Tennis, Djokovic et souvenirs ...
Je dois au tennis de grandes émotions.
Petite fille de douze ans, il était pour moi le symbole d’une élégance qui n’appartenait pas à ma classe sociale. Voilà pourquoi, lorsque mes parents m’ont inscrite dans un club (municipal !) et m’ont acheté la fameuse jupe plissée, je suis entrée dans un autre monde. Pour ne pas y rester longtemps car personne autour de moi ne jouait au tennis. Et renvoyer la balle ayant en face de soi une amie tout aussi débutante, n’entraîne qu’à la course à pied.
Des années après, j’avais 28 ans , j’ai quand même pu reprendre mon rêve. C’était la grande époque de Borg, Mac Enroe. J’ai vu les débuts de Navratilova à Aix-en-Provence. Un soir, à Monte-Carlo, sur un court secondaire, seule spectatrice, j’ai vu un match incroyable entre deux joueurs inconnus dont l’un s’appelait Pecci. A Grenoble, lors d’une Coupe Davis, j’ai vu Noah dominer un instant un Mac Enroe rêveur qui s’était soudain réveillé dans son génie.
Le tennis, comme on me le faisait remarquer ce matin, et je souscris à cette comparaison est un autre art martial. Le fait de n’avoir que deux joueurs face à face, mais aussi la grandeur du court, permettent de déchiffrer les stratégies, l’intelligence du jeu , l’habileté , le coup de génie qui prend aux tripes. Ah ! Ces passings de revers le long de la ligne ! Le tennis est beaucoup plus riche en émotions que le football, que j’aime aussi, qui ne propose que quelques buts. Car au tennis, des points gagnants et héroïques, il y en a beaucoup plus.
De l’héroïsme…Oui, quand le match avance, quand la fatigue plombe les jambes et qu’il faut être plus résistant que jamais, sortir ses meilleurs coups. Comme tout sport, le tennis est mental. Et c’est peut-être ce qui a manqué hier à Djokovic, la conscience de la victoire à venir, tétanisé à certains moments, prenant les pires décisions, n’arrivant pas à allonger ses coups devant un Wawrinka inspiré. Il y avait un tel enjeu sur ce match. Djokovic avait gagné Wimbledon, Flushing Meadows , l’open d’Australie. Il ne manquait que Roland-Garros à sa couronne. Il allait rejoindre les sept grands joueurs qui ont réussi cet exploit. Les rêves du petit gamin yougoslave qui avait découvert le tennis à six ans, qui avait vaincu son allergie au gluten, allaient enfin se réaliser.
Et non…
Il y a de la beauté et de la cruauté dans ce sport qui est un monde à l’image du nôtre.
Un de mes plus beaux souvenirs est celui de ce point que Wilander rendit à José-Luis Clerc alors que l’arbitre lui accordait la victoire et le titre de Roland Garros. Je revois cette seconde où Wilander hésite à suivre l’avis de l’arbitre, puis rend le point.
Non, tout le sport ne se résume pas à la FIFA.
Je l’ai pratiqué en petite joueuse au classement modeste (15/5). Quelle joie ces déplacements avec les copines, ces matches où tout le monde s’encourageait où l’on finissait par connaître toutes les joueuses de la région. Et où la rencontre se terminait devant un bon rosé du coin. On allait, en ce temps-là, faire un tour à Vintimille car il était possible d’acheter du Fila à un super prix. Du Tacchini aussi ! Et on revenait avec ces robes affriolantes aux couleurs acidulées qui étaient si chouettes sur nos corps bronzés de filles sportives.
Le tennis est aussi un charmant moyen de draguer. Je me souviens de ces premiers rendez-vous avec « Lui ». Qui joue mieux que vous, bien sûr. Et l’on commence à jouer appliqué avant de rire pour n’importe quelle balle ratée et de frissonner quand il monte au filet et plaque une volée claquante.
Le tennis, c’est le ciel bleu, la terre battue si rouge. Celle de San Remo, par exemple sous des palmiers immenses.
Hier, après avoir perdu, après avoir longuement serré Wawrinka dans ses bras, Novak Djokovic a été honoré de ce fameux plateau en argent ridicule, car jamais il ne pourra porter le champagne de la victoire. Il était donc là, avec son plateau, écoutant son vainqueur qui, généreusement appelait sur lui un prochain triomphe quand est arrivé le moment où le public devait rendre hommage à son talent. Il a d’abord pris ces applaudissements avec joie, comme s’il retrouvait à travers eux cette certitude, qu’il était un grand joueur, que ce n’était qu’une défaite transitoire, puis ces applaudissements se prolongeant, le public se levant, ces applaudissements ne finissant jamais, il a baissé la tête, ne pouvant retenir quelques larmes, ces fameuses larmes de joie inexplicables. Car c’étaient des larmes de joie.
Certains me diront qu’il y a eu hier bien d’horribles malheurs en ce monde. Et qu’il est futile de penser à ces larmes là.
Mais notre sensibilité, craignant d’être transpercée, évite les pensées trop cruelles et se forme, s’éduque, s’apprivoise dans ces moments où des hommes, sur un stade, lieu symbolique des combats où la mort ne frappe pas, font comprendre à quelqu’un cette phrase que nous aimerions entendre de tous : « Peu importe le résultat. On t’aime. »