mercredi 27 juillet 2022 - par Elric Menescire

Un extraterrestre à Paris

" Si les extraterrestres nous rendent visite un jour, je pense que le résultat sera semblable à ce qui s’est produit quand Christophe Colomb a débarqué en Amériqueun résultat pas vraiment positif pour les indiens" 
 
-Stephen Hawking
 
 
JPEG Zorg l’Explorateur gara son vaisseau dans le lit d’une ancienne rivière asséchée depuis quelques semaines, à flanc de colline.
 
Il activa le camouflage extérieur, avant d’enfiler son scaphandre de survie entièrement invisibilisant et de sortir explorer cette nouvelle planète, nommée « Terre » par ses étranges habitants, qui se prénommaient eux-mêmes « humains ».
 
Etranges ? Oui, on pouvait le dire, en effet.
Il venait d’atterrir dans un endroit nommé « France » et la majorité de ses autochtones semblaient très malheureux et apeurés, voire terrifiés.
 
Et pourtant… ils vivaient dans une relative opulence selon les standards du globe -faisant partie du milliard d’humains privilégiés sur les 8 au total que comptait cette planète, en ayant notamment accès à un niveau de richesse et de conforts moyens dépassant allègrement les conditions de vie des 90% restants.
 
Ils avaient en effet accès en majorité au logement, à l’eau potable, au chauffage, aux denrées alimentaires leur permettant de se nourrir –toutes choses représentant un luxe inatteignable pour les 7 milliards d’êtres humains restants que comptait cet étrange globe bleu.
 
Et pourtant, ça n’allait pas. Mais alors pas du tout.
 
Zorg se rendit dans la grande cité voisine de l’endroit où il s’était posé, et commença à se mêler furtivement à la foule. Sa combinaison fonctionnait à merveille : personne ne le remarqua. Il put étudier à loisir les réactions mentales et émotionnelles des « Français », les habitants de l’espèce humaine de ce curieux endroit, un si petit pays à l’échelle de la planète, et pourtant se croyant tellement, tellement important. Un peu comme les humains d’ailleurs : ils vivaient sur une planète riche de plusieurs millions de formes de vies, mais selon eux, ils étaient tout simplement les meilleurs, les plus savants, les plus intelligents.
 
Or, au vu de ce qu’il voyait, Zorg en doutait de plus en plus.
 
Car ces humains étaient avant tout pleins de contradictions : ils avaient peur du changement climatique qui était en train d’affecter leur planète(les données de l’Ordinateur étaient catégoriques), ils en connaissaient même les causes (qu’ils avaient eux-mêmes provoquées), mais ils continuaient, comme si de rien n’était, à alimenter ces causes, et donc le réchauffement lui-même. Ils attendaient, indolents ou terrorisés, alors qu’il leur aurait suffi d’agir. Certains même niaient complètement les faits. Une telle inertie, un tel déni étaient incroyables et incompréhensibles.
 
De même, ils semblaient se débattre avec plusieurs problèmes majeurs, qu’ils appelaient des « crises ». Et que ces crises soient économiques, sociales ou civilisationnelles, ils semblaient ne pas tirer la moindre leçon de ce qui les provoquait. Alors qu’ils avaient, encore une fois, toutes les preuves sous leurs yeux… Une très grande partie d’entre eux préférait plutôt se battre les uns contre les autres pour des motifs futiles, et laisser une très petite minorité –que Zorg évalua à 0,1%- profiter de tout le monde sans être réellement inquiétée. Ladite minorité, très privilégiée, s’accaparait ainsi la majorité des ressources issues du travail des autres facilement, et manipulait sans réel effort les 99,9% restants en les dressant les uns contre les autres.
 
Un tel degré d’illogisme et de cynisme laissait Zorg pantois.
 
99,9% des humains de ce pays se plaignaient continuellement de leurs dirigeants –des êtres bien plus privilégiés qu’eux, faisant partie de ces 0,1%, cyniques, méprisants et cruels, et qui avaient le pouvoir de diriger leurs semblables-, et pourtant ils connaissaient l’histoire de leur peuple, et savaient que celui-ci s’était révolté et avait renversé, en s’unissant par le passé, les pires despotes qui les faisaient souffrir…Ils avaient donc la connaissance de ces faits. Mais là encore, cette espèce d’inertie incompréhensible semblait avoir le dessus, et ils continuaient de se lamenter en espérant des jours meilleurs qui ne viendraient jamais, et en même temps choisissaient toujours les mêmes têtes de Koracht -une espèce d’invertébré très têtue et complètement idiote originaire de la planète mère de Zorg- pour les diriger, encore et encore ! Et au final les choses s’aggravaient inexorablement. Mais pourquoi ?
 
Et, tentacule sur la pince, -ou plutôt cerise sur le gâteau comme ils disaient par ici- alors qu’il était indubitable que les responsables de leurs malheurs se trouvaient sous leurs yeux, et paradaient à longueur de journée dans cette étrange lucarne de verre alimentée à l’électricité qu’ils appelaient « télévision », ils préféraient désigner des coupables imaginaires, au choix les étrangers, les pauvres voire encore mieux, les étrangers pauvres.
 
Non, sincèrement, ces humains étaient pour lui une énigme de plus en plus complexe.
 
Zorg poursuivit incognito ses pérégrinations, en se promettant d’en apprendre plus avant d’en tirer des conclusions. 
 
Il arriva ainsi devant une grande esplanade, où trônait un immense monument surmonté de deux tourelles en forme de flèche, agrémenté de plusieurs gargouilles et d’un clocher. Le dictionnaire intergalactique universel intégré à sa combinaison émit une petite série de brefs signaux d’alerte, et afficha une entrée explicative, en surimpression du 4ème hublot qui permettait à son sixième œil en partant de la gauche de regarder autour de lui.
 
Bip, Biiip, biiiip ! La voix agréablement féminine de l’Ordinateur Quantique Intégré retentit à ses appendices acoustiques :
 
- Ce monument est ce que les humains appellent une « cathédrale ». Il s’agit d’un édifice à vocation religieuse, c’est-à-dire un édifice permettant aux humains de communiquer avec ce qu’ils appellent « dieu ».
 
Zorg marqua un temps d’arrêt. 
-Ordinateur, explicite le terme « dieu »
 
Bip, biiip, biiiiip ! 
-Le terme « dieu » désigne une entité imaginaire intégrale et omnisciente, entité qui serait responsable de la création de la totalité de l’univers, et qui gouvernerait les existences de tous les êtres, humains compris. Cette entité prônerait la bienveillance, l’entraide, et l’amour pour tous, mais paradoxalement, serait à l’image des humains…et serait capable d’accès de jalousie, voire de colère…Au vu de ces différentes données, plus prosaïquement il s‘agit sans doute d’un dispositif de contrôle sociétal archaïque… De plus, vu l’histoire tourmentée des adorateurs de ce « dieu »humain, un clergé de religieux s’est octroyé énormément de pouvoir sur les autres, tout en s’accaparant leurs richesses et en exterminant systématiquement les plus récalcitrants, ceux à même de menacer leur position. Appropriation égoïste typique, justifiée par de pseudo motifs métaphysiques…
 
Zorg s’esclaffa tellement qu’il s’en écroula presque entièrement à terre. Si un humain avait pu l’apercevoir à ce moment-là, il aurait cru voir un énorme tas de gélatine translucide trembloter brièvement, et menacer de se répandre sur le sol, avant de se ressaisir et de se ratatiner par ondulations successives.
 
Mais comment cela était-il possible ? Un « dieu » qui régenterait la totalité de la création et des existences ? Un tel niveau de primitivité frôlait l’aberration cosmique ! Toutes les espèces un tant soit peu évoluées dans l’univers savaient que…
 
-ehhhhh msieu ! zauriez pas une tite pièce ? C’est pour manger..
 
Zorg venait d’être interrompu dans ses réflexions outrées par un humain hirsute, débraillé et pour tout dire qui dégageait de curieuses émanations corporelles affluant par vagues sur son système olfactif. L’Extra-terrestre l’examina attentivement : l’individu semblait mal assuré sur ses deux appendices, et n’était pas totalement maître de ses mouvements. Il s’adressait à d’autres humains passant par-là, interrompant leurs déambulations en vociférant, tout en tendant ce qui ressemblait à une sébile –un vulgaire morceau de plastique de forme ovale que l’ordinateur identifia comme « un dérivé d’énergie fossile primitive, à fonction de contenant ». A côté de cet humain, que l’ordinateur identifia comme « SDF », trônaient divers détritus : une bouteille de composé alcoolique à moitié vide, un matelas, une litière de déchets à même le sol…
 
Le « SDF » donc, tendait son récipient à un groupe de deux autres humains qui sortaient de la cathédrale, et qui s’en écartèrent brusquement. Zorg saisit instantanément leur dégout et leur peur, car il émanait d’eux en ondes télépathiques successives. Ce simple fait l’intrigua encore plus : comment était-il possible de sortir de cet édifice « cathédrale », qui glorifiait le concept « dieu », donc la bienveillance, l’entraide, et l’amour pour tous…et ne pas mettre en application lesdits principes immédiatement après ? D’autant plus que l’individu « SDF » semblait légèrement altéré dans ses fonctionnalités, et qu’il avait manifestement besoin d’aide pour s’alimenter ?
 
Encore cette dissonance cognitive majeure, qui ne semblait pas le moins du monde ennuyer les deux humains comme les autres tout autour de lui, qui s’en retournaient vaquer à leurs occupations habituelles, entre flâneries inutiles et déambulations aléatoires. Zorg poursuivit son périple, laissant comme les autres le SDF à sa misère. Un peu plus loin, il tomba nez à nez avec un humain qui semblait s’alimenter, justement : il dégustait ce que l’Ordinateur lui affirma être un « hamburger », c’est-à-dire un assemblage de divers aliments d’origine chimique, végétale et…animale ? 
 
L’E.T. en tressauta d’horreur. Comment cela était-il possible ? Comment osaient-ils ? Une rapide recherche télépathique lui permit de localiser l’officine qui commerçait ces choses : « un Mac Do » comme le souligna laconiquement l’Ordinateur. Ses scanners intégrés confirmèrent de grandes quantités de matières animales mortes –encore un tressaillement de stupéfaction- stockées dans des chambres froides à proximité. Zorg observait de petits humains, accompagnés de leurs géniteurs, entrer et sortir de cet établissement, tous joyeux à l’idée de…
 
Il ne comprenait pas : il avait sous les yeux des petits d’humains qui paraissaient (malgré leur aspect absolument grotesque) heureux et qui gazouillaient, accompagnés de leurs grands humains qui les surveillaient, et qui manifestement prenaient soin d’eux. Et donc les aimaient, comme tout être vivant et sentient aimait son prochain. Ou plutôt devrait : car comment expliquer autrement ce comportement dégoûtant ? Faire preuve d’amour envers ses rejetons, et ne pas en éprouver pour une autre forme de vie sensible, au point de la tuer en masse pour la … cuisiner, et la dévorer ensuite ?
 
Zorg s’enfuit à tous appendices de ce lieu immonde, et déboula sur une artère commerçante densément peuplée. Devant lui figurait une surface de verre plane remplie d’artefacts incongrus –une « boutique de souvenirs » l’informa l’Ordinateur de sa voix toujours suave.
 
Au loin, Zorg avait repéré cette étrange structure dénommée « Tour Eiffel » par les humains environnants, et il fut très surpris de constater que les artefacts derrière la vitrine étaient des reproductions miniatures de ce bizarre monument.
 
L’ordinateur se perdait en conjectures sur l’origine réelle de celui-ci : 
 
-« la structure dénommée par les autochtones ici-bas "Tour Eiffel", ne semble correspondre à aucune utilité logique ou pratique connue. Il ne s’agit pas d’une habitation, comme le laisserait à priori présager le terme « Tour », ni d’un monument à usage religieux… quoique ? De nombreux humains semblent en effet se presser en direction de cette structure, soit pour la visiter, soit pour s’y photographier (une technique primitive de prise de souvenir), soit pour y faire du commerce en vendant des reproductions telles que celles présentées derrière cette vitrine ».
 
Zorg était de plus en plus perplexe : ce monde ne croulait-il pas sous les déchets ? Quel était le but de tout ceci ? Pourquoi fabriquer tous ces artefacts inutiles et coûteux en termes d’énergie et de ressources, alors que manifestement la pénurie était un thème de plus en plus prégnant dans cette civilisation ? 
 
L’Ordinateur intégré à son vaisseau –un modèle bien plus puissant que celui de sa combinaison, qui n’en était qu’un des rejetons- lui avait communiqué d’étranges données lors de son approche en orbite. Il avait manifestement compté un continent de plus que nécessaire, 7 au lieu de 6, avant de se rendre compte, en se branchant sur ce que les humains appelaient l’internet, que le 7ème n’en était pas vraiment un : il s’agissait d’un immense agglomérat de déchets dérivés des hydrocarbures, et appelé continent de plastique, qui flottait sur les magnifiques océans de cette planète bleue. Les formes de vie considérées comme « inférieures » par les humains, s’y échouaient et en mouraient, étouffées et polluées, par centaines de milliers. Cette aberration était inconcevable, et pourtant elle s'étalant sous les 17 yeux effarés de Zorg l'Explorateur... 
 
Ce monde était une vraie décharge, et manifestement les humains s’en fichaient. Alors qu’ils prétendaient l’inverse : ils n’avaient que les mots « croissance verte » et « développement durable » à ce qui leur servait de bouche ! Un tel cynisme était plus que ce que Zorg n’en pouvait supporter. 
 
Ah, il en avait vu, des mondes ! Il en avait exploré, des systèmes étranges, avec des êtres que ces pauvres « humains » n’auraient pu imaginer dans leurs rêves les plus fous…
 
Mais un tel degré d’inadaptation à son milieu frôlait l’illogisme pur.
 
Zorg sentait que rester plus longtemps sur ce monde pourrait gravement menacer sa santé mentale, et sa stabilité émotionnelle. Et ça, il ne pouvait le tolérer. La mission avant tout !
Il était temps de s’en aller, et de faire son rapport au Commandement Central.
 
Zorg l’Explorateur quitta la cité emplie d’humains incohérents, alors que l’étoile de ce système primitif, un astre de catégorie intermédiaire appelé « soleil », se couchait sur l’horizon. Grâce au téléporteur miniature intégré à son scaphandre, il rejoignit en un battement de pinces son vaisseau stationné à flanc de montagne.
 
Une fois dans le sas, il vérifia que tous les systèmes étaient en ordre, ôta son scaphandre, et se cala confortablement dans son bac de stase nutritive. Il goûta avec délices quelques instants de repos tout en délassant ses nombreux tentacules.
 
L’Ordinateur Central, une IA de dernière génération à la voix mélodieuse, lui souhaita la bienvenue avant de le connecter au Réseau Central Galactique.
 
-identifiant Zorg 8A à Commandement Central unifié, compte-rendu d’exploration de la 3ème planète rocheuse du système simple Sol 2A428, situé dans la Galaxie n° 98578 quadrant 12, section 9. Au rapport ! 
 
-A la question, existe-t-il sur ce monde une ou des espèces dignes d’intérêt entrant dans le cadre du Grand Plan de Préservation avant reset complet du monde en question ? La réponse est : affirmatif.
 
-A la question, quelles sont la dénomination et les spécificités de cette/ces espèces ? La réponse est : 8 espèces estimées. La liste suit : 
-dénomination : baleines – espèce marine évoluée, capable de sentiments- à préserver par prélèvement et relocalisation.
-dénomination : dauphins - espèce marine évoluée, capable de sentiments et d’empathie- à préserver par prélèvement et relocalisation.
-dénomination : poulpes – espèce marine évoluée, capable de conscience de soi, parente éloignée de notre espèce !- à préserver et à choyer par prélèvement et relocalisation.
-dénomination : chimpanzés – espèce terrestre évoluée, capable d’intelligence, de sentiments, de conscience de soi- à préserver par prélèvement et relocalisation. Ancêtres des humains selons eux, vrais descendants des humains selon mon observation. Tout le monde sait que les ancêtres évidents des humains sont issus de l’espèce appelée « sauterelle », espèce hautement invasive et nuisible.
-dénomination : chat – espèce terrestre primitive, égoïste et maligne, mais rigolote et intéressante - à préserver par prélèvement et relocalisation, avec surveillance antiprolifération attentive.
-dénomination : chien – espèce terrestre primitive, mais capable de tâches utiles, très fidèle à ses maîtres - à préserver par prélèvement et relocalisation en vue d’une utilisation ouvrière ultérieure.
-dénomination : cheval – espèce terrestre primitive, mais capable de tâches utiles, très fidèle à ses maîtres - à préserver par prélèvement et relocalisation en vue d’une utilisation ouvrière ultérieure. 
-dénomination : pigeon – espèce aérienne primitive invasive. Ne sert à rien, si ce n’est à passer le temps, ce qui peut parfois être très appréciable entre deux visites éloignées. A préserver par prélèvement et exploration –Avertissement : ne pas placer dans le même biotope que les chats.
 
A la question, existe-t-il une autre espèce notable sur ce monde, susceptible d’entrer dans le cadre du Grand Plan de Préservation avant reset total ?
 
La réponse est : non. Le commandement peut envoyer dès que possible les vaisseaux de sauvegarde pour prélever les espèces listées ci-dessus. Ce sont les seules dignes d’intérêt. J’estime que d’ici 6 jours galactiques standards, nous pourrons passer au nettoyage des espèces résiduelles nuisibles qui pullulent sur ce monde, par envoi des vaisseaux éradicateurs appropriés. Particulièrement l’espèce dite « humaine », pour laquelle je préconise une éradication complète par mesure de sauvegarde galactique, l’espèce me paraissant particulièrement sournoise, illogique et pour tout dire, imprévisible. Il faut absolument veiller à ce qu’elle ne sorte jamais de son biotope d’origine, car ce serait particulièrement désastreux pour la civilisation galactique.
 
L’exploitation minière pourra ensuite débuter selon les protocoles habituels. 
-Zorg 8A, terminé.



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