Un rapport américain encense les succès de Dassault…(1)
Voici un rapport que nos amis allemands et espagnols impliqués dans le projet SCAF / NGF seraient bien inspirés de lire, car il explicite très bien de nombreux facteurs clés de succès de DASSAULT, et dont ne disposent pas les britanniques (British Aerospace), et a fortiori les allemands et les espagnols (Airbus D.S.) : Dassault peut s’appuyer sur plusieurs dizaines de prototypes d’avions de combat, et sur une base de données incomparable relative à ces très nombreux essais. C’est grâce à cette expérience, et à une méthodologie très puissante que l’avionneur a pu à la fois satisfaire les autorités françaises et vendre ses avions en si grand nombre à l’export, depuis plus de 60 ans.
Pourquoi publier ce rapport (la traduction de larges extraits) ? Parce qu’il explique très bien, au moins en partie :
- Pourquoi et comment Dassault a été si performant, pour développer et produire des avions de combat excellents, à un coût inférieur à ses concurrents
- Pourquoi Dassault y parvient malgré des budgets de développement relativement faibles, notamment par rapport aux moyens mis en place par les Etats-Unis, et pourquoi les avions réalisés sont souvent aussi performants, au moins sur certains critères, que des avions états-uniens ou russes beaucoup plus chers
C’était l’objet de ce rapport, publié en 1973 (il y a près de 50 ans !), ainsi que de faire des propositions pour les avionneurs et autorités états-uniens.
Et cela explique aussi, en partie, le très grand succès du F-16 américain, vendu à plus de 4 500 exemplaires depuis sa sortie dans les mêmes années que ce rapport : General Dynamics lançait, à coût modéré, un avion qui employait des technologies éprouvées, ce qui contrastait avec les avions états-uniens habituels (utilisant le maximum de technologies nouvelles, même si elles n’ont pas encore été maîtrisées). Et cet avion a fait l’objet d’améliorations successives significatives, à risques maîtrisés, ce qui fait qu’il est actuellement un très bon avion, restant à un prix mesuré.
Pourquoi publier ces larges extraits, traduits, est-ce important ? Et pourquoi le faire maintenant, cinq décennies plus tard ?
Parce que ce rapport est resté relativement méconnu en France ; parce qu’utiliser de nouvelles technologies est important, et même décisif, mais à condition qu’elles soient maîtrisées, et que ceci explique en partie les succès de l’aéronautique européenne, civile (AIRBUS A320 par exemple, ATR), militaire (DASSAULT MIRAGE III, F1, -5, 2000, RAFALE), et d’affaires (FALCON).
Alors que le programme de chasseur F-35 états-unien est un excellent exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire. Voir par exemple L’un des pères du F-16 attaque en règle le chasseur F-35. Contrairement à ce qui a été fait en France avec le Rafale, de nombreuses études, de nombreux travaux préparatoires avaient été lancés dès la fin des années 1970 pour assurer que certaines technologies seraient vraiment disponibles pour le Rafale.
Mais aussi parce que les industriels allemands (et espagnols) contestent le choix, pourtant accepté par l’Allemagne, de DASSAULT Aviation comme maître d’œuvre du NGF (chasseur de nouvelle génération), en demandant que les nombreux lots de travail (Work Packages) critiques soient répartis à 1/3 pour les industriels allemands et 1/3 pour les espagnols.
Ce qui n’est absolument pas conforme à la logique du « meilleur athlète », pourtant acceptée lors du ‘deal’ franco-allemand de 2017 : c’est l’industriel qui a montré les plus grandes compétences qui doit être maître d’œuvre. Le deal était que la FRANCE et DASSAULT étaient respectivement maître d’ouvrage SCAF+NGF et maître d’œuvre pour le NGF, et que l’ALLEMAGNE et les industriels allemands étaient maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre pour le Char du futur MGCS.
Quels étaient alors les acteurs européens de l’aéronautique ?
Dans les années 1960-1970, Dassault est le seul avionneur européen à vendre des avions en grande quantité (870 Mirage III, 725 Mirage F1 et 530 Mirage 5, après plus de 567 Ouragan et 550 Mystère, puis 601 Mirage 2000). A part les modèles pour la Marine (Etendard IV M, Super Etendard), ils sont tous quatre vendus à plus de 500 exemplaires ; ce qui (hors coopération) n’est obtenu qu’une fois par 3 avionneurs européens : Saab en Suède, avec le chasseur Draken (634 ex., dont seulement 92 exportés), puis British Aerospace et Aermachi pour des avions d'appui et d'entraînement, avec respectivement le BAe Hawk, 681 ex., et le MB-326, 750 ex.. Voir tableau un peu plus loin.
C’est dans le secteur militaire, mais c’est encore plus vrai dans le secteur civil : aucune vente à plus de 300 exemplaires par modèle, ce qui était loin d’être rentable ; car le nain Airbus n’a été créé qu’en 1970 pour lancer l’A300, que rejoint British Aerospace en 1979 pour développer l’A310.
Et si les Airbus A300 et A310 constituent une avancée très bénéfique pour l’Europe aéronautique civile, au niveau commercial, ils ne se vendront « qu’à » 850 exemplaires en tout. Il faudra attendre encore de longues années pour constater le fantastique succès de l’A320 (bien après le 1er vol en 1987). Alors que les 3 avionneurs états-uniens étaient des géants, Boeing vendant ses modèles civils à plus de 1000 exemplaires (1010 x B 707, 1 832 x B 727), et lançant le 747, suite à l’appel d’offre (perdu) de l’US Air Force (en 1964) ainsi que le futur best-seller 737 à partir de 1964.
Le secteur aéronautique européen (civil et militaire) est alors extrêmement morcelé, avec généralement plusieurs constructeurs par pays, même après plusieurs fusions. Par exemple :
- au Royaume Uni : Hawker Siddeley (de Havilland, Blackburn Aircraft et Folland, Armstrong Whitworth, Avro, Gloster et Hawker), Scottish Aviation et British Aircraft Corporation (BAC) constitué en 1960 par English Electric, Vickers-Armstrongs, Bristol Aircraft et Hunting Aircraft
- en Allemagne Junkers, Messerschmitt –constituant Messerschmitt AG- Bölkow et Hamburger Flugzeugbau
- en France Sud-Aviation et Nord-Aviation –constituant la SNIAS en 1970-, Breguet Aviation et la Société des avions Marcel Dassault, en Italie Fiat Aviazione et Finmeccanica
- ainsi que Saab en Suède, et Casa en Espagne.
Et les ventes occidentales d’avions militaires sont aussi essentiellement états-uniennes, l’exception étant en France avec les avions Marcel Dassault et ses succès à l’export des Mirage III – Mirage 5 qui se vendirent à 1400 exemplaires en tout, pour 21 pays (premiers vols respectifs en 1956 et 1967), et Mirage F1, 725 exemplaires, dont 479 exportés dans 10 pays.
La fin de la domination écrasante du Royaume Uni, la prédominance de Dassault en Europe
Le tableau suivant montre les nombres d’avions de combat (européens) vendus à partir du Mirage III, et la part presque majoritaire obtenue par les avions Dassault (près de 50%), avec ou sans coopération (Jaguar avec le Royaume Uni, Alphajet avec l’Allemagne, et Tornado entre Allemagne, Italie et Royaume Uni).
La France avec Dassault a alors remplacé le Royaume Uni dans son rôle prépondérant en aéronautique européenne. A elle seule, elle vend plus de deux fois plus d’avions que le Royaume Uni seul, et en coopération 37% de plus que le Royaume Uni en coopération (ces chiffres sont hors Mirage IV, qui est un bombardier lourd, non un chasseur).
Voir Pourquoi et comment Dassault est devenu le « meilleur athlète » (aéronautique militaire) en Europe (1) Le rattrapage français, après-guerre et (2). Les performances et la polyvalence du Mirage III et de ses successeurs (à paraître)
Et avec ses 4 chasseurs Mirage, tous potentiellement polyvalents (à partir du Mirage III E), DASSAULT seul obtient 4 séries d’avions volant à Mach 2.2, vendues en tout à 2708 exemplaires, soit près du triple des Saab (DRAKEN et VIGGEN, 963 ex.), plus de 8 fois l’English Electric LIGHTNING (334 ex.), seul avion britannique ayant atteint Mach 2.
Et Dassault seul obtient plus du double des exemplaires britanniques seuls + en coopération (avec le TORNADO d’attaque au sol, à géométrie variable, ayant atteint Mach 2.34).
Pourquoi les américains, qui dominaient tant l’aéronautique civile et militaire, se sont intéressés aux succès de DASSAULT, au point d’y consacrer un rapport aussi complet, et aussi technique ?
Le succès singulier de Dassault intriguait, notamment aux États-Unis. Si bien qu’ils commandent en 1973 une étude à la Rand Corporation, institut de recherche et d’analyse californien, concernant les AMD-BA, qualifiés de société qui « a généralement la réputation d’être l’une des firmes occidentales les plus efficaces dans le domaine de la conception et de la fabrication des avions ». L’objet est d’examiner et d’évaluer la société Dassault, d’identifier ses qualités et d’envisager ce qui, après une certaine adaptation, pourrait être transposé aux États-Unis.
Le rapport de la Rand insiste sur « le prix, les performances, la livraison rapide et l’adaptabilité à une vaste gamme d’applications » qui constituent « les atouts majeurs » de la Société, ainsi que sur la « conciliation de la minimisation du risque technologique, d’un design le plus simple possible et de hautes performances ». Avec la préférence pour « des évolutions graduelles et incrémentales, plutôt que des schémas de développement préférés généralement ailleurs dans le monde occidental. »
[ « … Dassault differs from most western contemporaries in emphasizing development rather than production ; in uniquely European employment and personnel practices ; in commitment to prototype development ; and in preference for gradual, incremental, and evolutionary design. Dassault's special qualities appear to be attributable to its company policies, astute management, Marcel Dassault's influence, and a reconciliation of low risk technology and design simplicity with high performance. Basic Dassault policies could be adopted in the United States with potentially great advantage in cost and with long term benefits for stability in the U.S. aircraft industry. »
Le rapport de la Rand Corporation : « A Dassault Dossier. Aircraft Acquisition in France »
Les éléments suivants sont repris du rapport, ou en sont un résumé. Les éléments [entre crochets] sont nos commentaires, 50 ans après.
Dès les premières lignes, le rapport évoque les qualités des Mirage III utilisés par Israël lors de la Guerre des 6 jours en 1967, décisives selon les israéliens et ceux qui ont analysé cette guerre, malgré un nombre détenu de seulement 70 appareils.
Plus loin : « Les Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation sont, en termes américains, une très petite compagnie. Dassault n’est même pas la firme aéronautique française la plus importante, elle n’est que la plus grande société aéronautique privée, dans une nation ayant une industrie aéronautique en grande partie nationalisée, des budgets de défense sévèrement limités et une base de R&D incomparablement plus petite que celle des Etats Unis.
Pourtant, pendant les deux dernières décennies [1952-1972], Dassault a fourni la presque totalité des avions de combat de l’Armée de l’Air française, et, si l’on excepte les avions achetés par le gouvernement états-unien pour livraison à l’étranger et ceux livrés par l’Union soviétique à ses alliés, a exporté plus d’avions à haute performance à plus de nations que n’importe quel autre constructeur, et ceci à des prix généralement plus bas que ses concurrents. Sur de nombreux critères, ces avions se sont révélés aussi performants que n’importe lequel dans le monde, des possibles exceptions étant des modèles américains et russes vendus bien plus chers. Depuis le début des années 1950, Dassault a construit plus de 20 versions du chasseur Mirage, plus des prototypes de développement ou opérationnels à géométrie variable ou à décollage vertical. »
Le corps du rapport commence par la présentation de Marcel Dassault : sa personnalité, ses choix managériaux et de recrutement (les grandes écoles françaises), et de la compagnie.
Ainsi que par ses préférences pour des moyens et centres industriels ayant des coûts limités (voire des conditions ‘spartiates’), mais aussi pour quantité de machines de fabrication et d'équipements d'essai complexes, de haute précision et très adaptables. Les machines-outils ultra modernes sont rares, mais au moins un ou deux exemplaires de chaque machine à fabriquer présente dans les usines américaines figurent à l’inventaire de Dassault, et ils ont ces équipements en plus grand nombre que dans des usines britanniques de plus grande taille.
Les ateliers d’assemblage sont plus petits que dans des installations britanniques ou américaines. Les salles de dessin ne comprennent que 12 à 14 tables à dessin, très simples en équipement, mais la lumière et l’acoustique sont excellents, les équipements sont de haute qualité et la disposition des salles de conception est au niveau des meilleurs standards américains.
Les horaires de travail (8 h par jour, pour 8 h payées) sont plus importants que dans les usines du Royaume Uni (6h30) ou états-uniennes 7h30). Les managers travaillent 45 à 50 h par semaine.
Moins de 50% de la production (en poids) des Falcon 20 et Mirage III sont réalisés par AMD-BA (18% de la cellule du Mirage IV et 25% de l’avion). Dans tous les cas, Dassault se réserve les tâches d’assemblage et de test d’acceptation.
Et les commandes de vol sont réalisées en interne (développement et production), puisque personne d’autre en France ne pouvait réaliser des commandes de vol avancées, et plutôt que de les acheter à l’étranger. Exceptionnellement, Dassault sous-traite quelques développements (certains dessins de détail chez Sud-Aviation par exemple), mais la sous-traitance habituelle concerne la production et la conception de l’usinage.
Plus de la moitié des salariés travaillent au développement d’avion ou de sous-systèmes (plutôt qu’à la production).
Le rôle national de Dassault est illustré par quelques chiffres : 32 000 personnes (soit environ 1/3 de l’effectif aéronautique français) au milieu des années 1960 étaient engagés sur le programme Mirage III, mais seulement 5 000 étaient des salariés de Dassault.
[Les commandes de vol sont un point décisif, elles sont au cœur des difficultés actuelles entre DASSAULT Aviation (France) et Airbus D.S.(Allemagne et Espagne), au sujet du projet SCAF / NGF : les parties allemandes et espagnoles affichent vouloir « contribuer » à leur élaboration, alors que Dassault Aviation, qui dispose d’une expérience incomparable dans ce domaine, souhaite les réaliser sans intervention d’Airbus D.S., et sans transfert de technologie, puisque c’est le cœur de son savoir-faire.]
Le prochain article sera consacré à (2) l’art et la science de Marcel Dassault pour gagner de l’argent, avec d’excellents avions, conçus et produits en France au moindre coût, malgré de hauts risques technologiques potentiels.