lundi 24 décembre 2018 - par Bruno Hubacher

Qui veut la peau du régime iranien ?

Karl Marx a dû se retourner dans sa tombe à maintes reprises depuis son départ le 24 mars 1883. Dégustée à mille sauces locales à travers le 20ème siècle, sa philosophie n’a jamais trouvé le bon assaisonnement. La sauce iranienne ne fait pas exception.

Lasse de son régime répressif et autoritaire, la société iranienne s’en débarrasse avec fracas le 1er février 1979, le remplaçant par un autre, religieux celui-ci. Toutefois, commencée en octobre 1977 par une série de protestations séculaires et religieuses, la révolution iranienne doit son accomplissement avant tout au mouvement « islamo-marxiste », « Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien », fondée en 1965.

Seulement, la lune de miel des « islamo-marxistes » avec les mollahs fut de courte durée. En refusant la nouvelle constitution islamique du guide spirituel, Ruhollah Khomeini, son leader, Massoud Rajavi, et ses disciples, se voient refuser la participation aux élections présidentielles de 1980 et, à partir de 1981, les autorités iraniennes entament une persécution en bonne et due forme à l’encontre des « gauchistes ».

Forcés à l’exile, ceux-ci s’établissent dans une petite ville irakienne, construite par le régime du président Saddam Hussein pour héberger ses 3,400 membres, le « Camp Ashraf ». Revendiquant une république iranienne démocratique et séculaire, liberté d’expression et droits égaux entre hommes et femmes, ses dissidents décident, à partir de 1983, de faire cause commune avec le régime irakien en entrant en guerre contre leur propre patrie, menant des opérations terroristes sur le sol iranien, allant jusqu’à éradiquer entièrement une ville iranienne en 1986, se servant du conflit Iran-Iraq (1980-1988), sous la nouvelle bannière du « National Council of Resistance of Iran ». Le peuple iranien n’a pas pardonné cette trahison, jusqu’à ce jour.

Selon le colonel à la retraite de l’armée américaine, Lawrence B. Wilkerson, chef d’Etat- major du Secrétaire d’Etat Colin Powell pendant l’invasion américaine en Iraq (20 mars 2003 au 18 décembre 2011), les autorités américaines sur place se méfiaient de l’organisation des « Moudjahiddines du peuple iranien » qui, par ailleurs, se trouvait, à cette époque, sur la « liste d’organisations considérées comme terroristes par le « Conseil de l’Union Européenne », ainsi que par le gouvernement américain.

Cette mise au pilori, en vigueur depuis 1997, fut successivement levée, d’abord par le Royaume-Uni en 2008, l’Union Européenne en 2009 et, finalement, par les Etats-Unis, sur instigation de la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, en 2012. L’organisation continue à être considérée comme terroriste par l’Iraq et bien-sûr par l’Iran.

Fort de cette attestation de virginité, l’establishment américain, démocrate et républicain, se prépare actuellement au « window dressing ». Les éléments le plus violents sont soigneusement éloignés des projecteurs, et les fonds de soutien saoudiens, européens et américains coulent à flot. (Lawrence Wilkerson).

Le 2 juillet 2018, Nancy Pelosi, cheffe du groupe démocrate à la Chambre des représentants envoie un « tweet » au « Conseil national de la résistance iranienne » à Villepinte (France) : « C’est un honneur d’envoyer les plus chaleureuses salutations aux supporteurs d’un Iran libre. Le monde regarde des hommes et des femmes libres, manifester pour leurs droits à travers tout le pays. »

A coup de campagnes de marketing élaborées, ses plus fervents défenseurs dans le gouvernement américain, le Secrétaire d’Etat, ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo, l’actuel Conseiller à la sécurité nationale, John Bolton et, last but not least, l’avocat personnel du président, ancien maire de New York, Rudy Giuliani, seraient en train de préparer l’organisation (MEK), dont le siège se trouve dans la commune française d’Auvers-sur-Oise, dirigée actuellement par Maryam Rajavi, appelée par ses supporteurs « soleil de la révolution », épouse du leader Massoud Rajavi, mystérieusement disparu en 2003, pour renverser le régime iranien, au même titre que le gouvernement Bush se servait de l’INC (Iraqi National Congress) au renversement du régime de Saddam Hussain. (Lawrence Wilkerson)

En guise de reconnaissance les intervenants éminents, messieurs Bolton, Pompeo, Giuliani et autres, reçoivent entre 30'000 USD et 50'000 pour un discours devant les militants.

Il faut dire que les gouvernements américains successifs sont coutumiers de l’exercice. La première guerre du golfe reçut un soutien inattendu de la population grâce à une intervention déchirante devant le congrès d’une citoyenne koweitienne, Nayirah, une mise en scène préparée par l’agence de communication newyorkaise « Hill & Knowlton Strategies », qui devait suggérer aux citoyens américains que les soldats irakiens commettaient des actes de barbarie, ce qui justifierait une intervention militaire. Grâce à des révélations dans la presse canadienne, le témoin s’était avérée être en réalité la fille de l’ambassadeur koweïtien à Washington, Saud Nasser Al Sabah, et le témoignage lui-même, un mensonge.

Le 19 août 2003 les « défenseurs d’une république iranienne démocratique » bombardèrent les bâtiments des Nations Unis à Bagdad, tuant l’envoyé spécial du secrétaire général, Sergio Viera de Mello, provoquant le retrait de l’ONU d’un pays en guerre. (Wikileaks)

Le dévoilement par NCRI, le 14 août 2002 à Washington, de l’existence de deux programmes nucléaires iraniens secrets, informations supposément livrées par Israël selon le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh, a sans doute contribué à fortifier le degré d’utilité de l’organisation aux yeux des faucons américains, bien que le degré de véracité de leurs révélations se trouve probablement autour de 50%, mais qu’importe.

Après le bombardement du Camp Ashraf en Iraq par l’armée américaine, les militants d’MEK sont placés sous la protection des autorités américaines en vertu de la « Convention de Genève » et, depuis 2013, l’Albanie a accepté d’accueillir sur son sol, à la demande de l’ONU et des Etats-Unis, les 3'000 membres de l’organisation encore restés en Iraq.

Lors du rassemblement annuel de l’organisation le 30 juin dernier au Parc des expositions de Villepinte (France) d’illustres orateurs se présentèrent devant un public de 4'000 « militants », dont bon nombre d’eux furent payés généreusement pour passer un week-end sympa en France.

Le « gourou » de la secte (divorces forcés), Maryam Radjavi, s’était réjoui sur le site internet du « Conseil national de la résistance iranienne » de la présence de l’ancienne Secrétaire d’Etat des affaires étrangères et des droits de l’homme, Rama Yade, à côté de celle de l’ancien Ministre des affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner, celle de l’ancien ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy et bien-sur celle de l’avocat personnel du président américain Rudy Giuliani, qui ne manquait pas de rappeler aux auditeurs que « Les protestations actuelles en Iran sont soigneusement coordonnées par nous, en collaboration avec le « Conseil national de la résistance » en Albanie et à travers le monde ».

Le retrait des troupes américaines de Syrie et bientôt d’Afghanistan prépare le terrain pour l’objectif principal, le renversement du régime du président iranien Hassan Rouhani.

Il est par ailleurs frappant à quel point les médias continuent à analyser les décisions géopolitiques du président américain sous l’angle rationnel d’un président « normal ». Mais Donald Trump n’est pas un président « normal ». Donald Trump est un homme d’affaires qui apparente la gestion d’une nation à celle d’une entreprise familiale. A l’instar du président français, il est le produit de quarante ans de néolibéralisme.

Les dépenses militaires annuelles des Etats-Unis s’élèvent à 715 milliards USD, dix fois plus que celles de l’état russe. Une récente étude indépendante commandée par le congrès américain « révèle » que l’armée américaine, malgré ce budget exorbitant, n’est absolument pas préparée aux objectifs qu’elle s’est fixée et, en particulier, celle de conflits simultanés sur de multiples fronts, potentiellement menaçant pour la sécurité de la nation.

Toutefois il serait erroné d’interpréter le retrait des troupes américaines de Syrie comme le résultat d’une réflexion géopolitique approfondie d’un président, soucieux de la sécurité de son pays. Il s’agit plutôt de celle d’un businessman avide de démanteler l’état, favorisant des intérêts privés, jusqu’aux questions de défense.

Etant donnée que le régime iranien, à l’instar de celui du Venezuela, n’entre pas dans la vision étriquée du monde capitaliste de l’establishment américain, il s’agit de les étouffer les deux par des sanctions économiques plutôt que militaires, dans le but de les préparer à la « démocratie ».

Pendant que l’un des deux pays est régi par des préceptes religieux, ce qui dérange la puissante droite chrétienne aux Etats-Unis, l’autre, prône la socialisation des moyens de production, ce qui dérange l’élite néolibérale, qui, par ailleurs, est souvent également chrétienne fondamentaliste. Donald Trump sait manier les deux avec doigté, se passant du gratin politique de Washington. 

Certes, les effets douloureux des sanctions internationales contre l’économie iranienne pèsent lourd. La monnaie nationale a subi une dévaluation de 50% en neuf mois engendrant une forte inflation (Le Point). Les manifestations de la population concernent avant tout la perte du pouvoir d’achat, mais également les interventions militaires des mollahs en Iraq, en Syrie, au Yémen et au Liban. La faible diversification de l’économie, à l’instar de celle du Venezuela, dû à la trop forte dépendance des revenus du pétrole, la rendent vulnérable aux pressions économiques extérieures. 

De là à supposer un quelconque soutien de la part de la population aux « Moudjahiddines du peuple » est sans doute mal connaître la société iranienne. Au contraire, il se pourrait bien que l’administration américaine se mette le doigt dans l’oeil cette fois.

Le régime du président Rouhani ne manque pas tant d’arguments pour faire réfléchir à deux fois de potentiels agresseurs extérieurs. Premièrement, il y a de nombreux pays qui ne veulent, ni même ne peuvent, se passer du pétrole iranien, comme l’Inde et la Chine, pour ne nommer que deux.

Deuxièmement, on observe que de plus en plus de pays cherchent un moyen pour contourner le dollar américain en tant que monnaie de transaction, dernier en date le Venezuela au mois d’octobre dernier. Connaissant les besoins de financement du trésor américain, de plus en plus exorbitants, du fait des baisses d’impôts historiques, accordées aux entreprises et grandes fortunes par l’administration Trump, de nombreux pays cherchent à se débarrasser des bons de trésor américains en leur possession, dont la Russie, qui a liquidé la totalité de ses dépôts.

L’atterrissage à Caracas du bombardier supersonique le plus sophistiqué de tous les temps, le Tupolev Tu-160 de l’armée russe, le 11 décembre dernier, participant à des exercices conjoints avec l’armée vénézuélienne, s’était sans doute voulu comme avertissement subtile au gouvernement américain.

En outre, il se trouve que l’Iran contrôle le Détroit d’Ormuz, le passage de 30% du trafic maritime mondial de pétrole, ce qui donne un levier non négligeable aux mollahs sur l’économie planétaire, levier que ceux-ci n’hésiteraient pas à activer, si on croit aux nombreuses déclarations faites dans ce sens par des responsables du gouvernement iranien. 

Les lignes sont en train de bouger et les médias feraient bien d’en tenir compte.



8 réactions


  • Christian Labrune Christian Labrune 24 décembre 2018 12:53

    Vive la grande démocratie iranienne ! Vive le président Rohani ! Vive le Führer Khamenei de l’islamo-nazisme iranien et ses Gardiens de la Révolution ! Vive le Hezbollah et son Pétain libanais, le Général Aoun !

    Vive la grande extension hégémonique d’un Iran désireux d’apporter au monde la grande paix islamique !

    Déboulonnons la statue de la Liberté, remplaçons-là par une statue monumentale de notre maître à tous, l’imam Khomeini trop tôt disparu et que je ne me lasse pas de citer :

    "La guerre sainte signifie la conquête des territoires non musulmans. Il se peut qu’elle soit déclarée après la formation d’un gouvernement islamique digne de ce nom, sous la direction de l’Imam ou sur son ordre. Il sera alors du devoir de tout homme majeur et valide de se porter volontaire dans cette guerre de conquête dont le but final est de faire régner la loi coranique d’un bout à l’autre de la Terre. Mais que le monde entier sache bien que la suprématie universelle de l’Islam diffère considérablement de l’hégémonie des autres conquérants. Il faut donc que le gouvernement islamique soit d’abord créé sous l’autorité de l’Imam afin qu’il puisse entreprendre cette conquête qui se distinguera des autres  guerres de  conquête injustes et tyranniques faisant abstraction des principes  moraux et civilisateurs de l’Islam."

    http://www.fnb.to/FNB/Article/Khomeyni/Khomeyni.htm

    Cette belle est glorieuse révolution islamique est déjà EN MARCHE au Moyen-Orient. Grâce à Emmanuel Macron, notre génial président, phare de la pensée politique européenne, elle pourra bientôt être à nos portes, précédée par ses missiles dont la portée augmente de jour en jour. Nous serons ainsi protégés à tout jamais du grand et du petit Satan. Allah akbar ! Allah akbar !

    Allah akbar !


    • Christian Labrune Christian Labrune 24 décembre 2018 16:34

      Et je dirai même plus : Allah akbar !


    • Mazdak Teherani Mazdak Teherani 24 décembre 2018 21:14

      @Christian Labrune
      l’article de cet ami des mollahs est un tissu de mensonge. je partage votre indignation.


    • Christian Labrune Christian Labrune 24 décembre 2018 22:49

      je partage votre indignation.

      ...................................................................
      @Mazdak Teherani

      La France qui fut, dit-on, la patrie des droits de l’homme et de la liberté, est devenue un pays de merde dont j’ai honte, certains jours, d’être citoyen : je ne m’y retrouve plus du tout.
      Les Iraniens dont l’accès à l’Internet est bridé ne peuvent peut-être pas lire AgoraVox, et beaucoup de parlent pas le français. En un sens, ça vaut peut-être mieux pour eux parce que s’ils lisaient ça, ils pourraient tout de suite désespérer de l’humanité et être tentés de se jeter la tête la première contre un mur.


  • AmonBra QAmonBra 24 décembre 2018 19:16

    Merci @ l’auteur pour le partage.

    Qui veut la peau du régime iranien ?

    Ceux là même qui ont eu la peau de S. Hussein, de M. Khadafi, qui ont essayé et essayent toujours d’avoir celles de B. El Assad et celle de H. Nasrallah, ceux dont le nombre de crimes donne le dégoût et dont, pourtant, le minuscule état colonial va bientôt allonger d’une ligne la longue liste des états disparus. . .


  • Mazdak Teherani Mazdak Teherani 24 décembre 2018 21:18

    C’est le peuple iranien qui veut la peau du régime iranien qui n’est qu’une dictature islamiste abjecte qui n’a apporté que calamité et misère à son peuple. Cet article est un tissu de mensonge contre les courageux résistants iraniens (OMPI) qui luttent depuis un demi siècle contre les dictatures du chah et de Khomeiny pour instaurer une république laïque, pluraliste et indépendant. 


  • karibo karibo 26 décembre 2018 11:43

    A question naïve réponse : ISRAEL !


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