mercredi 1er août 2018 - par Renaud Bouchard

Un dictateur au petit pied : Sylla ou Caligula ?

Moi, Lucius, Cornelius Sylla, détenant la magistrature suprême, j’ai renoncé à des honneurs et à des pouvoirs qu’aucun Romain n’avait connus avant moi. J’avais reçu ceux-là sans vanité, j’ai exercé ceux-ci sans faiblesse.Un jour, à la foule des citoyens assemblés sur le Forum, j’ai dit que je cessais d’assumer les fonctions confiées par le Sénat. Personne n’a protesté ni applaudi.Silencieuse, la foule paraissait frappée de terreur. D’un geste j’ai congédié mes vingt-quatre licteurs porteurs de haches. Depuis deux années ils assuraient ma protection et symbolisaient la puissance de la magistrature. Une litière m’attendait, attelée de chevaux rapides... Plus de messages à dicter, d’ambassadeurs à recevoir, de décrets à signer... Les sabliers, les clepsydres, les cadrans solaires, je les ai fait disparaître…

Bernard Simiot, Moi Sylla, dictateur, Albin Michel, 1993

 

Ces lignes superbes qui introduisent le livre passionnant de Bernard Simiot consacré à Sylla, général, consul, réformateur politique et dictateur (138-78 av. J-C.), parlent d’un homme qui fut l’un des personnages les plus énigmatiques de la fin de la République romaine : d’une part type de noble romain, d’autre part personnage imprégné d’une sorte d’idéologie hellénistique et prototype, ainsi que le relève l’Encyclopédie de l’Antiquité classique, des aspirations monarchiques de César.

Son abdication inattendue constitue l’un des grands problèmes de l’Histoire qui, en dépit de nombreuses hypothèses, reste encore aujourd’hui une énigme.L’Histoire ne serait-elle pas faite par ceux qui la racontent ? s’interroge Sylla au soir de sa vie. Où les historiens trouveront-ils la vérité de Sylla quand Sylla la recherche encore ? se demande-t-il.

Vingt siècles plus tard nous n’en sommes plus à disserter sur la valeur politique d’un homme d’État mais bien sur les errements d’un dictateur au petit pied dont la jeunesse, l’inexpérience et l’arrogance (« Qu’ils viennent me chercher ! ») confinent à l’imprudence ou à tout le moins au sentiment d’impunité et de mépris pour les citoyens d’un pays aux destinées duquel il entend présider.

« L'usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre, écrit Montesquieu, me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme on cache les statues des dieux. »

Certes, mais encore faut-il être à la hauteur des décisions à prendre et des événements à mesurer pour devenir dictateur en exerçant cette magistrature d’exception propre à cette fonction lorsque les circonstances l’imposent.

Nous en sommes très loin.

 

I- Avant-hier
 

C'est un fait remarquable et très à l'éloge de la République romaine que les dictateurs, choisis parmi les citoyens les plus considérés, n'abusèrent presque jamais de leurs pouvoirs. Dès qu'ils avaient rempli la fonction qu'on leur avait désignée, conjuré les périls imminents, ils abdiquaient, plusieurs au bout de quelques jours seulement.

Il serait excessif de vouloir noter une différence radicale entre les dictateurs investis de pouvoirs généraux nommés pour gouverner (rei gerundi causa) ou guerroyer (belli gerundi causa) et les dictateurs spéciaux. La différence existait peut-être en droit dans le libellé de la loi curate de imperio votée pour le dictateur ; en tout cas, elle existe surtout dans les faits. Les dictateurs spéciaux avaient en principe les mêmes pouvoirs, sauf à n'en user que pour l'objet défini qui avait motivé leur désignation.

Sans doute avons-nous vu Sylla dont nous parlons ici prendre le titre de dictateur, mais la dictature de Sylla et les diverses dictatures de César n'ont de commun que le nom avec l'ancienne dictature républicaine. Sylla et César furent malgré tout de véritables monarques qui prirent le titre de dictateur (ou même de dictateur perpétuel) pour donner une apparence de légalité à leur pouvoir tyrannique.

Ils ne se conformèrent en rien à la loi de dictatore creando, et prolongèrent sans hésiter leurs pouvoirs au delà de six mois. Sylla se fait nommer par un interroi ; César par un préteur. Sylla fut dictateur republicae constituendae causa avec une mission et des pouvoirs comparables à ceux des anciens décemvirs. C'est par une hypocrisie inutile qu'après le meurtre de César, Antoine, par la loi Antonia (44) de dictatura tollenda supprima la dictature. La monarchie n'aura même plus besoin de ce vieux nom pour s'établir sur les ruines des magistratures républicaines. Auguste la dédaigna et la jugea impopulaire. Le titre même disparut.

 

II- De nos jours…
 

Certes, dira-t-on, l’Empire installa une toute autre manière de gouverner, y compris en des temps exceptionnels.

Mais que penser aujourd’hui en France, dans un pays qui a tant bien que mal réussi à adopter la forme républicaine, d’un dirigeant qui vient de se faire prendre au piège d’une opération mêlant l’exercice de fonctions régaliennes aux agissements d’hommes de mains dont le comportement, inacceptable dans un État de Droit, ne vient que conforter un constat sans appel qui a conduit au dépôt d’une double motion de censure ?

PNG La situation est simple : la France a désormais son petit Caligula, piètre dictateur au petit pied.

Tout comme le potentat victime de sa démesure, les premiers mois du règne de l’empereur furent marqués par une politique libérale et chacun, applaudissant la jeunesse de l’intéressé, se gardait bien de le critiquer. Folie pour l’un et hubris démesuré pour l’autre, l’exercice du pouvoir vira rapidement à l’aigre et toutes proportions gardées, on sera tenté comme je le fais ici d’opposer le fameux « qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent » du premier au désormais non moins fameux et à mon avis bien politiquement imprudent « qu’ils viennent me chercher !  » du second .

Le malaise est réel, à la hauteur des manquements constatés qu'un Pouvoir trop sûr de lui et encore persuadé d'être soutenu par une majorité politique opportuniste, tente de minimiser après avoir tenté de les cacher.

 

III- Le fond du problème
 

Ce qui est en jeu et qui va très probablement être confirmé est très simple : des patriotes, républicains, légalistes, soucieux de faire en sorte qu'un processus de rappel soit toujours là pour tempérer les excès et débordements politiques, ayant compris qu'un "coup d'Etat" constitutionnel se préparait, ont "sorti" l'Affaire Benalla pour mettre le Chef de l'Etat en difficulté en révélant sa volonté de se constituer une sorte de "garde prétorienne", un "service politique" spécial entièrement à sa main.

Il s'est manifestement passé "quelque chose" de très grave et d'anormal en haut lieu, qui a déplu et a conduit des gens à réagir au nom d'intérêts et pour des raisons qui restent à déterminer précisément mais qui ont toutes en commun pour commencer, de "siffler un penalty" à l'encontre du comportement adopté en douce par le Chef de l'Etat, et ce dans l'attente de le remplacer pour le cas désormais envisagé où il se révèlerait - contre toute attente de ses commanditaires et de ceux qui l'ont financé -, finalement incapable de mener à bien le programme pour lequel il a été mis en position d'être élu.

Le "premier de cordée" a en effet été rappelé à l'ordre par une secousse venant de ceux qui l'assuraient dans les coulisses, à moins qu'il ne s'agisse d'une réaction d'autres adversaires au sein même de certaines institutions ayant à coeur la protection de l'ordre républicain...

Un point est en effet désormais établi : le quinquennat ne pourra plus vivre sans les répliques de "l'affaire Benalla" promise à devenir "Affaire Macron".

 

IV- Des griefs réels

Affaiblir l'Assemblée Nationale, s'attaquer au bicamérisme, créer des circonscriptions à taille inhumaine, instaurer le scrutin proportionnel qui fabrique des élus hors sol seraient des évolutions constitutionnelles dangereuses, ainsi que l’a déclaré Christian Jacob, président du groupe Les Républicains.

« Si de si nombreux députés se sont levés depuis 10 jours pour dire non, c'est parce que nous tirons notre force du lien de proximité avec nos concitoyens, que nous ne sommes pas les pantins de partis.

Un parlement atrophié, composé de députés aux mains des appareils, serait dans l'incapacité du jouer son rôle de rempart.

Sachez, M. le premier ministre, que nous ne courberons pas l'échine face à ce projet de révision constitutionnelle qui a été ajourné et que vous seriez bien inspiré d'abandonner définitivement.

"L'Assemblée nationale est le premier des contre-pouvoirs.

L'histoire parlementaire de la Cinquième République retiendra que, durant quatre jours, au cœur du mois de juillet 2018, l'opposition, ici à l'Assemblée, a été à la hauteur de ses responsabilités.

Elle retiendra que, sans la pugnacité de tous les groupes d'opposition, la commission d'enquête n'aurait pas vu le jour.

Que sans notre détermination, les auditions auraient eu lieu à huis clos

Que les députés en Marche membres de la commission d’enquête sont apparus plus godillots que jamais.

C'est une très vive déception, pour la commission des Lois et pour notre Assemblée dans son ensemble."

 

En guise de conclusion provisoire 
Que dire de la curieuse mais concomitante suppression des comptes Twitter de tous ceux qui témoignent d’une attitude critique face aux récentes dérives de l’équipe politique en place et et de son « chef » ?
Les gens sont en train de comprendre qu’un lacet enserre leur cou.
Monsieur le Président, permettez-moi de vous prodiguer un conseil.
Prenez exemple sur Sylla.
Relisez aussi le Caligula d’Albert Camus, voulez-vous. Il y a urgence.
Vous y trouverez matière à réflexion et plusieurs répliques intéressantes qui pourraient vous être utiles :

« Ce n’est pas la première fois que, chez nous, un homme dispose d’un pouvoir sans limites, mais c’est la première fois qu’il s’en sert sans limites. » (II, 2)

 

« Des bruits d’armes et des chuchotements s’entendent » (IV)

 

Mais surtout, méfiez-vous des gardes prétoriennes et veillez à quitter le Pouvoir avant que ceux que vous avez invités à venir vous chercher finissent par vous prendre au mot.
Cela s’est déjà vu.

 

 

Sources :

 

Bernard Simiot, Moi Sylla, dictateur, Albin Michel, 1993

Jean H.Croon, Encyclopédie de l'Antiquité Classique, Séquoia, 1962

http://www.cosmovisions.com/dictature.htm

http://data.bnf.fr/12327937/albert_camus_caligula/

http://www.liberation.fr/france/2018/07/31/benalla-macron-cible-des-motions-de-censure-philippe-promet-de-ne-pas-ralentir-les-reformes_1669868



28 réactions


  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 1er août 2018 10:01
    A lire aussi sur Agoravox,ce très bon billet consacré à Marc Halevy et à son ouvrage intitulé : Les mensonges des Lumières, éditions du Cerf, 368 p., 18 €




    "Comme l’écrit Bernard Vergely dans sa préface, « nous avons un congé à donner à l’homme de pouvoir afin d’aller vers l’homme de lumière ».

    En renouant les fils de savoirs forcément incertains, le livre de Marc Halévy fait aller vers plus de jour, dissipant les ombres et les mystifications d’un monde organisée sur une fraude généralisée et l’inversion de tout ce qui était communément admis. Il donne assez de lumière pour éclairer le cheminement d’une conscience habitée par le désir de savoir, envers et contre tout – et, peut-être, de faire sa part d’éclaireur en se mettant au service de l’œuvre susceptible de s’accomplir à travers lui. Porter sa lumière vacillante en ces temps de floutage des responsabilités par le nihilisme globalisé et la phynaciarisation à tombeau ouvert, ne pas se la faire souffler par leurs vents mauvais, ne serait-ce pas déjà la plus réaliste des utopies à mettre à l’œuvre ?"

    Marc Halévy, Les mensonges des Lumières, éditions du Cerf, 368 p., 18 €

    https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-astre-noir-des-lumieres-206535


  • Passante Passante 1er août 2018 12:24

    fascinants soubresauts, 

    sobres sauts en fait :
    d’abord l’abdicateur,
    puis le fou furieux
    il porte cali comme calliope après tout
    et la goule de cette gula prépare toute la cagoule
    (celle-là même du soigneux capuchon blanc de benalla)

    signature de la guerre du Liban en 75 ?
    apparition des cagoules......

    la cagoule c’est le sans visage
    c’est le principe même du « venez me cherchez »
    tu me cherches ? je suis désormais introuvable, je me faufile
    tu me cherches ? tu peux pas me saisir, je suis trop gros...

    toujours est-il qu’on a une cagoule qui s’est fait spotter, clair :
    ce crime de plus piaulant dans la rue...

    alors là vous dites : manoeuvres en haut lieu
    et hautes sphères, intérêts, c’est bien écrit, mais on pige plus rien
    normal, vous non plus, vous l’avouez...

    mais cette hypothèse est la plus plausible ! malgré le brouillard
    reste à vraiment décortiquer cette piste :

    s’agit-il d’intérêts de multinationales ?
    de conflits de classes ? osons...
    de groupes médiatiques ?
    de militaires ? de juifs du hamas ?

    c’est la brume...
    et devant, y’a la télé

    sacrés télés !
    leur flamenco est risible.

    ou c’est une corrida en fait ?

  • Christian Labrune Christian Labrune 1er août 2018 13:47
    @Renaud Bouchard

    A cause de la fête de la musique et du fort curieux spectacle donné ce soir-là à l’Elysée, j’avais pensé à Héliogabale tel qu’il apparaît dans les récits de l’Histoire auguste, mais dans l’ordre de l’insanité politique, c’est bien à peu près la même inspiration que celle de Caligula.

    Ce qui me paraît encore plus grave que l’affaire Benalla, c’est la crédulité des masses qui fut entretenue jusqu’à ces derniers mois par une presse qui paraissait s’être assigné pour mission de cirer résolument, en toutes circonstances, les pompes du Prince, de vanter la positivité de recettes économiques qui avaient marché il y a trente ans mais qui n’ont plus guère de chance d’être efficaces, de cautionner aussi une politique extérieure quasi criminelle : je songe au soutien indéfectible accordé au régime islamo-nazi des mollahs iraniens.

    Il semble qu’on se soit enfin aperçu, après un engouement général et délirant qui rappelle le boulangisme, que le roi est nu. C’est très bien. La meilleure chose qu’il pourrait faire, c’est aller se rhabiller, c’est-à-dire démissionner. Cela dit, j’aimerais bien qu’il y ait à l’horizon une sorte de Cincinnatus qu’on puisse, lui, « aller chercher » - et trouver !-, mais je ne vois encore rien venir.

    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 1er août 2018 15:33
      @Christian Labrune

      Bonjour et merci autant pour votre visite que pour votre commentaire.

      La référence à Héliogabale tombe à propos.

      Il est vrai que de la fête orgiaque à l’Elysée aux Roses d’Héliogabale, la ligne est continue, avec une nuance toutefois qui tient au talent indiscutable d’Alma Tadema.


      Cincinnatus est une bonne idée, mais il me semble qu’une reprise plus ferme serait préférable

      Cordialement, Renaud Bouchard

    • Odin Odin 1er août 2018 15:42

      @Renaud Bouchard

      Merci à l’auteur pour cette analyse de la situation actuelle.

      Pour ma part, je pense que l’opposition n’a pas la possibilité de faire bouger les médias, comme je l’écrivais sous un autre article :

      De 2016 à avril 2018, nos médias ont toujours encensé le roitelet.

      Je pense que les marionnettistes ont demandé aux milliardaires, propriétaires de nos médias, de lui donner un avertissement, comme quoi il ne pouvait faire ce que bon lui semble en sortant des objectifs qui lui ont été donnés. Cet avertissement porte sur une petite affaire mais j’imagine que d’autres beaucoup plus importantes sont sous le coude pour qu’il suive la continuité des objectifs du contrat. (financement de la campagne USA/GB, mœurs ?).

      S’il a bien travaillé pour l’alliance gauche-droite (LREM) pour créer un pôle social libéral (casse du service public…), le problème se situe peut-être du côté du schéma de la mondialisation de l’économie.

      Suite aux sondages et à la croissance qui ne vient pas, peut-être a-t-il donné un coup de canif dans le contrat pour le commerce extérieur vers la Russie ou/et l’Iran alors que Hermand, Jouyet, Attali, Weinberg, Henrot… veillent au grain ?

      https://blogs.mediapart.fr/yvster14/blog/100317/macron-est-il-un-agent-des-usa

       


    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 1er août 2018 17:00

      @Odin

      Bonjour et merci pour votre analyse à laquelle je souscris.

      Les « gardiens » veillent au grain, effectivement, et tout continue comme prévu :


      Merci oour ce lien très intéressant :

      https://blogs.mediapart.fr/yvster14/blog/100317/macron-est-il-un-agent-des-usa


  • zygzornifle zygzornifle 2 août 2018 08:45

    étudions le cas ligula ......


  • zygzornifle zygzornifle 2 août 2018 08:46

    Macron a été pote avec Caligula :

    Macron, favori de Tibère. Il présida au supplice de Séjan, et obtint en récompense la charge de préfet du prétoire, ou il se rendit odieux.

    Il fit étouffer Tibère mourant pour complaire a Caligula, dont il conserva quelque temps la faveur en lui prostituant sa femme Ennia Naevia , puis Caligula les obligeas tous deux à se tuer .

    Cela se passait en 38 après JC.


    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 2 août 2018 09:53
      @zygzornifle

      Le Peplum avait de l’allure à cette époque.

      Les chevaux recevaient les honneurs et les rieurs étaient invités à nager avec les murènes dans la piscine impériale.

  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 2 août 2018 09:49

    Aux Lecteurs,

    ce texte particulièrement intéressant de J.Sapir, à lire ici



    et dont voici la conclusion :

    "La comparaison avec Caligula s’avère alors purement de forme et ainsi futile et vaine.

    Ce qu’il y a en Macron, et le traitement de plus en plus violents de manifestations de discordes et d’opposition en témoigne, c’est bien plus le personnage de Sylla.

    Et, de là peut-on comprendre sa volonté de constituer une police et une haute administration qui soit entièrement sous ses ordres, qui ne réponde plus à aucun contrôle démocratique."

    De fait, l’affaire Benalla, pour aussi scandaleuse qu’elle soit, pour aussi déplorables qu’aient été les tentatives de la part de la Présidence de la République de la masquer, ou d’en diminuer l’importance, n’est qu’un symptôme.

    Ce qui se révèle au travers de cette affaire et du comportement du Président est bien le projet d’Emmanuel Macron de se constituer comme pouvoir en surplomb de la société française, par le biais d’une usurpation de la souveraineté.

    Macron n’est pas le lointain écho de Caligula mais bien celui de Sylla."

    Encore faudrait-il, comme Sylla, avoir l’envergure et l’intelligence politiques de ce personnage, toutes qualités qui devraient, si tel était le cas, conduire M.Macron à avoir l’intelligence et la sagesse de se retirer de la vie politique tant qu’il en est encore temps.


    • Thierry SALADIN Thierry SALADIN 2 août 2018 11:37
      @Renaud Bouchard,

      « ce texte particulièrement intéressant de J.Sapir, à lire ici »

      Eh oui, les grands esprits se rencontrent...

      Dans un autre genre, mais également intéressant :

      Bien à vous.

      Thierry Saladin

    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 2 août 2018 13:15
      @Thierry SALADIN

      Bonjour et merci pour votre commentaire.

      Le retour aux racines de l’Antiquité, qu’il s’agisse de la République romaine ou de l’Empire, offre un enseignement inépuisable avec des exemples et des figures politiques qui n’ont eu de cesse que d’être étudiées durant 2000 ans.

      Pourquoi Lucius Cornelius Sylla, le dictateur qui a restauré la République à Rome fut-il aussi haï ? L’Histoire aurait du voir en César un tyran et en Sylla le bienfaiteur de la République, pourtant, c’est l’inverse qui s’est produit. A quoi doit-on cette déformation essentiellement littéraire ?

      ’’Semant la cruauté, vous récoltez la haine’’

      (Alfred Mortier, Sylla)

      ’’L’un cruel, barbare, est mort aimé, tranquille, comme un bon citoyen dans le sein de sa ville ; L’autre, tout débonnaire, au milieu du sénat, a vu trancher ses jours par un assassinat’’. Ainsi Pierre Corneille résume-t-il la différence entre Sylla et César. Pourtant, ce n’est pas à la Renaissance que s’est forgée de Sylla l’image du tyran sanguinaire. Dès sa mort, Sylla fut victime non seulement de la haine de ses ennemis, les populares, mais aussi des erreurs politiques de ses partisans, les optimates.

      https://www.luciuscorneliussylla.fr/republique.htm

      Vous lirez aussi avec intérêt les analyses figurant sur le blog de Claude Rochet :


      Pour commenter l’affaire dont tout le monde parle, j’étais remonté à Sigmaringen et Raspoutine. Jacques Sapir remonte lui à Caligula. Notons qu’il est toujours agréable de voir un économiste pétri de culture classique qui, quand on lui demande si Alexandre a vécu avant ou après Napoléon, ne répond pas « Alexandre qui ? ».
      Dans le nécessaire travail d’interprétation de l’affaire, il fait une critique radicale de la position de Frédéric Lordon qui, nonobstant ses analyses économiques intéressantes, reste un doctrinaire de gauche qui voit l’extreme-droite quand on lui montre la lune.

      Cordialement,

      Renaud Bouchard



  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 2 août 2018 17:11

    Aux Lecteurs,
    ce très bon billet de Bertrand Renouvin, à propos de l’effraction et de la jouissance de l’aveu chez E. Macon. Impeccable ! http://www.bertrand-renouvin.fr/

    Emmanuel Macron aime se raconter. Il fait des mots et prend des poses, ébloui par son propre commentaire. Le 13 février, devant l’Association de la presse présidentielle, il a une nouvelle fois joué au philosophe, lucide sur lui-même autant que sur l’époque : « Je n’oublie pas d’où je viens. Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction ».

    Une effraction, c’est un délit. Mais l’aveu de cette violence n’a pas la moindre importance. Ce qui compte, c’est la jouissance de l’aveu. Emmanuel Macon peut tout se permettre par ce qu’il est intouchable, « inaltérable » comme il le dira plus tard en évoquant une « République » confondue avec lui-même – et dont la Constitution interdit qu’on vienne le chercher.

    Bien entendu, l’effraction fut politique. L’élection du président de la République s’est faite dans le respect des formes légales mais le vainqueur de la bataille électorale nous informe qu’il est avant tout le « fruit » d’un coup de main. La presse a souvent présenté la bande de copains qui a reporté les espoirs mis en Dominique Strauss-Kahn sur la tête d’Emmanuel Macron. Alexis Kholer et Ismaël Emelien sont les figures dominantes de cette bande dont les membres se flattent ouvertement d’avoir pris l’Elysée à la manière d’un commando.

    Bien entendu, la bande à Macron se raconte des histoires. Cette prise du pouvoir, ils se la jouent en oubliant qu’ils furent des commis : sans l’argent, sans la presse tenue par les hommes d’argent, sans le concours empressé et intéressé du bloc oligarchique, les orphelins de Dominique Strauss-Kahn n’auraient pas pu tirer parti de l’ambiance « dégagiste » qui régnait sur le pays. Mais il est logique que les auteurs d’un coup de main fantasmé utilisent les services d’hommes de main. La présence d’Alexandre Benalla à l’Elysée est logique, et ses actes ne le sont pas moins. Quand le « patron » se présente comme le fruit d’une brutalité de l’histoire, on peut être brutal. Quand le « patron » se flatte d’avoir bénéficié d’une effraction, on trouve normal de commettre des violences en réunion en se faisant passer pour policier.

    L’effraction marconienne signifie que l’ensemble du camp – chef, sous-chefs et hommes de main – estime possible de s’affranchir des lois quand bon lui semble. Le projet de « garde prétorienne » chargée de protéger le clan élyséen témoigne de cet état d’esprit, de même que la mobilisation médiatique en faveur du cogneur de la Contrescarpe, soigneusement « relooké » par la conseillère en image de Brigitte Macron – sans oublier le mépris du code de procédure pénale qui oblige tout détenteur de l’autorité publique à signaler au procureur de la République les délits qu’il a constatés.

    L’affaire Benalla est une affaire d’Etat, qui ne se limite pas au scandale dont la justice est saisie : les agissements de nervis, les privilèges, les protections et les mensonges dont ils ont bénéficié. C’est une affaire d’Etat parce que le clan élyséen a montré sur un point précis – le projet de privatisation de la protection d’Emmanuel Macron – qu’il était engagé dans une vaste opération destinée à privatiser la haute fonction publique par le jeu des nominations de personnes appartenant au secteur privé. Ceci dans le cadre général d’une réforme-destruction du statut des fonctionnaires. Police privée, fonctionnaires en CDD : le projet ultralibéral amorcé dans les années soixante-dix est en train d’aboutir.

    Cette affaire d’Etat est une attaque portée contre l’Etat, qui doit être placée dans une plus large perspective. Il n’y a pas de souveraineté et il n’y a pas de démocratie sans l’existence du système de médiations assuré par le Pouvoir, l’Etat et la Nation. La Nation n’est rien sans le Pouvoir qui l’anime. Le Pouvoir n’est rien sans la Nation qui le légitime selon la volonté populaire. Le Pouvoir légitime s’appuie sur l’Etat pour mettre en œuvre le droit élaboré par la représentation nationale. Cela paraît abstrait mais cela devient très concret quand ce système de médiation est attaqué, ébranlé, subverti :

    - A la suite de l’effraction commise par Emmanuel Macron, le pouvoir politique a été confisqué et plus que jamais soumis à des intérêts privés.

    - La nation est quant à elle promise à l’absorption dans la fameuse et fumeuse « souveraineté européenne ».

    - C’est maintenant l’Etat qui est menacé par un clan installé au cœur du pouvoir et qui contrôle étroitement le gouvernement et la majorité parlementaire.

    Cette emprise clanique, gravissime, n’est ni une crise de régime, ni une crise de l’Etat.

    Depuis que l’affaire Benalla a éclaté, la Constitution de la 5ème République, si profondément bouleversée par le quinquennat, a de nouveau fonctionné selon sa nature parlementaire. Dans les commissions d’enquête, les députés et surtout les sénateurs ont pu jouer un rôle important, et qui sera peut-être décisif. Certes, le travail de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a été torpillé, certes, les motions de censure n’ont pas été votées mais le projet de « garde prétorienne » a été bloqué et les débats sur la réforme constitutionnelle ont été reportés. Contrairement à ce que ressasse la France insoumise, nous ne sommes pas dans une « monarchie » au sens caricatural de la dictature personnelle et de l’arbitraire. Emmanuel Macron, qui se comporte en Premier ministre parce que le gouvernement le laisse faire, n’a pas d’autre pouvoirs que ceux que lui accorde, avec ou sans contreseing, la Constitution. Il ne peut rien contre le Parlement, ni contre l’institution judiciaire, sauf manœuvres tortueuses par lesquelles il ne respecte pas sa fonction qui est, entre autres charges, d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

    L’affaire Benalla n’est pas non plus le signe d’une crise de l’Etat. Nous sommes toujours dans un « Etat de droit », dans un Etat qui n’est rien d’autre qu’une construction juridique puisque les personnes et les administrations qui sont chargées de mettre en œuvre le droit sont elles-mêmes soumise au droit. L’attribution d’un logement officiel, le port d’une arme, l’attribution d’un salaire et de primes obéissent à des règles précises qu’un directeur de cabinet, aussi puissant soit-il, doit respecter. L’affaire Benalla, c’est aussi l’histoire d’un clan qui a soudain été rappelé à l’ordre juridique et qui est maintenant sous le regard de l’autorité judiciaire.

    Il est vrai que le clan Macron a lancé sa contre-offensive à partir du 24 juillet, lorsque le chef, entouré de sa garde rapprochée, a défié ses opposants et les juges de venir le chercher. Il y a eu une reprise en main médiatique et tous les chiens de garde ont donné de la voix. Puis les hommes de l’Elysée ont confié à des journalistes que la police serait épurée et qu’on avait trop tardé à systématiser le système des dépouilles à l’américaine. Et l’on continue à annoncer une réforme constitutionnelle réduisant le nombre de parlementaires et les droits du Parlement – même si le doute s’installe quant à la possibilité d’un vote favorable du Congrès.

    Le clan Macron peut compter sur le soutien du gouvernement et de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. Il a gagné toutes ses batailles contre Force ouvrière et la CGT. Mais il se heurte désormais à l’hostilité de la Police nationale, qui compare les privilèges des hommes de main aux pénuries dont elle est victime, et plus généralement à l’hostilité de l’administration. Ceci dans un contexte d’impopularité croissante d’un Jupiter muré dans son arrogance mais déjà perdu de réputation. L’épreuve de force est engagée. A la fin, il n’est pas sûr que ce soit Narcisse qui gagne.


    • alinea alinea 2 août 2018 19:55

      @Renaud Bouchard

      Intéressant ce que dit Bertrand Renouvin, bon c’est vrai qu’aujourd’hui nous avons lu beaucoup d’analyses fort intéressantes, concordantes ou discordantes, elles éclairent la scène !
      Il semble donc que l’équilibre du monde qui a propulsé Macron est en train de vaciller, à tout le moins se transformer, et une des analyses que j’ai lues disait que Trump, qui comme on le sait veut, déjà, faire tout le contraire de Obama, favorise et veut favoriser le souverainisme contre le mondialisme, et veut sacquer Merkel et Macron ! Mais ce pauvre garçon est tellement maladroit dès qu’il est lâché, qu’on dit aussi qu’il a fort déplu à Poutine, et même à Netanyahu !
      Mais ce que j’ignore dans la « filiation », c’est le sort fait à Strauss-Kahn ? est-ce vraiment un faux pas personnel qui tombait à pic pour certains ou bien a-t-on aujourd’hui des indices fiables qui accuseraient...les FMI ? USA ? Sarkozy ?
      La prochaine, c’est Marion Maréchal Le Pen ! j’espère que d’ici là nous nous serons mis d’accord pour faire ce que nous voulons, nous ! Si Benalla a servi à ça, ma foi, peut-être qu’on le décorera ? smiley

    • JC_Lavau JC_Lavau 2 août 2018 20:43

      @Renaud Bouchard. Bertrand Renouvin encore vivant ? Ou c’est un homonyme.

      Ce serait le seul survivant de la présidentielle de 1969. Celui qui grinçait, indigné qu’il y ait cinq candidats en république : « Alors quoi ? Cinq présidents ? ».

    • JC_Lavau JC_Lavau 2 août 2018 20:45

      @JC_Lavau. Présidentielle de 1965.

      Celle de 1969 a été brocardée par Goscinny : « Ah ? Une déesse parallèle ? Il faudra faire une enquête ! ». Il s’agissait d’Amora, la déesse de la moutarde, qui était peut-être montée au nez des autres dieux.

    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 2 août 2018 20:46
      @alinea

      Bonsoir et merci pour votre commentaire.

      Vous écrivez, je vous cite : "Mais ce que j’ignore dans la « filiation », c’est le sort fait à Strauss-Kahn ? est-ce vraiment un faux pas personnel qui tombait à pic pour certains ou bien a-t-on aujourd’hui des indices fiables qui accuseraient...les FMI ? USA ? Sarkozy ?La prochaine, c’est Marion Maréchal Le Pen ! j’espère que d’ici là nous nous serons mis d’accord pour faire ce que nous voulons, nous ! Si Benalla a servi à ça, ma foi, peut-être qu’on le décorera ?« 

      Faux-pas ? »
      On connaissait la faille du personnage dont les positions au FMI étaient e train de remettre en cause le « catéchisme » économique en vigueur.. Rien de plus facile que de le faire chuter.D’autant plus qu’il était candidat à la course présidentielle. On observera qu’une réaction immédiate de la France sous forme de réaction diplomatique « musclée » aurait pu permettre à a France de ne pas se faire éclabousser lus que de mesure.

      Pour la suite, il serait urgent d’enrayer le processus électoral déjà mis en place avec l’arrivée de députés LREM aux élections européennes.

      La donne risque de changer avec ’etrée en lice du Mouvement de Bannon.

      A suivre...
      Bel été,
      Renaud Bouchard

    • alinea alinea 2 août 2018 22:09

      @Renaud Bouchard

      Merci pour votre réponse ; en ce qui concerne les européennes j’ai bien peur que l’abstention soit un record !
      bel été à vous aussi

    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 3 août 2018 09:07
      @JC_LavauLui-même.

      Personnalité attachante, intellectuellement remarquable.

      « Vaut le détour », comme le disait R Caillois à propos de J-L..Borgès, rencontré en Argentine.

      La lecture de son blog est particulièrement intéressante.

      Il s’agit de chroniques et d’analyses toujours très fines.
      Voyez par vous-même.


      Je vous donne là mon avis, exempt de toute adhésion politique..

      Bien à vous.
      Bel été.

      Renaud Bouchard

      ps.


      A propos d’Amora

      « Ah ? Une déesse parallèle ? Il faudra que je monte une enquête. »

      Allusion transparente à la campagne présidentielle de 1969 :

      « Pompidou (ancien premier ministre) :

      - Je vous promets que ces polices parallèles, *si elles existent*, seront dissoutes.

      Christian Duhamel :

      - Ah ? En ce cas je me rallie à vous. »


      Comme on le voit, rien n’a changé : « cuisine politique » dans les coulisses (avec une sérieuse odeur de « cramé ») et journaliste révérencieux.

    • jako jako 3 août 2018 18:04

      @alinea

      « Merci pour votre réponse ; en ce qui concerne les européennes j’ai bien peur que l’abstention soit un record ! » beshrell ta mère
      on écrit : que l’abstention ne soit
      merci

  • Aladin Aladin 10 août 2018 18:58

    Dites, @Renaud Bouchard, quand votre interlocuteur Christian Labrune 1er août 13:47, celui qui se prend pour la statue de la Liberté, vous écrit à propos du gouvernement français (si l’on comprend bien) : « cautionner aussi une politique extérieure quasi criminelle : je songe au soutien indéfectible accordé au régime islamo-nazi des mollahs iraniens. », vous ne répondez rien ? C’est parce que vous êtes d’accord avec lui ? Vous ne croyez pas qu’il confond avec Israël pour les nazis ? Et vous, vous pensez aussi que l’Islam est un péril pour le Monde ?


    • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 20 août 2018 11:46
      @Aladin

      Je n’avais pas vu votre commentaire.

      Quant au péril pour le monde que vous évoquez, la réponse est bien évidemment « oui ».

      Il n’y a qu’un seul islam qui m’intéresse, c’est celui, pétri de culture et d’intelligence, que vous pouvez utilement découvrir avec le plus grand avantage dans la remarquable émission de France Culture intitulée Question d’islam, de Ghaleb Bencheikh

      Une émission essentielle pour appréhender l’islam dans toutes ses dimensions.


      Bonne écoute !

      Renaud Bouchard

  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 20 août 2018 11:38

    Aux lecteurs, en cette fin de mois d’août 2018, cet excellent papier qui aurait pu s’intituler :« Le Jupiter, il est dead... »

    Macron : l’adieu à Jupiter ou la présidence éclairSi Emmanuel Macron a survécu à l’été, Jupiter n’a pas fait sa rentrée. L’affaire Benalla a largement entamé la posture impérieuse du président. Qui n’incarne plus grand-chose…

    Député des Yvelines et transfuge juppéiste, Aurore Bergé est devenue un symbole des petits soldats macronistes, de cette génération de trentenaires qui ont adapté au XXIe siècle numérique la vieille fonction de « godillots », comme on surnommait les parlementaires gaullistes disciplinés d’il y a cinquante ans. Cela ne signifie pas qu’elle méconnaisse les faiblesses du nouveau régime. Il y a quelques mois, c’est elle qui contactait, pour l’auditionner avec deux autres collègues LREM, notre ami Gérald Andrieu, auteur de l’excellent Peuple de la frontière, qui s’était mis – littéralement, quant à lui – en marche, pour ausculter la France périphérique, et avait constaté que cette dernière n’attendait pas Emmanuel Macron.

    Jupiter à terre

    Et dans Closer de cette semaine, elle rappelle ce que les Français lui ont dit pendant la dernière campagne présidentielle : qu’au pouvoir, Emmanuel Macron n’aurait pas le droit d’échouer, de décevoir, que c’était le mandat de la dernière chance. Elle a donc décidé d’aller parler dans cette publication « pipole », allant à la rencontre de la France périphérique via ses salons de coiffure, canal plus efficace que Twitter pour s’adresser à une partie d’entre elle, en effet.

    Acheter ⁦@closerfr⁩ au cœur de l’été pour lire les propos d’⁦@auroreberge⁩ ou le goût de convaincre en toutes saisons.⁦@LaREM_ANpic.twitter.com/corZO5GA3y

    — Richard Ferrand (@RichardFerrand) 17 août 2018

    Aurore Bergé connaît donc les difficultés intrinsèques au macronisme, et elle a compris aussi qu’on vivait un moment essentiel du quinquennat. Un moment où tout peut basculer. Elle a compris qu’il fallait réagir. Cette phrase sonne comme un tocsin. C’est le tocsin du Godillot 2.0. Mais tout a peut-être déjà basculé…

    Car il s’est bien passé quelque chose cet été. Et les dignitaires de la Macronie les moins aveugles l’appréhendent fort bien, après avoir tenté de faire croire que les Français ne s’intéressaient pas à l’affaire Benalla, qu’il ne s’agissait que d’une histoire à dormir debout, fomentée par une coproduction des oppositions revanchardes, de bots russes et de journalistes déconnectés. L’affaire Benalla a définitivement fait tomber le masque jupitérien d’Emmanuel Macron. Jupiter était la promesse d’une présidence qui renouait avec les fondamentaux de la Ve République. Après la présidence De Funès et la présidence Bourvil, il fallait de la prestance, de l’incarnation. L’homme qui marchait seul dans la cour du Louvre alors que résonnaient les notes de Beethoven. L’homme de la nation. Et puis patatras. Après l’affaire Benalla, il n’apparaît plus que comme l’homme d’un clan.

    Emmanuel « Rambo » Macron

    La présidence Jupiter s’est métamorphosée en présidence Rambo. Macron s’est pris les pieds dans le tapis. L’image de cette séquence, c’est le président lui-même qui vient accréditer le clanisme en réservant sa première réaction à l’affaire, non pas aux Français dans leur ensemble, mais au groupe LREM à l’Assemblée nationale. Qui compte sur ses godillots pour tweeter ses bons mots, parmi lesquels celui-ci, qu’on croirait sorti de la présidence De Funès : « Qu’ils viennent me chercher ! ». Ce soir-là, la communicante de l’Elysée, Sibeth Ndiaye, aurait très bien pu prononcer ces mots définitifs : « Le Jupiter, il est dead ».

    Le roi n’a plus son manteau de Jupiter, alors que lui reste-t-il ? Pas grand-chose à vrai dire. Aurore Bergé pense avoir trouvé la solution en appuyant sur le côté réformateur du chef de l’Etat dans les colonnes de Closer. Mais, dépossédé de ce manteau jupitérien et apparaissant sous les traits d’un chef de bande, Emmanuel Macron n’est plus le réformateur chargé de recouvrer la souveraineté de la France, thème central de son premier discours devant les parlementaires à Versailles il y a un an. Il est celui qui adapte à la contrainte extérieure, celui qui imite les réformes des voisins, qui se soumet à la mondialisation sauvage. Le petit soldat des puissants. Il y a un an, nous avions déjà perçu des signes que la présidence jupitérienne ne constituait qu’une fausse promesse. Mais l’Elysée avait compris ses erreurs et avait redressé la barre à la rentrée. Pas sûr qu’il soit en état de le faire aujourd’hui. En septembre, les auditions de la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla, menées par l’excellent Philippe Bas, reprendront alors que les Français ne seront plus à la plage. D’autres affaires, comme celles touchant Alexis Kohler, le bras droit du président, pourraient encore défrayer la chronique. La révision constitutionnelle semble aujourd’hui bien mal en point, après avoir été reportée par le gouvernement, subissant les assauts de l’opposition parlementaire, qui a retrouvé des couleurs et surtout de l’efficacité à travers l’affaire Benalla.

    Vers une colère blanche

    Emmanuel Macron, pour la première fois, n’a pas été le maître des horloges, il s’est fait imposer un calendrier, preuve supplémentaire du décès de Jupiter. Il paraît bien illusoire que la majorité des trois-cinquièmes, nécessaire à l’adoption de la révision constitutionnelle ne soit pas hors d’atteinte. Emmanuel Macron tentera-t-il le coup de poker de l’article 11 gaullien, pour la faire adopter ? Expliquons-nous : en 1962, Charles de Gaulle avait utilisé cet article, celui du référendum direct, plutôt que la procédure de l’article 89, qui correspondait stricto sensu aux révisions de la Constitution et nécessitait préalablement l’accord des deux chambres. Gaston Monnerville, président du Sénat, avait parlé de forfaiture. Mais il s’agissait de promouvoir l’élection du président de la République au suffrage universel. De Gaulle n’avait pas tordu le bras du Parlement pour des queues de cerise. Il n’y a rien dans la réforme prévue par Emmanuel Macron qui vaille le coup de force similaire, sans accréditer davantage l’idée d’une « présidence Rambo ». Lui pourrait y voir au contraire un moyen de revêtir à nouveau le manteau gaullien et donc une posture jupitérienne. La roche tarpéienne est proche du Capitole, selon la formule consacrée.

    Henri Guaino disait, il y a plus d’un an, que lorsque les Français s’apercevraient qu’ils ont porté au pourvoir tout ce qu’ils rejetaient, la colère gronderait. Nous n’en sommes pas si éloignés. Reste à savoir comment se traduira cette colère. Alors que son vieux canal, le vote lepéniste, est toujours en crise, ne reste-t-il pas que la sécession civique ? Combien de Français se rendront aux urnes, pour les européennes, en mai prochain ? Plus que l’ordre d’arrivée des listes en présence, le taux de participation constituera un indice fiable de cette colère. Et s’il passait sous la barre symbolique des 30 % ? Il s’agirait d’une colère blanche. Ce ne sont pas les moins dangereuses en démocratie.


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