Robins des bois de l’électricité : la morale contre la loi

Une action qui a fait des étincelles. La CGT Énergie de Marseille a annoncé, lundi 23 janvier, sa volonté de basculer, les boulangeries de la ville en tarif réduit pour soutenir la profession qui manifestait, à Paris, contre la hausse du prix de l'énergie. Une action, en lien aussi contre la réforme des retraites, qui a fait bondir, mardi, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a dénoncé sur Europe 1 une méthode "inacceptable". Pas de quoi faire reculer Renaud Henry, secrétaire général CGT Énergie Paca, qui explique cette décision et assure qu'elle pourrait s'étendre à d'autres secteurs.
Elle fait parler, elle fait scandale, et elle gêne, cette initiative de la base de la CGT Energie Marseille. Et on sent bien, tant du côté du pouvoir que des médias qui ont cette semaine relayé cette action de ceux qu'on appelle "les Robins des Bois de l'électricité", que les promoteurs de la réforme des retraites marchent sur des œufs, à l'exception de ce pauvre Bruno Le Maire. Difficile que d'attaquer bille en tête et frontalement une initiative aussi populaire qui assume aussi franchement sa dimension illégale. Les salariés d'Enedis le disent, leur direction leur demande quotidiennement de couper le jus à 4 à 5 boulangers et artisans. Ce qui concrètement signifie jeter la dernière pelletée de terre sur leur commerce. Ce dont personne en haut lieu n'aura le cran de se féliciter. D'où la gêne manifeste et le silence des macronistes et de leurs soutiens sur le sujet, qui en l'occurrence se retrancheront derrière la direction d'Enedis elle-même, à qui on refile le mistigri.
Cette initiative de la base m'apparaît on ne peut plus bienvenue. Elle est le contre-exemple absolu de ces fameuses grèves qui nous sont présentées sous l'angle des éternelles ennemies des usagers. Là, des syndicalistes se font les défenseurs de ces artisans auxquels tout un chacun peut s'identifier, et prennent sur leur propre tête tous les risques. Il sera amusant d'observer comment Enedis argumentera sa défense dans les prochaines semaines, et quelles seront les retombées dans l'opinion en termes d'image - une notion à laquelle les entreprises sont aujourd'hui extrêmement sensibles, tant elle peut négativement les impacter directement ou non.
L'angle d'attaque choisi, qui est celui de la morale et de l'éthique contre celui de la légalité, m'apparaît particulièrement pertinent, au regard de la stratégie choisie par le gouvernement macronien, qui joue à la fois le coup de force et le coup de poker institutionnel avec l'automaticité de l'article 47.1 afin de rétrécir les délais des débats parlementaires à 50 jours et s’assurer la victoire. L'exécutif le sait, les outils institutionnels à sa portée lui permettent de ruser de la façon la plus légale possible, tout en répétant comme un mantra que la réélection de Macron, qui jamais ne fut directement le corollaire d'un accord populaire majoritaire avec cette réforme, valait blanc-seing. Lorsque l'exécutif réinterprète de manière mensongère la voix du peuple tout en manipulant en toute légalité les instruments du pouvoir législatif, on en déduit que la loi prévaut sur l'éthique, et permet de contourner par la force et par la ruse tout ce qui ne va pas dans le sens du gouvernement. Ainsi, rien, si ce n'est la morale, ne permet de s'opposer à ces coups d'état permanents du sommet. Ce que la loi muselle, l'éthique le fait. Fût-elle frappée d'illégalité.