Tout changer pour que tout demeure…
Les deux décisions du Conseil d’Etat sur recours du Ministre de la Santé ne doivent pas leurrer : l’Etat en sort encore plus fort. C’est Masque, masque et masque tout le temps et sur des périmètres lisibles donc sans fignolage.
Tout changer pour que tout demeure… Cette formule de Giuseppe Tomasi di Lampedusa trouve à s’appliquer admirablement aux deux ordonnances du Conseil d’Etat, rédigées le 6 septembre 2020 par Mme Pascale Fombeur. Il faut tout le talent rédactionnel de cette conseillère d’Etat pour noyer le poisson et donner l’impression, aux uns et aux autres, d’avoir gagné alors que le seul vainqueur est le maître d’hier qui reste le maître d’aujourd’hui, à savoir l’Etat.
Le Conseil d’Etat a donc jugé en appel les ordonnances des juges des référés de Strasbourg et de Lyon qui avaient suspendu les arrêtés des préfets du Rhône et du Bas-Rhin. L’Etat, mécontent de ces ordonnances, souhaitait régler au plus vite les petites contrariétés nées du zèle de ces deux juges. Le Conseil d’Etat, ainsi que l’impose le code de justice administrative, s’est donc prononcé dans les 48 heures de sa saisine.
Le contenu des deux décisions du 6 septembre 2020
Ces deux décisions adoptent une logique rédactionnelle similaire paragraphe après paragraphe.
Les trois premiers considérants ou paragraphes des décisions du Conseil d’Etat (appelées aussi ordonnances) présentent principalement l’arsenal juridique mis en place depuis le 4 mars 2020 pour lutter contre la pandémie.
Le cinquième considérant évoque les décisions contestées prises par le juge des référés. Le sixième considérant est le paragraphe qui expose les circonstances de fait qui ont incité les préfets à prendre les arrêtés imposant le port du masque. Le Conseil d’Etat écrit à cette occasion :
- que la circulation du virus sur le territoire s’accélère depuis le mois de juillet (alors que tous les scientifiques non financés par Big Pharma disent que la pandémie est finie),
- que sur Strasbourg on décompte désormais 56 nouveaux cas pour 100 000 habitants et que pour le département du Rhône le nombre de nouveaux cas est de 90 cas pour 100 000 habitants alors que le seuil d’alerte est de 50 cas pour 100 000 habitants. Ces chiffres sont alarmants sauf si on se souvient que le seuil d’alerte pour une pandémie est de 150 cas pour 100 000 habitants, seuil opportunément abaissé à 50/100 000 pour la Covid-19. Ce dernier point n’est pas évoqué par le Conseil d’Etat car cette information troublante (l’abaissement du seuil d’alerte) est sans doute ignorée par ce dernier.
Le Conseil d’Etat rappelle que la pandémie a fait plus de 30 000 décès en France en dépit de mesures « rigoureuses » d’interdiction de la plupart des déplacements prises par la Gouvernement. Ce dernier point est hélas vrai pour le nombre de décès et les interdictions de la plupart des déplacements mais ce que le Conseil d’Etat ignore, c’est que l’interdiction de la plupart des déplacements n’est pas une mesure ayant des d’effets sur la mortalité du Covid-19 : ce qui a, ou aurait du avoir des effets, c’est la diffusion de masques en phase ascendante de la pandémie (en mars), mais à cette date le Gouvernement avait diffusé des déclarations « rigoureuses » sur l’inutilité des masques ; ce qui aurait pu avoir de l’effet, c’est de laisser les médecins prescrire à leurs malades le traitement qui leur semblait le plus approprié, mais à cette date le Gouvernement avait pris des mesures « rigoureuses » d’interdiction de la bithérapie de l’IHU de Marseille et diffusé les conseils « rigoureux » de prendre du paracétamol et d’aller aux urgences quand on allait très mal pour y être intubé.
Au septième considérant, le Conseil d’Etat se lance dans l’exercice difficile de faire en 17 lignes une synthèse de l’état actuel des connaissances sur le virus et son mode de propagation. Il reprend les éléments de langage de l’OMS, du Haut conseil de la santé publique, du conseil scientifique covid-19, d’études épidémiologiques récentes (lesquelles ?) et de la littérature scientifique existante (celle du Lancet ?) pour affirmer que le port systématique du masque en plein air est recommandé en présence d’une forte densité de personnes ou lorsque les règles de distanciation ne peuvent pas être respectées (cette affirmation est la reprise d’un avis du 20 août 2020 du Haut conseil de la santé publique). Le Conseil d’Etat affirme que le port du masque ne présente pas de risque particulier pour les personnes qui le portent renvoyant ainsi aux orties toutes les études et déclarations de médecins qui indiquent que, dans certains cas et pour certaines personnes, le port du masque peut présenter des risques.
Le huitième considérant expose les motifs pour lesquels les juges des référés ont suspendu le port du masque. Le Conseil d’Etat en profite pour glisser le nouvel élément de langage du Gouvernement : « il est largement admis par la communauté scientifique que le masque constitue un moyen efficace pour contenir cette pandémie ». Le Conseil d’Etat a des écoutes très sélectives de la communauté scientifique ou alors il présente de sévères altérations de l’ouïe. En effet, il n’aura échappé à personne qu’il est largement admis par la communauté scientifique, et surtout la communauté sans liens d’intérêt avec Big Pharma, que le port du masque en plein air et maintenant n’a aucun intérêt sauf dans des contextes très particuliers de très forte densité de population.
Le Conseil d’Etat rappelle que le juge de Strasbourg a constaté que l’arrêté de la préfète s’appliquait toute la journée et sur l’ensemble du territoire des 13 communes de plus de 10 000 habitants alors même qu’il n’existerait pas en permanence, sur la totalité du territoire de ces communes, une forte concentration de population ou des circonstances particulières favorisant la propagation de la Covid-19. Il rappelle que le juge de Lyon a constaté que l’arrêté du préfet s’appliquait toute la journée et sur l’ensemble du territoire des communes de Lyon et Villeurbanne alors même qu’il n’existerait pas une nécessité d’imposer le port du masque d’une façon aussi générale.
Dans le neuvième considérant, le Conseil d’Etat expose les raisons qui ont conduit le ministre à le saisir : le motif principal serait la difficulté d’application de précédents arrêtés imposant le port du masque dans des zones très précisément définies, peu compréhensibles et mal respectées. En clair, le ministre veut du pratique et pas de détails : on impose le masque partout, comme ça, c’est plus simple pour contrôler et sans doute verbaliser.
Le Conseil d’Etat fait le point dans le dixième considérant sur ce qu’est une mesure proportionnée de police : on tient compte de ses conséquences sur les personnes concernées, son caractère approprié pour atteindre un but d’intérêt général, sa simplicité, sa lisibilité.
Le cœur des décisions du Conseil d’Etat :
Le onzième considérant est capital. Si on veut lire rapidement les décisions du Conseil d’Etat, c’est là qu’il faut se précipiter pour savoir à quoi s’en tenir.
Pour le référé de Strasbourg : Mme Fombeur indique que le fait, pour la préfète, de ne pas avoir exclu le port du masque sur certaines périodes horaires ne constituait pas une atteinte à une liberté fondamentale. Mme Fombeur ajoute que l’exclusion sur certaines périodes horaires ne pouvait concerner qu’une période nocturne, d’un intérêt limité. Mme Fombeur, la nuit elle dort ou s’amuse entre ses quatre murs mais elle ne sort pas. C’est dommage, car en période nocturne, il y a peu de monde (donc une très faible densité de population dans les rues) et regarder les étoiles sans porter de masque, c’est sympa. Le Conseil d’Etat est hermétique à la poésie des clairs de Lune…. Si Mme Fombeur n’est pas une noctambule, elle a déjà visité des villes de plus de 10 000 habitants et constate que certaines zones des 13 communes du Bas-Rhin pouvaient ne pas être soumises à l’obligation du port du masque. A ce stade de la lecture du considérant, le lecteur se dit que le ministre va être débouté. C’est ignorer le côté « jésuistique » de Mme Fombeur dans sa tenue de plume. Elle va donc écrire que le ministre avait raison de considérer que le juge des référés a eu tort d’enjoindre à la préfète de prendre un nouvel arrêté excluant de l’obligation du port du masque tous les lieux des communes et les périodes horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population alors que ce juge aurait du enjoindre d’exclure de l’obligation du port du masque les seules parties des communes permettant une délimitation cohérente des zones englobant les points de leur territoire caractérisés par une forte densité de population et la difficulté d’assurer la distance physique.
En conséquence, la préfète du Bas-Rhin pourra donc reprendre ses arrêtés obligeant le port du masque :
- sans contraintes de différenciation d’horaires (donc en plein air, le port du masque c’est 24H/24H), - mais en prévoyant des périmètres permettant d’englober de façon cohérente les lieux à forte densité.
En résumé, la délimitation d’une zone obligatoire du port du masque n’a pas à se faire dans la dentelle, c’est-à-dire en fonction des lieux, places ou rues à forte densité. Cette zone obligatoire du port du masque doit se concevoir de façon globale, en englobant tous les lieux à forte densité de population, quitte à englober aussi des zones à moins forte densité de population dès lors que le périmètre de cette zone d’obligation du masque est cohérent, lisible et donc forcément plus facile à contrôler.
Pour le référé de Lyon : le Conseil d’Etat fait le même raisonnement pour les horaires : la nuit on s’en moque, c’est masque ! Pour le découpage des zones, le Conseil d’Etat considère que le juge de Lyon a trop fignolé en évoquant de possibles zones à Lyon et Villeurbanne qui pourraient être non concernées par l’obligation du port du masque. Le Conseil d’Etat considère que, eu égard la densité particulière de ces deux villes, le port du masque, c’est sur tout le territoire. C’est plus lisible et donc forcément plus facile à contrôler. Conscient que le territoire couvert par ces deux communes est très important, le Conseil d’Etat propose de ne pas imposer le masque aux personnes pratiquant des activités physiques ou sportives. Les lyonnais qui déambuleront dans le parc de la Tête d’or, à Gerland ou dans les cimetières devront porter le masque, sauf s’ils font du sport !
En conclusion
Le Conseil d’Etat, par des phrases comportant souvent des doubles négations, donne l’impression de tout changer (et donc de suivre les juges des référés contre les préfets) en ne prononçant pas l’annulation des ordonnances de référé qui lui sont soumises. Toutefois, en ne modifiant que le « périmètre » des injonctions adressées aux préfets par les juges de Lyon et de Strasbourg, rien ne change et même cela s’aggrave : le masque, c’est 24H/24H, et des zones de faible densité peuvent être englobées dans un périmètre de port obligatoire du masque pour assurer aux mesures préfectorales une bonne lisibilité. Ce qui est lisible, c’est que le Conseil d’Etat suit avec beaucoup de déférence le Gouvernement dans ses mesures autoritaires pour une pandémie à l’agonie.
Régis DESMARAIS