Sans un bruit : un chef d’oeuvre du 7ème art
De nombreux cinéphiles s'accordent sur ce triste constat : entre scénarii remâchés et intrigues jouées d'avance, la rubrique des films d'horreur s'essouffle un peu depuis quelques années, voire, depuis quelques décennies, selon les fans de Jack Nicholson. On constate cependant un renouveau du genre ces derniers mois : avec tout d'abord Get Out de Jordan Peele sorti en juin 2017, un film d'horreur militant (une première !) où la problématique du racisme est présentée d'une manière intelligente et sans sombrer dans le pathos – à la différence du cinéma français dont les messages antiracistes sont souvent lénifiants et policés pour ne pas dire neuneus. C'est à présent au tour de l'acteur-réalisateur John Krasinski de renouveler le genre avec Sans un bruit qui sort dans les salles françaises ce mercredi 20 juin.
Sans un bruit (ou A Quiet Place dans sa version originale) est un film à la fois sensoriel et angoissant qui nous plonge dans un scénario post-apocalyptique à la I am a Legend mais plus centré sur le schéma familial et psychologique des personnages que sur les scènes d'action. Pas d'explosions ou d'effets spéciaux et (presque) pas de combats. Mais sensations garanties !
(SPOILS) Bref résumé du synopsis : en 2020, la Terre est envahie depuis plusieurs mois par des créatures (extraterrestres ?) qui ont exterminé la quasi-totalité du genre humain. Les rares survivants ont du composer avec les règles des nouveaux maîtres. Les règles ? Non, une seule règle : ne pas faire de bruit. Ces créatures sont en effet hypersensibles aux sons et le moindre bruit déclenche leur fureur : ils surgissent de nulle part pour réduire définitivement au silence les impudents qui ont osé l'ouvrir (toute ressemblance avec Les Républicains est fortuite...). Une famille du Midwest, les Abbott, sont parmi les rares survivants essayant tant bien que mal de continuer à vivre dans ce nouveau monde. Le père, Lee (John Krasinski) et la mère, Evelyn (Emily Blunt) sont les parents de trois enfants et en attendent un quatrième, ce qui, évidemment, les met en danger de mort. Vont-ils réussir à survivre dans ce monde où le silence est d'or ?
La quasi-totalité du film est donc dénué de paroles : une nouveauté mais aussi un hommage au 7ème art d'antan. Véritable réflexion sur la parole, la communication non-verbale et les sentiments, Sans un bruit peut être qualifié de film sensoriel puisque le spectateur est amené à scruter le visage et les émotions des personnages, le visuel primant sur l'auditif et le non-dit sur la palabre. Autre plus : l'essentiel de la communication entre les personnages se déroule dans le langage des signes, ce qui est aussi une occasion de faire connaître ce moyen d'expression méconnu à travers le cinéma (et pour nous, francophones, de comparer notre langue des signes avec celle utilisée aux USA). La fille du couple est en effet sourde, la famille a donc du apprendre cette communication en signes, ce qui s'avère être un avantage dans ce monde où parler mène à une mort certaine. La jeune fille est jouée par Millie Simmonds, une actrice sourde et muette : un élément qui confère une touche personnelle au film et amène une véritable réflexion sur le handicap et la manière dont il est vécu par l'entourage. Enfin, la relation entre Krasinski et Blunt apparaît très authentique : les deux acteurs étant mari et femme dans la vie réelle.
Tous ces éléments font de Sans un bruit un chef d'œuvre du 7ème art bien au-delà des films d'horreur habituels au schéma couru d'avance. D'aucuns ont même voulu y voir un film philosophique ou carrément religieux à l'instar de Mgr. Robert Barron, l'évêque catholique de Los Angeles qui parle d' "un message pro-life". Une réflexion qui peut faire sourire mais qui n'est pas si ubuesque : sans spoiler le film (que nous avons eu le plaisir de voir en anglais) on y décerne effectivement un message familialiste et sacrificiel. L'irlando-polonais Krasinski ne cache d'ailleurs pas son catholicisme et n'hésite pas à en faire étalage dans les interviews où il fait des éloges dithyrambiques de la paternité. A-t-il voulu glisser un message catho dans son œuvre ? Il a en tous les cas été indéniablement influencé par son tropisme religieux, ce qui n'enlève rien à la qualité de son film que l'on peut regarder en étant croyant ou non… et en partageant ou non les convictions intimes du réalisateur.
Nous ne pouvons que vous conseiller d'aller le voir. Une heure trente d'angoisse et de sensations garanties. La renaissance d'un cinéma de qualité viendra-t-elle par les films d'horreur ?