mardi 1er octobre 2019 - par Bertrand Loubard

Titi Palé[1], Paul Kagamé et le deuxième acte de la Tragédie Rwandais

Paul Kagamé et la tragédie rwandaise sont dignes du « Macbeth » de Shakespeare, de « La Tragédie du Roi Christophe » d’Aimé César ou encore de « Moi, Antoine de Tounens, Roi de Patagonie » de Jean Raspaille. Dès lors, comme dans toute tragédie, il n’est pas inutile de repréciser tous les personnages, leurs rôles, le cadre historique, chronologique et géographique de la catastrophe rwandaise encore et toujours en train de se jouer actuellement. Ces précisions allaient-elles être enfin données ? Car à la « veille » du 29ième anniversaire de l’invasion du Rwanda par l’armée ougandaise, le 1er octobre 1990, un livre intitulé « Les Etats-Unis et le Rwanda Génocidaire »[2] a éveillé ma curiosité, suscité un espoir et finalement m’a particulièrement interpellé, mais aussi, malgré tout, déçu.

Allait-on enfin entendre un récit conforme à la réalité, un autre son de cloche que celui du discours convenu dont on nous rebat les oreilles depuis 25 ans à propos du drame rwandais ? Malheureusement, je ne sors pas totalement convaincu de la lecture de cette « étude ».

D’une part, il faut bien reconnaître que pour la tragédie rwandaise, le premier acte, des années 60 jusqu’en 1990, est abondamment documenté : Révolution sociale ; Renversement du régime féodo-monarchique de droit divin basé sur un code ésotérique transmis oralement par des « mages » (Biru) ; Avènement d’une première république et d’une seconde ; La Première Attaque Ougandaise du 01/10/1990 sera le dernier tableau de ce premier acte. Ensuite, le deuxième acte, d’octobre 1990 à octobre ..... 2020, donc actuellement en cours, lui a aussi déjà valu et lui vaudra encore de nombreuses analyses et études des différentes scènes : Guerre de trois ans et demi ; Massacres et contre-massacres, Tactique du « Talk and Fight », Infiltrations-Trahisons, « Abdication » de la Communauté Internationale, Accords d’Arusha et Génocide des Tutsis, Installation de la Dictature de Paul Kagamé, Faillite du TPIR d’Arusha, Deux Guerres « Mondiales d’Afrique Centrale », et la Scène actuelle, celle des tensions du Rwanda avec ses voisins et l’UA, sur fonds d’Ebola.

On retrouve, un « peu de tout cela », presqu’aussi condensé que dans les quelques lignes ci-dessus, dans l’« étude »[3] de Titi Palé. Mais elle, elle « produit ce digest » en 100 pages sur un total de 135. On a l’impression qu’énumérer synthétiquement les délits, citer « nommément » les coupables ne doivent pas faire l’objet d’analyses « académiques » dans la description du Génocide : une histoire classique de bons contre des mauvais, pour l’obtention d’un M2, avant un doctorat ?

Cependant Titi Palé tout en situant le rôle des USA dans ce drame, le délaye dans une chronologie[4] et une aire géographique trop vastes[5], selon moi. Ce « recentrage » introductif prend plus des deux tiers de ce livre et donc dilue, en quelque sorte, l’objectif que son titre laissait, enfin, espérer d’atteindre. De plus ce « cadrage » (relativement improductif) reprend malheureusement les « standards » traditionnels[6], les antiennes sempiternelles[7], les litanies immuables[8], les habituelles approximations[9], les erreurs de faible intensité[10][11], les chiffres douteux[12], les raccourcis extrêmes[13] qui n’apportent à l’exposé ni l’étoffe espérée, pour les faits, ni les éléments connus mais rarement évoqués pour ce qui est des acteurs[14], des responsables. Bien entendu, il ne s’agit pas d’investigations à la Péan, ni de « journalisme » à la Braeckman, il ne s’agit pas non plus de fresque historique à la Lugan ou Reyntjens. Il n’est question ici que d’un extrait d’un « travail » en vue d’un M2 sur le sujet.

On était, cependant, en droit de s’attendre à une analyse pointue du rôle des USA dans le génocide. Or c’est d’une manière assez chaotique, à partir du chapitre 6 et dernier (22 dernières pages) que Titi Palé passe, presque sans transition, des superlatifs pro-FPR à la « gloire » de Paul Kagamé aux libellés les plus « radicaux » et accusateurs du FPR pour la période post-génocide de juillet 94 à aujourd’hui. Mais ce n’est qu’à la page 123 qu’enfin la Fondation Clinton est citée. Enfin il est question de la constellation d’entreprises et autres lobbies qui orbitent dans la nébuleuse Clinton et de la Global Initiative du même nom (financée, entre autre, par Jeffrey Epstein ?). Je regrette que Titi Palé n’entre pas dans plus de détails sur cet aspect central de la tragédie rwandaise, n’analyse pas les acteurs et leur personnalité spécifique à chaque tableau, à chaque scène. Car ce sont dans ces détails que le diable se cache. Pourquoi ne cite-t-elle pas des gens comme le Général John Shalikashvili[15], ou Erik Prince[16], ou Roger Winter[17], Charles Vukovic[18], Samantha Power[19], Susan Rice[20]. Ce qui est plus surprenant encore c’est que ni David Rawson[21], Ambassadeur US à Kigali en 1994, ni Robert Flaten qui l’a précédé dans ce poste au Rwanda, ni Robert Krueger Ambassadeur US au Burundi[22] à partir de mai 1994, ne semblent avoir été « pris » en compte pour leurs rôles dans la tragédie, pour ce qu’ils ont écrits officiellement ou dit explicitement (sauf erreur de ma part .... ).

Par contre dans les dernières pages de ce livre, est montré « Le Célèbre Fax de Dallaire », qui pose encore aujourd’hui la question de son authenticité .... et UN extrait de Wikileaks est également repris .... la pointe de l’iceberg ?

En tout cas, la question qu’on pourrait se poser à la parution de ce livre, est de savoir comment la maison d’édition, « L’Harmattan », ne s’est pas vue menacée par les gardiens de la foi et de l’orthodoxie pro-Kagaméenne. Comment le FPR et les tenants du « Nihil Obstat » et l’« Imprimatur » n’ont-ils empêché la publication ? Puisque cela semble être actuellement le cas avec la traduction française du livre de Judi Rever « In Praise Of Blood »...que Fayard refuserait d’éditer ????

Finalement, comme tout bon scribouillard lambda qui, normalement, voit la paille ....je me dis que si j’avais été membre du jury pour le M2 en question, j’aurais dit : « Peut mieux faire et fera sans doute mieux pour un doctorat » .... Et bon vent à Titi Palé !!!!

 

 

[1] « Les Etats-Unis et le Rwanda Génocidaire » - L’Harmattan : ISBN 978-2-343-17734-2

[2] Titre lapidaire, elliptique et prometteur ?

[3] Reprise et approfondissement de son travail de recheche académique, en vue de l’obtention d’un Master 2 en Diplomatie à l’IDP

[4] Versailles, Yalta, ........

[5] Est - Ouest – Traité de l’Atlantique nord Nord versus pacte de Varsovie

[6] « Le génocide fut le produit du racisme aux racines coloniales et missionnaires » p21

[7] « A l’origine de tout ce bazar contemporain ... il y a la racialisation des Hutu et des Tutsi sous la colonisation belge. » p22

[8] ... « la guerre civile de 1990à 1993 » pp 26-27-53-62-75-77-81 et suivantes

« ...rebelles...rébellion » pp 77-80 et suivantes

[9] « Le tort de Lumumba est d’avoir recouru aux Soviétiques .....pour surtout déloger l’armée du roi des Belges de la province rebelle du Katanga » p 43

[10] « Le 6 avril 1994.....les présidents assassinés ....par le sabotage de l’avion » p 79

[11] « Tutsi et Hutu ...parlent la même langue bantoue originelle (le kinyarwanda) »

[12] « Le 1er octobre 1990 .... une centaine d’hommes armés .....parvient assez facilement jusqu’à Gabiro (à 90 Km de Kigali) » pp 74-89. Il aurait fallu préciser que la frontière Ougandaise d’où est partie cette « centaine d’hommes » est à 44 km de Gabiro et la route empruntée est limitée à l’Ouest par la réserve de chasse du Mutara (20.000 ha) et à l’est par le reste du Parc de l’Akagéra (250.000 ha), deux zones vides de toute population et de toute infrastructure de défense militaire (à part Gabiro). Par cette route Gabiro est à 138 km de Kigali. Le Rwanda faisant 2.700.000 ha.

[13] Les accords d’Arusha en 24 lignes : p 78

[14] « Le Vice - Président nommé est Paul Kagamé ». Auto-proclamé aurait été plus exact, les accords d’Arusha ne prévoyant pas ce poste. p 81

[15] Premier conseillé militaire de Bill Clinton – Planificateur de l’Opération « Distant Runner » et de la présence, à Bujumbura, de l’US Army, avant l’attentat du 6 avril 1994 (BJM-KGL :175 Km !)

[16] Future patron des sinistres “Blackwater”, qui avait proposé à Bill Clinton d’arrêter le génocide avec les moyens dont il disposait.

[17] Célèbre agent de la CIA, un des acteurs de derrière le décor de l’attentat du 6 avril 1994. Décoré par Paul Kagamé pour « Services Rendus »

[18] Attaché Militaire US avec résidence au Cameroun arrivé à Kigali la veille de l’attentat.

[19] Qui révéla la présence à Kigali, des Forces Spéciales américaines », dans les premiers jours du Génocide, dans son livre « Problem from Hell » p354

[20] « Ils (FPR) savent ce qu’ils ont à faire, nous n’avons qu’à regarder ailleurs pendant ce temps-là »

[21] « Prelude to Genocide » - Ohio University Presse - David Rawson, agent de la CIA suivant certaines sources et actuellement “Personna Non Grata” au Rwanda



7 réactions


  • Olivier Perriet Olivier Perriet 1er octobre 2019 16:52

    « Noires fureurs, Blancs menteurs », comme dirait Paul « qu’a cagué »

    REP Pierre Péan


    • Bertrand Loubard 1er octobre 2019 21:58

      @Olivier Perriet

      Merci du commentaire.

      Effectivement, je crois que Pierre Péan avait mis le doigt sur les points les plus sensibles du drame rwandais. Est-ce une raison, pour Titi Palé, de ne citer que les faits qui ont valu à Péan de se voir traîné en justice par SOS Racisme (par Dominique SOPO qui a osé dire qu’invoquer le sang de Hutus souillait le sang des Tutsis, comme si le sang des Tsiganes et des Homosexuels souillait le sang des Juifs ????). Pourquoi ne dit-elle pas que Péan a été acquitté ?????

      Bien à vous.


  • Paul Leleu 2 octobre 2019 01:39

    concernant l’Edition Harmattan, je crois que ça tient à son mode d’organisation assez décentralisé je crois... je ne sais plus trop, mais on m’avait expliqué un truc, qui fait que l’Haramattant laisse passer des choses... effectivement, c’est certainement beaucoup plus compliqué dans des maisons d’éditions plus traditionnelles...

    sinon, c’est clair que le titre, comme vous le dites, est en soi une petite révolution...

    le pire de l’histoire, c’est que je crois que depuis cette époque la Chine a piqué aux américains la plupart de leurs positions dans les mines de terres rares... et que tout cela n’a en fait « servi » à rien ! Faudrait vérifier...

    par ailleurs, si ça vous intéresse, vous pouvez regarder la conférence du Général Tauzin sur le Rwanda donnée au Cercle Aristote... elle est disponible en 2 parties sur You-Tube, et vaut le détour... c’est lui qui commendait les militaires français avant, pendant et après le génocide au Rwanda... (c’est notamment lui qui a repoussé l’offensive de 1990, et il raconte ça très bien).


    • Bertrand Loubard 2 octobre 2019 16:01

      @Paul Leleu
      Merci de votre commentaire. Je dois avouer ne pas bien connaître les Editions de l’Harmattant (L’harmattant étant un alysé, un vent de sable, qui peut aveugler ... etc.). Cependant toute maison d’édition à une politique rédactionnelle et les outils de mise en œuvre des objectifs recherchés (quels qu’ils soient). J’ai été un peu déçu de quelques « coquilles » ou copier - coller raté ... (je ne vois que très rarement les pierres orthographiques que je laisse dans mes lentilles « scriptorrhéiques ») mais surtout étonné qu’il n’y ait pas eu les réactions habituelles (à ma connaissance) des « gardiens de la révélation kagaméenne ». Pour le Général Tauzin j’apprécie son côté « plutôt Colombe que Faucon » et surtout son analyse de la réalité rwandaise que je partage sur la plupart des points. Vous dites : « c’est notamment lui qui a repoussé l’offensive de 1990, et il raconte ça très bien ». Si mes souvenirs sont exacts, il s’agit plutôt de l’offensive FPR sur Ruhengéri de février 1993 avec destruction des installations du barrage hydro électrique de Ntaruka et l’évasion du Colonel Théoneste Lizinde enfermé à la prison de cette Préfecture, depuis sa tentative de coup d’état raté de 1980.
      (http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wpcontent/uploads/2010/01/Annexe_23.pdf
      Bien à vous.


  • foufouille foufouille 2 octobre 2019 16:27

    En vrai, c’est de la faute des surhommes blancs avec don d’ubiquité ou contrôle genre charles xavier et cérébro qui obligeait le bras noir qui tenait la machette vendue par des sales blancs à couper des noirs tout gentils et supérieurs aux autres races inférieures.


    • Bertrand Loubard 2 octobre 2019 17:55

      @foufouille
      Merci pour le commentaire dont je ne suis pas certain de bien saisir le sens. Dans le drame rwandais, les « responsabilités », on peut en trouver à tous les niveaux, dans tous les groupes et dans chacune des personnes qui ont participé, ont refusé d’intervenir ou qui se sont retrouvées impuissantes à s’interposer .... Mais les analyses qui se font, par après, tentent, pour beaucoup, comme celle de Titi Palé, à faire entrer dans un carcan, un scénario, une structure logique de jeux de rôle, les tensions dramatiques difficilement dicibles de l’ensemble de cette tragédie, comme dans « Macbeth », comme dans le « Roi Christophe », avec les contraintes inhérentes aux récits adoptés. Il y a eu des romans, des films et même des pièces de théâtre qui ont été montrés pour résumer en deux ou trois heures une tragédie à la dimension de l’humanité. Mais il y a aussi une intention politique dans toute œuvre artistique. Pourrait-il également y avoir une orientation tactique dans l’étude universitaire de Titi Palé ? .... Ce pourrait-il être dans le sous-entendu ou par la structure même du travail de Titi Palé qu’il faille espérer qu’une « suite » lui soit donnée ? Une suite, un doctorat, qui satisfasse l’attente d’un très grand nombre d’observateurs totalement insatisfaits de ce qui s’édite actuellement sur le drame rwandais.
      Bien à vous.


    • foufouille foufouille 2 octobre 2019 18:01

      @Bertrand Loubard

      désolé mais d’habitude c’est de la faute du blanc même si la machette était dans une main noir.


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