jeudi 1er février 2018 - par Michel J. Cuny

Sigmund Freud et ce coq qui aura dû chanter trois fois

Nous avions quitté un Sigmund Freud très rassuré quant aux effets bénéfiques de la thérapie qu’il menait auprès d’Emmy von N… Cela se traduisait par l’effacement progressif, au moyen de la suggestion sous hypnose, de différents souvenirs à caractère traumatique qui parvenaient, jusque-là, à induire des hallucinations. Mais, tout à la fois, Freud avait compris qu’il lui arrivait de se laisser déposséder de la conduite réelle du traitement…

Lors de l’hypnose du 10 mai au soir, il s’avise de reprendre le fil de ce qui avait été déjà abordé la veille, mais sans suite :
« Je lui avais demandé d’où venait son bégaiement et elle m’avait répondu « je n’en sais rien ». C’est pourquoi je l’avais invitée à s’en souvenir pour le dire au cours de la séance d’aujourd’hui. Elle me répond donc, sans plus réfléchir, mais avec une grande agitation et un langage spasmodique.  » (pages 904-905 du PDF) 

Emmy von N… rapporte alors une scène extrêmement spectaculaire, à la suite de laquelle le bégaiement s’était installé sans qu’elle y puisse rien :
« […] je traversais la forêt en voiture, avec les enfants, pendant un orage. La foudre tomba sur un arbre, juste devant les chevaux ; les animaux eurent peur et je pensai ; « surtout reste bien tranquille sans quoi tu vas effrayer davantage encore les chevaux par tes cris, et le cocher ne pourra plus les retenir. » C’est à partir de ce jour que ça a commencé.  » (Idem, page 905)

Un cocher qui ne pourrait plus retenir ses chevaux… eux-mêmes étant plus ou moins pris de folie… Et voici ce qu’imperturbablement Sigmund Freud décide, une nouvelle fois, de faire :
« Je supprime le souvenir plastique de ces scènes tout en demandant à la malade de se les représenter une fois de plus. Elle semble s’y efforcer mais reste calme, et en parle désormais sous hypnose sans trouble spasmodique du langage. » (Idem, page 905)

Plus de bégaiement… En est-il vraiment si sûr ?

Passons maintenant au jour suivant. Le 11 mai au matin…


« Au cours de l’hypnose je lui demande quel fait a le plus marqué dans son existence et réapparaît le plus souvent dans son souvenir : c’est la mort de son mari. Je lui fais décrire cet événement dans tous ses détails, ce qu’elle fait en donnant tous les signes de la plus profonde émotion, mais sans claquer de la langue ni bégayer.  » (Idem, page 907)

Le bégaiement aurait donc effectivement rejoint le claquement de langue dans les débris laissés par l’hystérie… Le récit se déploie alors sans anicroches :
« Étant sur la Riviera qu’ils aimaient tous deux beaucoup, ils passèrent un jour sur un pont, et son mari, saisi d’une crise cardiaque, s’affaissa soudain et demeura quelques minutes sans connaissance, pour ensuite se relever en parfait état. Peu de temps après, alors qu’elle se trouvait encore au lit après ses couches et avait son bébé auprès d’elle, son mari qui était assis à une petite table près du lit et prenait son petit déjeuner, se leva soudain, la regarda d’un air bizarre, fit quelques pas, et tomba par terre, mort. » (Idem, page 908)

Elle perd ainsi un mari bien plus âgé qu’elle, et auprès de qui elle vivait depuis l’âge de 24 ans. La scène qu’elle rapporte à Freud avait eu lieu quatorze ans plus tôt. Quant au mariage, il avait donné lieu à la naissance d’une première fille qui avait alors deux ans, et d’une seconde pour laquelle Emmy von N… était encore en couches :
« Elle poursuit. – Ensuite, le bébé, alors âgé de quelques semaines, tomba gravement malade et le demeura pendant six mois, alors qu’elle-même devait rester alitée avec une forte fièvre – puis suivent, par ordre chronologique, des doléances au sujet de cette enfant, griefs qu’elle énumère rapidement, d’un air irrité, comme lorsqu’on parle de quelqu’un dont on a assez. » (Idem, page 908)

Tout ceci est très parlant. L’étrangeté de la situation permet d’imaginer la profondeur du trouble vécu.

Le lendemain 12 mai, la séance d’hypnose est particulièrement agitée, et elle ressuscite tout un monde fantastique que Sigmund Freud avait pu croire définitivement banni :
« Elle a fait des rêves affreux, les pieds des chaises et les dossiers des fauteuils étaient tous des serpents, un monstre à tête de vautour l’avait becquetée et mordue par tout le corps, d’autres bêtes sauvages s’étaient aussi précipitées sur elle, etc.  » (Idem, page 910)

Rien que des rêves… Ce qui n’est qu’un début…


« Puis elle passe aussitôt à d’autres délires d’animaux, à propos desquels elle ajoute « mais ça c’était vrai » (et non des rêves). Ainsi, un jour, voulant attraper une pelote de laine, elle vit que c’était une souris qui prit la fuite ; une autre fois, dans une promenade, un gros crapaud avait sauté sur elle, etc. » (Idem, page 910)

Pour Sigmund Freud, la déconvenue est certaine :
« Je note que mon interdiction générale n’a pas eu de résultat et qu’il faut que je lui enlève une à une ses impressions effrayantes. » (Idem, page 910)

Ici, une note ultérieure réitère un propos que nous commençons à bien connaître :
« J’ai malheureusement, dans ce cas, omis de rechercher la signification de la zoopsie, et même d’y faire la part de ce qui, dans cette peur des animaux, était une terreur primaire propre à bien des névropathes depuis leur enfance et de ce qui participait d’une symbolique.  » (Idem, page 910)

C’est-à-dire d’une façon de dire quelque chose en ne le disant pas… ou en le disant dans un langage différent, ce qui revient au même. Il y avait donc un message qui était destiné à Freud, et que celui-ci a négligé de tenter de prendre en compte…

Faudra-t-il que le coq chante une troisième fois ?

NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/



3 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 1er février 2018 10:24

    Rappelons-nous que Freud avait un lien très fort avec les chiens. Mais pour le bestaire, il fait faire un détour par Jung. Je ne m’étendrai pas sur le sujet (suffit de chercher sur Google). Je conseille : Philippe Walter La fée Mélusine : Le serpent et l’oiseau. IMAGO.


  • chantecler chantecler 2 février 2018 07:19

    Les recherches et découvertes de Freud s’étalent sur 30 ou 40ans .
    I n’a cessé de modifier ses théories et ses approches .
    mais en tous cas il s’appuyait sur une pratique assez innovante.
    Alors reprocher ses premiers pas et certaine erreurs de début ne me semble pas très objectif .
    Ses disciples n’ont cessé de plus d’améliorer , d’approfondir, de diversifier .
    je ne parle pas ici de tous les opportunistes qui se sont installés psychanalystes dans le but d’en vivre et souvent grassement .
    Mais on rencontre des furieusement anti , absolument imperméables et dénigrants la totalité de cette discipline .


  • Albert123 2 février 2018 15:41

    les déconvertis de la psychanalyse


    retour sur l’escroquerie de Freud, Lacan et autres sophistes par d’anciens adeptes aujourd’hui libérés.

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