Raison garder sur les cérémonies d’ouverture
Comme pour la coupe du monde de rugby, la cérémonie d’ouverture des JO a déclenché son lot de polémiques et de déclarations enflammées, souvent à fronts renversés. Mais au final, ne sont-elles pas toutes les deux avant tout des gestes artistiques spectaculaires et cohérents qui représentent la vision de leur créateur, une vision refusant l’eau tiède qui ne viserait qu’à ne déplaire à personne ?
Libertés artistiques et mauvais procès
Bien sûr, alors que Macron et Hidalgo sont en partie les donneurs d’ordre, et avec la vision assez politique des deux maîtres d’ouvrage, il est facile, quand on est d’un camp opposé, de prendre la moindre parcelle qui ne nous plaît pas pour critiquer. Mais ne serait-ce pas une réaction trop proche de ces milieux qualifiés de woke, cet excès de sensiblerie, dénoncée joliment par Orelsan ? Bien sûr, tout le monde peut exprimer ses critiques et cela est parfaitement légitime. Il ne s’agit pas de nier le droit de ne pas apprécier un geste artistique et de le dire. D’ailleurs, de tous les temps, les artistes ont provoqué la polémique et il est bien normal de pouvoir ne pas apprécier la cérémonie d’ouverture. Mais en revanche, cela pose la question de la liberté des artistes en 2024. Doivent-ils se soumettre, ou pas, aux fourches caudines, politiques ou sociales, que l’époque semble produire en nombre toujours plus important ?
Poser la question de la sorte influence la réponse, évidemment. Si les milieux artistiques peuvent souvent m’agacer, tant ils ne voient pas qu’ils sont les plus protégés et qu’ils dénient à beaucoup de Français la protection qui leur est octroyée. Mais je ne veux pas vivre dans un pays où ce que font les artistes est dicté par le politique, les religions, ou une sensiblerie trop exacerbée qui finit par créer un corset artistique trop étroit. Bien sûr, les artistes ne sont pas neutres et ils ont de vrais penchants politiques, qui, sur de nombreux sujets, ne sont pas les miens, mais je les préfère libres. Et j’apprécie aussi de vivre dans un pays où il y a une vraie irrévérence envers certaines institutions, un marqueur important d’une démocratie fonctionnelle, même si je préférerais que cela ne soit pas parfois à géométrie variable, venant de certains, comme dans le « service public ». C’est l’esprit Charlie, qui dit quelque chose important de notre pays.
Bien sûr, une polémique a éclaté sur ce qui serait une caricature de la Cène, qui serait une insulte faite à des milliards de catholiques. Passons sur la comptabilité large des personnes qui pourraient avoir été offensées, de toutes les façons, ce n’est pas à la sensibilité d’une quelconque religion d’imposer quoique ce soit, surtout dans notre pays, et j’ai plutôt tendance à apprécier que la France réaffirme cela, dans un monde où la liberté d’expression ne me semble pas aller dans la bonne direction aujourd’hui. Ce procès me semble doublement mal fondé. D’abord, il faut rappeler que la référence est seulement le tableau d’un artiste, qui faisait référence à une scène religieuse. Il s’agit donc d’artistes qui s’inspirent de l’iconographie d’un autre artiste, qui représentait une scène religieuse. Décidément, la sensiblerie de l’époque va vraiment très loin, au point que les anti-woke finissent par adopter les comportements de ceux qu’ils dénoncent à longueur de temps dans d’autres circonstances, sans sembler s’en rendre compte…
En outre, en quoi des artistes qui veulent promouvoir les droits LGBT pourraient-ils se moquer de la religion catholique en mettant des personnes LGBT dans une réinterprétation de la Cène ? En quoi cela peut-il représenter une quelconque moquerie pour eux ? Il est tout bonnement absurde de penser qu’il pouvait y avoir la moindre ironie dans ce geste, à moins de considérer que pour Thomas Joly, mettre un personnage LGBT à la place de Jésus et des apôtres revient à se moquer… Les flux trop rapides des réseaux sociaux semblent ne pas avoir permis à cette simple évidence d’émerger. Au contraire, on pourrait y voir une forme d’hommage et de référence qui pourrait davantage exprimer une volonté de faire corps avec la société en reprenant une de ses œuvres les plus emblématiques. J’y vois bien plus une envie de faire corps avec toute la nation en en reprenant les codes, tout en défendant certains droits également.
Que le très communautariste et sensible Jean-Luc Mélenchon ait critiqué la référence au tableau de la Cène me renforce dans ma conviction que ce tableau avait sa place dans la cérémonie d’ouverture, tant le chef de LFI me semble pointer la mauvaise direction sur de nombreux sujets aujourd’hui. L’avenir qu’il dessine me révulse d’un point de vue sociétal, et sa position est malheureusement cohérente avec une vision très anglo-saxonne des choses. D’ailleurs, certains médias de ce monde et de pays sous influence islamiste l’ont censurée, et leur sensiblerie ne la rend pas critiquable à mes yeux. Au global, j’ai trouvé cette cérémonie très réussie, innovante, spectaculaire, faisant briller notre patrimoine matériel et immatériel aux yeux du monde, rattrapant une partie des carences de ces JO, d’un Paris trop bunkerisé, à un merchandising trop peu originaire de France en passant par un partenaire automobile étranger qui a innondé Paris de véhicules importés. Merci aux organisateurs d’un spectacle aussi extraordinaire et complexe !
Bref, plus le temps passe, plus je crois que, comme en 2023, dans un style très différent, c’était une belle cérémonie, qui a fait briller la France, en utilisant Paris comme décor, avec de multiples innovations et stars. Et le message politique intrinsèque ne m’a pas déplu : la liberté, la fraternité et l’égalité étaient mises en avant dans un spectacle ancré dans notre culture. Et n’était-il pas très français de refuser l’insipide frileux à la Disney, et de préférer une forme de flamboyance engagée et un peu polémique ?