samedi 26 avril 2014 - par Bernard Conte

Sortir la France du sous-développement (2)

Cet article est en deux parties : (1) La France Tiers-Mondialisée en voie de sous-développement et (2) Un développement autocentré et populaire pour la France

 

(2) Un développement autocentré et populaire pour la France

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Un développement autocentré et populaire

 

La condition première d’un développement souverain et populaire est la réduction drastique (voire la suppression) des liens de dépendance inhérents au système actuel. Pour ce faire, il s’agit d’organiser la déconnexion d’avec ledit système qui, vraisemblablement dans les conditions présentes, ne pourra s’opérer initialement que sur une base nationale. La première démarche sera de supprimer la domination de la finance et l’appareil de contrainte qui lui est associé.

Il est aussi possible de s’inspirer, en les adaptant au contexte présent, des propositions des économistes du développement. Néanmoins, il ne faut pas croire que le système fordiste peut être restauré dans sa version initiale. C’est pour cela qu’il faut inventer autre chose.

 

Le fordisme ne peut renaître

Pour amorcer un retour à « l’âge d’or » des Trente glorieuses, d’aucuns proposent simplement de retourner le sablier. Ils veulent re-coupler les zones géographiques de production et de consommation. Au Nord, il s’agit de dé-mondialiser, de relocaliser les productions, sur une base communautaire (Europe) ou nationale, de revenir sur le partage de la valeur ajoutée… Il faut, notamment grâce au protectionnisme, organiser le retour à la « pureté » du fordisme initial en autocentrant la croissance sur le marché intérieur.

Après les Trente glorieuses des financiers, les nouveaux « sauveurs » du capitalisme souhaitent redémarrer une période de Trente glorieuses des salariés. L’idée sous-jacente est celle de l’existence de cycles économiques d’expansion –contraction, de mondialisation – démondialisation. Le débat entre les néolibéraux et les néo-keynésiens semble principalement porter sur le partage de la valeur ajoutée : plus ou moins pour les salaires et plus ou moins pour les profits. En fait, il suffirait de repositionner le curseur pour résoudre la crise.

 Cet éventuel retour au fordisme soulève un certain nombre de questions notamment liées à l’écologie, aux ressources naturelles… car les conditions actuelles diffèrent de celles d’après-guerre.

S’il est évident qu’il faille privilégier le retour à un développement plus autocentré, il convient de s’interroger sur le contenu du processus. À ce propos, les enseignements des pionniers de la pensée du développement peuvent nourrir la réflexion.

 

Les économistes du développement comme source d’inspiration

Certains économistes du développement prônent le développementalisme (desarollismo). Le modèle le plus abouti est certainement celui proposé par Celso Furtado (1970). « Il comprend : (i) l’élargissement du marché intérieur auquel doivent contribuer, de façon décisive, une redistribution du revenu et une réforme agraire ; (ii) la constitution de marchés communs régionaux ; (iii) la mise en place d’un système de protection (droits d’entrée et restrictions quantitatives) pour filtrer les importations en fonction des besoins prioritaires de l’industrialisation ; (iv) l’ouverture sélective à l’investissement étranger et des mesures pour limiter les rapatriements de bénéfices ; (v) l’incitation à l’investissement (par des taux d’intérêt faibles)[1] ».

Le problème est que ce modèle ne remet pas en cause le système existant, il vise à s’y insérer en essayant simplement, par l’acquisition d’un degré plus important d’autonomie et de capacité de marchandage, d’accélérer la croissance pour rattraper les pays centraux.

En fait, le concept de déconnexion que l’on doit à Samir Amin apparaît plus adapté. « Le concept de déconnexion, c’est le contraire du concept d’ajustement structurel tel qu’il est entendu par la Banque Mondiale entre autres. […] ce que le capitalisme, comme système mondial, impose c’est un ajustement structurel permanent des périphéries qu’il construit, une soumission permanente et renouvelée aux exigences du développement du centre. Or nous avons besoin du contraire de cet ajustement structurel permanent. Nous avons besoin de déconnecter, c’est à dire de contraindre le système, lui, à s’ajuster à des transformations internes et à ce qu’elles impliquent dans le domaine économique et dans les autres domaines de la vie sociale. Nous devons contraindre le système à s’ajuster aux exigences de notre développement, dans un sens progressiste entendu au sens large du terme[2] ».

La déconnexion n’est pas l’autarcie, elle est une lutte pour imposer les exigences d’un développement souverain et populaire. Ledit développement passe par une forme de ré-industrialisation.

 

La ré-industrialisation

La délocalisation de notre industrie a entrainé la délocalisation de notre croissance et, toutes choses étant égales par ailleurs, il s’avère que nous devrons tôt ou tard, produire une plus grande part des biens que nous consommons pour lutter contre le chômage, sauver nos régimes de protection sociale et rééquilibrer notre balance commerciale. 

La ré-industrialisation de la France s’impose, évidemment il faudra définir le type d’industries à réimplanter et à développer. Les contraintes actuelles et à venir nous obligeront à opérer des choix.

Dans tous les cas, la ré-industrialisation implique le rétablissement d’une concurrence loyale, compatible avec nos choix sociétaux, définis démocratiquement et non pas imposés par l’extérieur.

Pour ce faire, une certaine forme de protectionnisme s’impose.

 

Le protectionnisme « éducateur »

Le protectionnisme vise, dans un premier temps à lutter contre toutes les formes de dumping (fiscal, social, monétaire, environnemental,…) afin d’assurer les conditions d’une concurrence loyale qui ne soit pas soumise à la règle du moins disant.

Le protectionnisme envisagé n’est pas un repli sur soi, n’est pas du nationalisme agressif, ni de l’isolationnisme. Il se propose de développer le commerce et les échanges sur le principe du respect d’une concurrence loyale. Il s’agit d’un protectionnisme « souple » et « mesuré » prévoyant des droits d’entrée variables portant sur certains types de produits jugés sensibles.

 Ce protectionnisme s’inspire aussi, d’une certaine manière, du « protectionnisme éducateur[3] » de Friedrich List dans la mesure où il doit permettre d’asseoir un nouveau mode d’industrialisation à l’abri des turbulences internationales.

Le secteur industriel sera tourné vers la satisfaction prioritaire des besoins essentiels déterminés démocratiquement par la population. Il devra aussi assurer la sécurité de l’approvisionnement du marché intérieur.

 

 La satisfaction des besoins essentiels

La satisfaction des besoins essentiels correspond à l’objectif fixé par François Perroux au processus de développement : « assurer la couverture des coûts de l’homme[4] », objectif qui sera, par la suite, repris et complété par d’Amartya Sen[5].

« Dans un ensemble humain, les coûts de l’homme se répartissent opérationnellement en trois groupes. Ce sont : 1° Ceux qui empêchent les êtres humains de mourir (lutte contre la mortalité dans le travail professionnel et hors des limites de ce travail ; 2° Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie physique et mentale minima (activités de préventions hygiéniques, de soins médicaux, de secours invalidité, vieillesse, chômage) ; 3° Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie spécifiquement humaine, c’est-à-dire caractérisée par un minimum de connaissances et un minimum de loisirs (essentiellement : coûts d’instruction élémentaire, coût de loisir minimum)[6] ».

L’orientation de la production vers la satisfaction prioritaire des besoins essentiels implique une réorientation de la consommation pour en finir avec la surconsommation.

 

Le problème de la surconsommation

 Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le système capitaliste repose sur la surconsommation nécessaire à sa survie, tout en laissant de nombreux besoins « essentiels » insatisfaits pour une grande partie de l’humanité. Nous sommes otages de la consommation « forcée » du fait de la filière « inversée » qu’il est primordial de redresser.

 

Otages de la consommation

En France, chaque foyer a dépensé, en moyenne, 538 € à Noël 2013. Pour acheter notamment 4,3 millions de smartphones et tablettes numériques (dont un million de tablettes pour enfants). Avec les autres gadgets (télé, ordinateur, consoles de jeu, appareil photo, baladeur), Sony, Apple, Nintendo, Samsung et leurs complices ont réalisé environ deux milliards d’euros de chiffre d’affaires juste pour Noël. Cette surconsommation apparaît orgiaque c’est-à-dire liée aux festivités ou simplement routinière, par exemple le shopping du samedi. Dans tous les cas, la surconsommation est largement « forcée ».

 

Une surconsommation « forcée »

La publicité omniprésente manipule les esprits et crée le besoin en faisant la promotion de la nouveauté, de l’éphémère, du factice et du clinquant. Par ailleurs, l’ouverture progressive de tous les commerces le dimanche, puis à toute heure du jour et de la nuit, renforce les opportunités de surconsommation. De plus, le jeu de l’effet de « démonstration », la pression sociale… obligent même, à terme, la grande majorité des réfractaires à consommer. Enfin, la frénésie consommatrice est entretenue par le phénomène de l’obsolescence programmée. En fait, ce n’est plus la demande qui suscite l’offre, mais c’est l’offre qui « force » la création de sa propre demande (la loi de Say ne serait plus « naturelle », mais imposée).

 

La filière inversée

En 1958, dans L’ère de l’opulence, John Kenneth Galbraith proposait une thèse révolutionnaire, celle de la filière inversée. Il affirmait que la société industrielle avait changé fondamentalement l’équation économique. Dorénavant, ce sont les entreprises qui imposent des produits aux consommateurs et non l’inverse. «  La nouvelle mission de l’entreprise est de créer les besoins qu’elle cherche à satisfaire ». La dynamique de la filière inversée apparaît comme essentielle dans la dérive consumériste. La réorientation du développement implique un redressement de la filière inversée.

 

Redresser la filière inversée pour sortir du consumérisme

 La redéfinition des besoins doit permettre de redresser la filière inversée pour que l’industrie réponde à la sollicitation de la demande plutôt que de susciter une demande pour les biens qu’elle fabrique. D’une part, le système socio-économique tout entier doit être organisé pour la satisfaction prioritaire des besoins essentiels ou fondamentaux. Il s’agit d’une rupture profonde avec la logique consumériste du capitalisme. D’autre part, il doit aussi assurer un certain degré d’autonomie dans la satisfaction des besoins de la population par une dépendance moindre vis-à-vis de l’approvisionnement extérieur.

 

La sécurité dans la satisfaction des besoins

 La recherche permanente de la maximisation du profit a conduit les entreprises multinationales à disperser géographiquement les opérations de production, si bien qu’il suffit qu’un élément de la chaine se grippe pour que l’approvisionnement s’interrompe avec, parfois, des conséquences dramatiques.

  C’est notamment le cas dans le domaine pharmaceutique où « la mondialisation et la complexité croissante des circuits de fabrication sont un élément de fragilité important » accroissant les risques de ruptures d’approvisionnement.

 « Depuis 2006, les professionnels de la santé constatent une hausse importante du nombre de ruptures d’approvisionnement, ce qui conduit à des situations hautement problématiques, d’autant plus quand le produit de remplacement est également en rupture ou le devient rapidement », constatait déjà fin 2012 le conseil de l’ordre des pharmaciens[7].

 Dans le domaine de la santé comme dans d’autres domaines, la ré-industrialisation sélective ne doit pas viser l’autosuffisance, qui est illusoire, mais la sécurité de l’approvisionnement gage d’une moindre dépendance et d’un développement souverain.

 

Conclusion

 

 La mise en œuvre, en France dans un premier temps, d’un nouveau type de développement souverain et populaire implique la définition d’un projet national, comme l’ont fait, d’une certaine manière, les membres du CNR, il y a 70 ans. Dans le contexte actuel, ledit projet doit se situer en rupture avec le capitalisme financiarisé actuel.

L’objectif est le bien commun et l’intérêt général. Pour l’atteindre, il faut déterminer de façon démocratique les besoins essentiels de l’ensemble de la population qui doivent être prioritairement satisfaits par un ajustement structurel de la production et de la société en général. Il se pourrait que lors du processus d’ajustement le pouvoir d’achat, en termes de consommation « forcée », se trouve réduit au profit d’un surcroît de consommation de biens collectifs (éducation, santé…).

La question importante à laquelle il faudra répondre, sans doute dans un prochain article, est la place et le rôle que doivent jouer les différents acteurs dans le processus de définition et de mise en œuvre du nouveau type de développement.

La France doit être le laboratoire de la fin du néolibéralisme et de la mise en place d’un nouveau mode de développement. Il est évident que la transition se heurtera à des résistances de la part de tous ceux qui profitent du système dans sa forme actuelle. Vaincre ces résistances ne se fera probablement pas sans violence.

 

Bibliographie

Berthelot Yves, Interview de Samir Amin, Paris, le 30 avril 2002, http://communweb.com/samir-amin/rub4fr/3interviewsaparyb.pdf

Cazes G. et Domingo J., Critères du sous développement, Paris, Bréal, 1984.

Conte Bernard, « France : le dualisme des « saigneurs », Le Grand Soir, 8 mai 2013, http://www.legrandsoir.info/france-le-dualisme-des-saigneurs.html

Conte Bernard, « La France se Tiers-mondialise ? », Agoravox, 18 mars 2013, http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-france-se-tiers-mondialise-132575

Bernard Conte, « Néolibéralisme et euthanasie des classes moyennes », Mecanopolis, 13/10/2010, http://www.mecanopolis.org/?p=20157

Conte Bernard, « La Grèce préfigure la Tiers-mondialisation de l’Europe », CADTM, 19 mars 2010, http://cadtm.org/La-Grece-prefigure-la-Tiers

Demmou Lilas, La désindustrialisation de la France, Document de travail de la DG Trésor, Numéro 2010/01 – Juin 2010.

Duret Jean, Que signifie le Marché commun dans une Europe capitaliste ? http://www.cvce.eu/obj/jean_duret_que_signifie_le_marche_commun_dans_une_europe_capitaliste_juillet_1956-fr-5285eec7-a7ee-4bb3-a905-0d1504f2ba38.html juillet 1956.

Frank A.G, Lumpen-bourgeoisie et lumpen-développement, Paris, Maspéro, 1971.

Furtado Celso, Théorie du développement économique. Paris, PUF, 1970

Galbraith John K., L’ère de l’opulence, Paris, Calmann Lévy, 1961.

Hecketsweiler Chloé et Pascale Santi, « Médicaments : épidémie de pénuries », Le Monde science et techno, 25/11/2013, http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/11/25/medicaments-epidemie-de-penuries_3519997_1650684.html

Herrera Rémy, « Les théories du système mondial capitaliste », http://matisse.univ-paris1.fr/doc2/mse076.pdf

Lacoste Yves, Les pays sous-développés, Paris, PUF, 1963.

List Friedrich, Système national d’économie politique, Paris, Gallimard, 1998 [1841].

Observatoire des inégalités, « La misère persiste en France »,

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1648&id_groupe=9&id_mot=76&id_rubrique=123

17 octobre 2013.

RSA conjoncture, n°5 mars 2014, http://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/rsa%20conjoncture/Rsa%20Conjoncture%20n%C2%B0%205.pdf

SEN A., Ethique et Economie, Paris, PUF, 1993.

[1] Bernard Conte, La Tiers-Mondialisation de la planète, (2ème édition), Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2013.

[2] Interview de Samir Amin par Yves Berthelot, Paris, le 30 avril 2002, http://communweb.com/samir-amin/rub4fr/3interviewsaparyb.pdf

[3] Friedrich List, Système national d’économie politique, Paris, Gallimard, 1998 [1841].

[4] CF. François Perroux, L’économie du XXe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1961.

[5] A. SEN, Ethique et Economie, Paris, PUF, 1993.

[6] François Perroux, L’Economie du XXème siècle, op. cit. p. 344.

[7] Chloé Hecketsweiler et Pascale Santi, « Médicaments : épidémie de pénuries », Le Monde science et techno, 25/11/2013, http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/11/25/medicaments-epidemie-de-penuries_3519997_1650684.html

 



2 réactions


  • leypanou 26 avril 2014 17:45

    Toutes les idées développées par l’auteur sont excellente.

    Mais pour le moment, notre priorité est de chasser la clique actuellement au pouvoir, et aussi ne pas la remplacer par celle qui était là auparavant, car ce serait pire encore (équivalent à chasser F Zapatero équivalent PS pour avoir M Rajoy équivalent UMP, les Espagnols en savent quelque chose).

    Que les abstentionnistes soient prévenus.


  • TOUSENSEMBLE OU L ECUREUIL ROUGE TOUSENSEMBLE OU L ECUREUIL ROUGE 28 avril 2014 09:20

    le seul dévelppement en FRANCE EST CELUI DES PARLEMENTAIRES ET


      COMMISSIONS"TARTEMPION.............................. !!!!!!

    LA FICELLE EST TROP GROSSE C’EST UN ORIN  !!!!!!!!!!!!!!!!!!

    un coup a gauche (CAHUZAC) un coup a droite (WOERTH )

    si vous n’etes pas convaincu que la MAGOUILLE N EST PAS DECIDEE A L’ ELYSEE MAIS A BERCY !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    les magouilleurs seraient suivis pour l’évasion fiscale PAR BERCY COMME MOYEN DE CHANTAGE LE PROCUREUR DE MONTGOLFIER ESTIME QUE C EST A LA JUSTICE D’ OEUVRER

    MORALE  : UMPS=PS........ILS NOUS BERNENT !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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