lundi 16 avril 2018 - par Renaud Bouchard

Syrie : la destitution de M. Macron ou la nécessaire sanction d’un bellicisme hasardeux et d’une expédition punitive illégale

“La politique et la stratégie de la guerre ne sont qu’une perpétuelle concurrence entre le bon sens et l’erreur.”

Charles De Gaulle, Discours, 4 mai 1943

 

« Le côté obscur de la Force, redouter tu dois. »

Yoda (Star Wars)

 

 J'affirme ici qu'il n'y a nulle place pour un bellicisme hasardeux et encore moins de place pour une expédition punitive illégale qu'aucune atteinte portée aux intérêts de la France ne peut sérieusement et valablement justifier tant au regard de la Constitution que du droit international.

M. Macron vient en effet de prêter le flanc à une alliance de voyous internationaux et a, de facto comme de jure, mis la France dans une position intenable à laquelle il ne peut désormais remédier qu'en quittant ses fonctions.

La sanction est à la hauteur de la faute commise.

S'engager dans un acte de guerre est toujours, pour un chef d’État, une décision grave. On aurait pu croire que M.Emmanuel Macron n'a sûrement pas décidé à la légère de faire participer la France à une opération punitive, principalement américaine, de bombardement de la Syrie, aux toutes premières heures du samedi 14 avril 2018. Nous ne devrions normalement n’avoir aucune raison de douter de la sincérité du président français lorsqu'il a affirmé détenir des preuves irréfutables que le régime de Bachar al-Assad a fait le 7 avril 2018 usage d'armes chimiques dans son opération de reconquête d'une banlieue damascène jusque-là contrôlée par des unités rebelles islamistes et encore peuplée d'un grand nombre de femmes et d'enfants.

Mais face à tant de précipitation pour déclencher dans le cadre de « l’Opération Hamilton » des frappes que M. Macron a sans ciller qualifiées d’acte de représailles et non d’acte de guerre (@EmmanuelMacron : "Les frappes en Syrie sont un acte de représailles, pas un acte de guerre" #MacronBFMTV📺 https://t.co/gAcqf8Vhrr pic.twitter.com/dTw8Ew8BQE ), le doute sur toutes ces motivations et les « preuves » qui les sous-tendent est plus que réel et réclame plus que jamais la plus grande clarté pour être levé sur ce que l’on nous demande donc de considérer en tant que populations naïves et imbéciles comme une simple opération de police menée avec une centaine de missiles contre un état souverain puisqu’il doit donc être admis contre toute évidence que « La France n'a pas déclaré la guerre au régime de Bachar al-Assad ».

 

Il n’est même plus possible, malgré la meilleure volonté, de faire semblant de croire à pareil conte de fée.

Comme l’explique A. Del Valle dans un article plutôt bien documenté : « D’une manière générale, les « preuves » avancées par les Occidentaux, qui ont refusé l’enquête russe comme les Russes ont refusé la leur, ne reposaient, à la vieille des bombardements, que sur des sources déclassifiées et ouvertes (sms, vidéos postées sur internet et réseaux sociaux, appels téléphoniques, images postées, etc). Le fameux document de renseignement de 8 pages vanté par le gouvernement français est lui-même composé non pas de preuves d’agents spéciaux sur place ayant assisté aux évènements et pris des échantillons sur place et des photos, mais des sources ouvertes précitées issues du camp belligérant rebelle lui-même, dont on sait que la stratégie consiste à mettre en scène ses victimes. Pour l’heure, la prudence, et non le négationnisme, est de mise, et non l’abdication de la raison critique. »

https://www.defense.gouv.fr/content/download/528742/9123389/file/180414%20-%20Syrie%20-%20Synthe%CC%80se%20-%20Les%20faits.pdf

 

Tout ceci est donc plus que léger et il va donc falloir rapidement produire ces preuves qui auront intérêt à être d’autant plus convaincantes et irréfutables qu’il est exclu que l’on puisse nous annoncer après coup, si tel est le cas, que « nous nous serons trompés », alors qu’il est désormais probable que la France sera très vite seule en première ligne à mener non plus une « guerre de proxy » en Syrie mais une véritable guerre contre plusieurs (très sérieux) adversaires après un retrait annoncé des États-Unis qui, en ce qui les concerne, auront finalement compris l’intérêt de refiler le bâton (mot plus adapté que celui de témoin) à un feudataire complaisant auquel ils laisseront le soin de se dépêtrer au milieu d’un nid de serpents et en espérant accomplir des miracles diplomatiques en œuvrant pour la paix dans ce nouveau bourbier oriental.

 

I- Un cadre juridique incompatible avec l’urgence de l’actualité militaire

Comme le dispose l'article 35 de la Constitution, « le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis ».

Mais peut-on sérieusement se contenter d’un débat parlementaire sans vote sur un sujet aussi grave qui peut déraper à tout moment ? Certainement pas.

Peut-on sérieusement se réfugier derrière une disposition qui prévoit que si l'intervention française en Syrie devait excéder les quatre mois, le gouvernement se verrait alors contraint de demander l'autorisation du Parlement, sachant que si ce dernier n'est pas en session à cette échéance (ce qui sera le cas, pause estivale oblige), il faudra attendre la session suivante qui démarre en octobre 2018 ? D’évidence la réponse ne peut être là encore que négative.

 Les Français vont en effet très vite comprendre, si ce n’est déjà le cas, qu’ils n’ont rien à attendre d’une représentation nationale élue par défaut et dont les troupes, fermement tenues et encadrées par quelques hommes-liges, doivent plus que jamais demeurer à la main du Président auquel elles doivent leur existence et dont elles ne discuteront pas le bien-fondé ou non des décisions susceptibles d’engager le pays tout entier dans un processus belliciste incontrôlable. 

Face à un acte de guerre déclenché dans des conditions exorbitantes du droit international, hors tout mandat de l’ONU, il est inconcevable que chacun d’entre-nous puisse accepter sans réagir les propos du chef de l’État qui a tranquillement expliqué sur le plateau BFMTV, RMC, Mediapart, que l’intervention de la France avait «  la pleine légitimité internationale », tout en ajoutant « Nous avons œuvré pour que le droit international ne soit plus violé, ainsi que les résolutions de l'ONU. Nous préparons une solution politique en Syrie. »

 

II- De l’urgence d’enrayer un processus mortifère pour la France, l’Europe et la communauté internationale

La situation nouvellement créée par le Chef de l’État, consécutive à une décision d’une exceptionnelle gravité qu’il a prise de manière imprudente et très probablement sans aucun recul, le rend désormais dans l’incapacité d’exercer plus avant ses fonctions et oblige aussi bien la représentation nationale que les citoyens à prendre à leur tour la décision de le décharger de ces mêmes fonctions et de le destituer de son mandat afin d’enrayer un processus autant mortifère pour la France que pour l’Europe et pour cette « communauté internationale » dont le concept ne saurait en effet impunément être mis à toutes les sauces et continuer d’être utilisé pour se prévaloir d’agissements commis en violation du droit international comme du droit national.

Monsieur Macron, jusqu’à preuve du contraire, a agi :

-seul et en toute opacité avec le président des États-Unis et la Première ministre britannique,

-sur la base d’une accusation à tout le moins dénuée de toutes preuves irréfragables et indiscutablement établies,

-sur la base d’une accusation particulièrement sujette à vérification préalable afin d’éviter la réédition d’une action de guerre voulue par les États-Unis avec les conséquences que l’on a vues pour l’Irak sur la base de ce mensonge désormais avéré des prétendues « armes de destruction massive » de Saddam Hussein en 2003,

-sans aucun mandat préalable de l’ONU,

-en violation d’autant plus indiscutable du droit international que la France est membre du Conseil de Sécurité de l’ONU et donc plus que quiconque gardienne du bon usage de ce pouvoir exorbitant qu’elle partage avec les autres membres dudit Conseil,

- sans avoir obtenu l’aval préalable des parlementaires français, en vertu de l’article 35 alinéa 1 de la Constitution qui dispose que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ».

 

S’il convient de préciser pour être complet que le président de la République a bien fait état de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution – Loi fondamentale dont on rappellera qu’il en est le gardien -, pour annoncer que « le Parlement sera informé et (qu’) un débat parlementaire sera organisé, suite à cette décision d’intervention de nos forces armées à l’étranger », il importe de préciser :

- que cette disposition ne figurait pas dans le texte d’origine de la Constitution de 1958 approuvée par référendum par 82% des Français et qu’elle n’y a été ajoutée qu’en 2008, sous la présidence de M.Nicolas Sarkozy, par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 dite « de modernisation des institutions de la Ve République », adoptée sans l’aval des Français par la procédure du Congrès.

- que sauf à vider complètement de sens l’alinéa 1, cette disposition de l’alinéa 2 ne saurait concerner que des interventions militaires à l’impact très limité, à vocation purement humanitaire (notamment pour venir au secours de citoyens français), et ne risquant pas de nous entraîner de facto dans une guerre ou des opérations militaires menées contre un pays souverain comme la Syrie, a fortiori dans une guerre mettant en jeu la Russie, l’Iran ou la Turquie par le biais de troupes régulières intervenant en uniforme sur ces théâtres d’opérations extérieures.

Les lectures ainsi que l’interprétation biaisées sinon incomplètes, effectuées et annoncées officiellement par le Chef de l’État de l’article 35 de la Constitution sont donc totalement inacceptables et irrecevables autant sur la forme que sur le fond en l’état actuel des circonstances.

La disposition de l’alinéa 2 de l’article 35 prévoyant seulement « un débat qui n’est suivi d’aucun vote », son application dans le cas syrien reviendrait à accepter que le Président puisse s’arroger seul le droit d’entraîner potentiellement sinon effectivement le peuple français dans une escalade diplomatique et militaire désastreuse avec la Syrie, la Russie, l'Iran ou encore n'importe quelle faction terroriste, engagement qui peut déraper à tout moment dans un conflit aux conséquences tant internationales que nationales trop prévisibles sans que les parlementaires, représentants de la souveraineté nationale, puissent même donner leur autorisation si tant est que l’intelligence de la situation qu’ils auraient à appréhender et le droit qu’ils pourraient exercer puissent les conduire à commettre l’irréparable.

Il est donc patent que la décision solitaire du président de la République est ainsi non seulement contraire à la prudence et à la sagesse dont doit faire preuve un chef d’État – et notamment celui d’un pays tel que la France, membre du Conseil de Sécurité (si les mots ont encore une signification et un sens) des Nations Unies lorsque la paix mondiale est en jeu, mais qu’elle est au surplus illégale au regard de la Charte de l’ONU et du droit international, méconnaissant sciemment l’esprit même des institutions et de la démocratie.

En faisant ainsi la preuve d’un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », le président de la République est entré dans le cadre juridique qu’exige très précisément l’article 68 de la Constitution pour engager la procédure de destitution du chef de l’État.

Ne pouvant sérieusement se soustraire à l’obligation cardinale qui est la leur de respecter la Constitution en toutes ses dispositions, les parlementaires français n’ont plus d’autre choix - à moins d’ignorer volontairement la Loi fondamentale – que de se constituer immédiatement en Haute Cour et d’engager la procédure de destitution du président de la République prévue par l’article 68 de la Constitution.

 

Note à propos de la destitution

Entrée en vigueur en 2014, la disposition constitutionnelle décidée en 2007 qui a remplacé la Haute Cour de justice par la Haute Cour a fondamentalement modifié l’encadrement juridique. La Haute Cour de justice était composée de 12 députés et 12 sénateurs, soit une représentation des parlementaires élus par leurs collègues et qui jugeaient en leur nom. Avec la réforme, c'est tout le Parlement qui est réuni en Haute Cour, de telle sorte que chaque parlementaire prend la responsabilité de destituer le chef de l’État. Comme pour le Congrès, la décision doit être adoptée par les deux-tiers d'entre eux (617 députés et sénateurs), une condition rigoureuse qui s'explique par le fait que le président de la République est élu au suffrage universel direct depuis 1965.

Devenue un acte politique extrêmement puissant de la représentation nationale, la destitution repose sur un large consensus, non plus sur une simple opposition politique au président de la République.

Les motifs pour destituer un président français ont également évolué. Comme l’explique le constitutionnaliste Pascal Jan, professeur à Sciences Po Bordeaux, s’il fallait avant 2007 qu'il se soit rendu coupable de « haute trahison », il doit désormais s’être rendu coupable de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » .

Ces termes sont volontairement imprécis mais contrairement aux apparences ils sont désormais de nature à compenser la précédente version de l'article 68 de la Constitution qui était contestable.

La haute trahison avait en effet une dimension pénale, tout en n'ayant jamais été définie dans le Code pénal. Or, comme l’explique le juriste précité, le principe qui remonte à 1215, aux fondements des États libéraux, énonce que l’on ne peut être accusé que de crimes et de délits qui sont prévus et définis par la loi. Si derrière la haute trahison on aurait pu mettre un grief politique, ce qui n’était pas le cas, la situation est aujourd'hui très claire puisque l'article 68 montre qu’un « manquement » ne signifie pas une infraction pénale. C'est une faute politique, qui peut avoir des conséquences pénales ou ne pas en avoir.

Refuser de promulguer une loi pour un président, par exemple, représente un manquement à son mandat qui peut, en plus, être sanctionné par le Code pénal.

Déclencher une guerre en dehors d’un cadre constitutionnel sur la base d’arguments fallacieux ou non sérieusement prouvés en portant atteinte à la souveraineté d’un État représente là encore un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », justifiant sa destitution.

 

Notes et références

 

http://www.atlantico.fr/decryptage/quand-etrange-bellicisme-humanitaire-occident-en-syrie-se-double-pratique-double-standard-3364855.html

 

http://www.atlantico.fr/decryptage/lost-translation-comment-syrie-chine-en-passant-hongrie-occident-perdu-mode-emploi-monde-aujourd-hui-alexandre-del-valle-nicolas-3364226.html/page/0/2

 

Attaque chimique du 7 avril 2018 (Douma, Ghouta orientale, Syrie)

Programme chimique syrien clandestin 14 avril 2018. Évaluation nationale.

 

https://www.defense.gouv.fr/content/download/528742/9123389/file/180414%20-%20Syrie%20-%20Synthe%CC%80se%20-%20Les%20faits.pdf

 

Article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958 Titre V : Des rapports entre le Parlement et le Gouvernement modifié par LOI constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet... - art. 13

 

La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.

Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote.

Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.

Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l'ouverture de la session suivante.

 

Constitution du 4 octobre 1958 Titre IX : La Haute Cour

Article 68 modifié par Loi constitutionnelle n°2007-238 du 23 février ... - art. 1

Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article.

Liens relatifs à cet article cité par :

Constitution du 4 octobre 1958 - art. 67 (V)
LOI n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 - art. 1 (V)

 

Destitution

http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/destituer-un-president-francais-ce-ne-serait-pas-invraisemblable-13-05-2016-5790341.php

 

Bellicisme

https://www.polemia.com/les-sept-piliers-de-la-folie-belliciste/

 



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