des prieurs dans les rues, c’est qu’il n’y a pas assez de mosquées, c’est donc qu’ il faut en construire ( sous-entendu probable : avec l’argent du contribuable ) ] , on voit , comme vous le soulignez à juste titre, que France Inter devrait essayer d’arrêter de tromper ses auditeurs sur un certain nombre de sujets ( l’Europe, l’islam etc ... ), avant de se targuer d’humanitaire....

    • LADY75 LADY75 23 décembre 2010 12:16

      Lady Paname récidive :

      « Oh ben.. Y aurait-y donc une censure ?

      Je v’nais justement d’manifester mon ennui de r’trouver aujour’dhui comme autrefois, le toubib pourfendeur de Mahométan (à tel point qu’il arrive toujours à glisser l’sujet dans n’import’ quel converssation) associé au pontifiant professeur qui nous r’sert son »leurre d’appel humanitaire« , tellement réchauffé qu’il n’en n’a plus aucun goût ! »

      Et zoup ! Disparu !

      Y en a-t-y un des deux qu’était pas jouasse ?"


  • Gio 22 décembre 2010 16:55

    Pourquoi limiter vos critiques à France Inter ?
    Vous pouvez sans risque les étendre à Europe 1, à Radio Luxembourg et à toutes les chaines TV : 1, 2, 3, 5, 6 .....
    Il règne dans ces médias un bien joli « Faucuisme » !


    • Paul Villach Paul Villach 22 décembre 2010 19:05

      @ GIo

      Rassurez-vous, j’ai eu l’occasion de parler de M.-O. Fogiel sur Europe 1. Voyez dans mes articles. Paul Villach


    • LADY75 LADY75 23 décembre 2010 11:32

      Lady Paname :

      Au cas où vous y auriez échappé... le rédacteur du nartic’ vous rappellera toujours qu’un jour, il connut un quart d’heure de gloire ! Et sur Europe 1, mazette !

      R’marquez, comme dirait Andy Warhol, tout l’monde y a droit un jour ou l’autre...


  • DANIEL 22 décembre 2010 17:24

    c’est vrai que l’on voit souvent les mêmes défiler sur les plateaux.
    Les animateurs s’invitent les uns les autres pour s’autocongratuler en direct.
    Les artistes qui invitent des artistes, et des politiques qui font le 20 H avec des journalistes-animateurs-artistes.
    Comment voulez vous qu’ils ne se reproduisent pas entre eux pour faire des filles et des fils D’EUX ! 
    et puis nous finissons par nous entendre dire : « ils font un peu partie de la famille » 
    ou : « la petite, la, nous l’avons vu grandir »...ça rassure, non ?
    Quant aux restos du cul...quels enfoirés. Ils placent leur fric en Suisse...pour sauver les marmottes du réchauffement climatique ? 


  • biendeschoses 22 décembre 2010 22:03

    Voilà. M. Villach atteint le sommet de son art, le nirvana de son orgueil, l’eden de sa fatuité : il pérore et vitupère avec des mines de chaisière ménopausée à seule fin d’avoir l’heureux loisir de se citer lui-même, transformant ses anciens pensums en références impérissables.

    La boucle de ce ruban de Moebius est bouclée. L’information se mord la queue, l’auteur est la propre source de ses informations, il se commente lui-même, et son nombril qu’il scrute lui dit des choses admirables.


    • LADY75 LADY75 23 décembre 2010 11:34

      Lady Paname sourit...

      « Oh ben, quelle jolie prose que celle de ce M’sieur »Bien des choses"... Voilà qui permet à la page de respirer..


  • Yohan Yohan 22 décembre 2010 22:12

    Mais, c’est que Maître Villach abusé par le ricanement du charognard d’Europe 1 ouvrit tout grand son bec et lâcha son fernier roman « le sein de Béa » qui tomba dans le marigot des auteurs boursoufflés que personne ne lit  smiley smiley Damned encore un que les idiots n’auront pas


  • ddacoudre ddacoudre 22 décembre 2010 22:21

    bonjour paul

    pas grand chose a rajouter, et l’on n’est même pas à la hauteur de la presse US parait-il. lit l’article d’olivier cabanel si ce n’est fait.

    cordialement.


  • Pierre Régnier Pierre Régnier 26 décembre 2010 12:06

    @ l’auteur

    En 1974 bien des journalistes ont donné un coup de main au pouvoir giscardo-chiraquien pour liquider l’ORTF.

    Et bien des leaders de la « Gauche » ont par la suite poursuivi la grande casse et le ralliement à la radio-télé publique indirectement mais bien réellement contrôlée par les publicitaires qui la financent.

    On peut donc constater aujourd’hui, à juste titre, que la télé et la radio "de service public" ne sont pas très différentes des radios et télés privées. On peut même constater parfois, comme le relève docdory ci-dessus, qu’elles sont pires dans le traitement de certains sujets "politiquement et religieusement pas corrects".

    Je crois qu’il fallait séparer la radio publique de la télé publique. Je crois qu’il fallait aussi jeter "le vilain bébé« en même temps que »l’eau sale du bain" (l’asservissement au pouvoir politique).

    Il ne fallait en aucun cas, comme on l’a fait, « jeter la baignoire ».

    Il ne fallait en aucun cas donner la priorité à la télé marchande comme l’a fait le Premier ministre de droite Jacques Chirac, avec la complicité du Président de la République "de gauche" François Mitterrand, en privatisant TF1.

    Et quoi que l’on dise, en prétextant « l’indépendance journalistique » (relire encore docdory) ou le développement des nouvelles techniques de communication comme Internet, un audiovisuel réellement de service public reste une nécessité d’avenir.

    Réellement de service public c’est-à-dire une radio, d’une part, une télévision, d’autre part, totalement indépendantes à la fois du pouvoir politique et du pouvoir des puissances financières.

    L’autre condition indispensable étant, pour éviter le nombrilisme des individus divers très médiatisés, et la transformation des journalistes en hommes et femmes de pouvoir politique, qu’un réel contrôle démocratique de la gestion, donc par des élus du peuple, soit mis en place.

    Pierre Régnier

    (co-auteur, avec Jean-Jacques Ledos et Jean-Pierre Jézéquel du livre « Le Gâchis audiovisuel » (Editions Ouvrières - devenues Editions de l’Atelier - 1986)


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