Un « média citoyen » doit-il être limité aux sujets majeurs ?
Régulièrement, des auteurs d’articles sont interpellés sur AgoraVox – mais cela vaut également pour d’autres sites du web ouverts au débat – par des intervenants qui leur reprochent, souvent de manière abrupte, de traiter des sujets mineurs, voire anecdotiques, alors que des questions socioéconomiques ou sociétales majeures sont au cœur de l’actualité ou de l’action gouvernementale. Cette mise en accusation est-elle justifiée ? Ou bien relève-t-elle d’un mauvais procès ?
Sur AgoraVox, ce type d’accusation est récurrent, et certains intervenants – ils se reconnaîtront – en ont fait un cheval de bataille en n’hésitant pas à interpeller sans nuance, et parfois avec virulence, des auteurs au motif que leurs articles sont consacrés au tennis mais pas à l’islamisation des cités, au cinéma mais pas aux massacres de Gaza, ou bien encore aux poupées gonflables et pas à la réforme de la SNCF ou celle, à venir, des retraites. Et de fait, les seconds sujets nommés ont une importance nationale ou internationale beaucoup plus grande que les sujets traités par les auteurs ainsi pris à partie au fil des éditions. Une évidence que personne, à commencer par les auteurs incriminés, ne songe le moins du monde à nier.
Lesdits auteurs n’en montent pas moins eux-mêmes au créneau de temps à autre en rédigeant des articles d’analyse ou d’opinion centrés sur les préoccupations majeures du moment, que ce soit sur le plan politique, sur le plan socioéconomique ou sur l’une de ces questions de société qui agitent la population et enflamment les débats. Mais peut-être ce fait échappe-t-il à ceux qui les brocardent – ou pire, qui les vilipendent – en leur reprochant un silence injustement considéré comme « complice » des dérives liées à l’action des puissants ? Des censeurs qui, en l’occurrence, perdent de vue qu’il n’est pas rare, sur certains thèmes omniprésents dans l’actualité, de voir plusieurs articles traitant des mêmes sujets dans l’une des éditions quotidiennes d’AgoraVox. À quoi servirait-il d’y ajouter d’autres textes au contenu plus ou moins redondant ?
Mais surtout, les intervenants qui, dans leurs commentaires, s’érigent en donneurs de leçons sur la ligne éditoriale du site et la liberté de choix rédactionnel des auteurs perdent de vue un élément essentiel : Agoravox est un média généraliste qui, via la modération, ouvre ses colonnes à toutes les contributions conformes à la charte. Dès lors, que les articles portent sur la politique, le social, l’économie, l’éducation, la santé, la justice, l’environnement, les mœurs, la citoyenneté, l’histoire, les arts ou le sport – sans oublier les parodies –, tous peuvent avoir leur place sur le site. Et plus l’offre est variée, plus elle répond aux attentes d’un public lui-même très divers dans sa composition sociologique. En cela, AgoraVox rejoint la plupart des autres médias, seule une petite minorité ayant choisi de cibler ses publications sur un ou plusieurs thèmes spécialisés.
J’invite en outre les censeurs à se livrer à une introspection : Ont-ils eux-mêmes leur attention focalisée en permanence sur les grands problèmes du moment ? Sont-ils à ce point étrangers à toutes les formes de loisirs (théâtre, cinéma, littérature, musique, sport) que leur seule évocation dans des articles d’AgoraVox suffise à les faire sortir de leurs gonds et à justifier les anathèmes qu’ils lancent aux auteurs « inconséquents » ? N’éprouvent-ils jamais le besoin de faire un break en s’adonnant à des activités légères, voire frivoles, de nature à induire une salutaire décompression ? Autrement dit, n’ont-ils pas de vie hors de la marche du monde et de la conduite de l’État ? Si tel est le cas, je compatis très sincèrement au sort de ces personnes car leur existence doit n’être qu’une succession d’indignations, de colères et de frustrations dont on peut craindre qu’elles puissent affecter leur entourage.
En conclusion, OUI, les médias à vocation généraliste comme AgoraVox sont évidemment légitimes à publier dans leurs colonnes des articles très divers, allant du sujet le plus grave au propos le plus léger. J’invite en conséquence celles et ceux que contrarie la vue d’un article sur les beautés du Val de Loire, sur les conserves de sardines, ou sur la prochaine compétition de football, à rédiger eux-mêmes des textes portant sur ce qui leur tient le plus à cœur en rapport avec l’actualité ou la marche du monde. Je suis d’ailleurs persuadé, au vu de leurs commentaires, que la plupart des personnes en question ont les capacités de soumettre des articles bien construits et suffisamment argumentés pour obtenir le feu vert des modérateurs du site. À cet égard, je m’engage personnellement à valider, comme je l’ai toujours fait, les textes respectueux de la charte d’AgoraVox, quelles que soient la couleur politique et les opinions sociétales ou religieuses de leurs auteurs. Et je ne doute pas que la grande majorité des autres modérateurs soit dans les mêmes dispositions d’esprit.
Mesdames et messieurs, à vos claviers...
“There are no uninteresting things, only uninterested people” (Gilbert Keith Chesterton)