mardi 6 avril 2021 - par Clark Kent

Sommes-nous autre chose que des bagnoles

Tout avait plutôt bien commencé pour moi.

Dès ma sortie d’usine, mes géniteurs propriétaires m’avaient fait immatriculer en remplissant un formulaire ad hoc à la mairie locale qui leur avait communiqué mon numéro et le certificat peu de temps après. Ce numéro reste le même pour un produit jusqu’à sa destruction ou disparition naturelle par obsolescence, et il n’est utilisé qu’une fois. Du coup, ils m’ont assuré automatiquement, au tiers. Ce n’est que plus tard que j’ai pu m’offrir, à mes frais, un contrat tous risques avec ce qu’on appelle une « complémentaire ». Mais bon ! C’était déjà bien. J’étais à l’état neuf, les risques étaient limités et mes deux conducteurs veillaient à ce que je n’emprunte pas des chemins de traverses non sécurisés. Ils auraient pu me mettre sur des rails, ils l’auraient fait !

Malgré des difficultés à faire face aux frais d’entretien et à la nécessité de passer régulièrement à la station-service (ils ne faisaient jamais le plein), mes propriétaires ont fait ce qu’ils ont pu pour me maintenir dans un état de marche et une présentation corrects, ce qui m’a permis, une fois que j’ai pu assurer mon propre ravitaillement en négociant mes services, de participer au grand rallye dans des conditions acceptables, mais en rien remarquables par rapport aux grosses cylindrées. Pour un modèle de série, mes performances m’ont permis de passer les étapes sans encombre, même si certaines courses de côtes et les épreuves contre la montre m’ont paru pénibles.

Malheureusement, les constructeurs n’avaient pas fourni de garantie usine, et ils ont disparu du marché sans laisser de stocks de pièces détachées, ce qui m’a obligé à avoir recours à des équipementiers à plusieurs reprises.

On ne peut pas dire que le résultat soit mirobolant, mais ça marche.

Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si les autorités n’avaient pas mis en place un système de contrôle technique sous prétexte de risques de pannes alarmants suite à la diffusion éclair d’agents destructeurs des systèmes de carburation, mutant aussi vite que l’éclair du départ et produisant des « variants » de plus en plus fluides et rapides. 

Les autorités ont donc commencé à nous consigner dans nos garages, à imposer des restrictions d’itinéraires programmés et à rendre obligatoire l’adoption d’un filtre à particules permanent, tout en fermant les stations services et en nous contraignant à prépare nous-mêmes notre carburant. Pendant ce temps-là, les garagistes ont mis au point des additifs permettant selon eux de mettre fin à l’hécatombe des modèles les plus anciens et à protéger les modèles récents.

Aujourd’hui, il est question soit de rendre obligatoire l’administration de ces produits-miracles, soit de réserver l’autorisation de circuler sur la vois publique aux véhicules détenteurs du certificat de contrôle technique, les autres pouvant toujours faire le tour de leur jardin quand ils en ont un ou de leur garage quand ils n’en ont pas. Ça n’empêchera pas de finir à la casse !

C’est de moins en moins drôle, d’être une bagnole.




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