mardi 11 avril 2017 - par Alain Dussort

Un rêve fantastique sur Marx

C'est un vrai rêve que j'ai fait que je décris ici. Je sais que lorsque de grands changements historiques sont en gestation, certains individus rêvent de ces changements avant qu'ils n'arrivent. Téléscopages historiques "intemporels" et télépathies entre individus durant le sommeil font boules de neige pour devenir des futurs probables ...

Jamais je n'aurais imaginé que cette discussion politique avec Max, un copain de fac, militant actif et atypique du Parti Communiste Français depuis sa tendre enfance, me mènerait au bord de la Seine en de telles circonstances. C'était peut être cette phrase, lancée comme une imprécation : « Je veux rencontrer une tête ! un penseur, et non des copistes ânonnant ! » qui détermina cette aventure onirique que voici.

C'était la fin du mois d'août, Paris fêtait l'anniversaire de sa libération.

Une commémoration qui donnait lieu à de grandes festivités et à un déploiement de forces de l'ordre impressionnant. Il était interdit de circuler autour d'un immense cercle dont le centre était l'hôtel de ville.

« Un aréopage de politiciens et de courtisans devait assister à un spectacle » avais-je entendu dire.

Il faisait déjà sombre quand une foule qui semblait complètement ahurie m'entraîna vers les lumières de la fête foraine du Palais Royal où là on était libre d'aller et venir. Instinctivement je posai un billet de cinq euros sur un stand de tir et m'emparai d'une carabine. Je tirai correctement sur la cible et je me retrouvai avec un immense marteau gonflable sur les bras comme ceux que l'on peut voir dans les dessins animés de Tex Avery.

Je me servais tout naturellement de cet outil en cognant sur l'un des cars de CRS qui bordaient ce stand. Comme d'autres badauds, je trouvais étrange et joli le rouge et jaune de ce marteau sur le vert anthracite du car.

« Ouais ! Allez ! Allez ! » un enthousiasme commençait à naître si bien que trois CRS firent mouvement pour m'interpeller. « Laissez-le ! » « On s'amuse », « C'est conceptuel » dit un autre. Une foule compacte poussa l'escouade me libérant du bras noir qui serrait mon épaule propulsant le marteau en l'air.

Des mains m'éloignèrent de la mêlée. Regardant en arrière, je pus voir une sorte de match de volley-ball viril entre CRS et peuple marteau.

Je me rappelai alors que j'avais rendez-vous avec Max.. Tout en m'éloignant de la foule je me demandai bien pourquoi j'avais accepté de me rendre à la réunion du Comité central qui avait lieu ce soir là près du Pont-neuf. Max savait pourtant que j'avais toujours été viscéralement contre son parti et contre tous les autres d'ailleurs. Nous avions récemment discuté du texte de la philosophe Simone Weil « Note sur la suppression générale des partis politiques »*, écrit à Londres en 1940. Le pire était que, sans en avoir clairement parlé, nous semblions d'accord pour que j'adhère ce soir là au parti. C'était réellement étrange puisque je savais par Max, que contrairement à ce qui était dit à l'extérieur, le parti ne comptait plus que quelques milliers de membres dont cent constituaient le Comité central.

Je montai donc les escaliers en colère contre moi-même, me sentant néanmoins poussé par une force étrange. Tout ceci était irréel . Aussi irréel d'ailleurs que l'occupation du Colonel Fabien à hue et à dia par des dizaines de travailleurs sans-papiers. Je poussai la porte indiquée. Il y avait là tout le comité sauf Max. Je me doutais qu'il ne serait pas là, comme quelqu'un qui prend la fuite après un odieux forfait. Les cent membres du Comité central sirotaient un verre dans leur complet veston foncé, étonnés d'être délocalisés de leur viel oeuf.

Ils firent un signe de tête entendu à mon arrivée. Sur la gauche, la secrétaire assise à son bureau pointa mon nom en bas de la liste. J'étais devenu le cent unième membre.

Tout d'un coup j'appartenais à quelque chose. Je me sentais Dalmarsien.

Après avoir donné un euro symbolique, que je venais d'ailleurs de trouver sur le trottoir, je signai un formulaire en carton gaufré marron clair qui sert usuellement à conditionner les marchandises.

Tout le monde paressait satisfait. Je pensai alors que cela faisait certainement des années qu'ils n'avaient pas recruté un nouveau membre. Deux complets-vestons vinrent vers moi pour me serrer la main. Puis, avec un pinceau surgi de nulle part, on m'enduit de colle : le torse et les cuisses. On me placarda ensuite avec du papier journal. Tout ceci dans un silence impressionnant. Je me regardai dans une glace. Ce n'était pas la faucille et le marteau que l'on voyait dans toutes les commémorations et dont personne ne connaissait la signification, mais un immense compas maçonnique. J'étais parfaitement ridicule et désorienté. Sans que nous échangions le moindre mot, je sortis et me retrouvai parmi une multitude qui m'oppressait. J'avais l'impression d'être invisible car personne ne me prêtait plus attention. Les quais de Seine étaient noirs de monde en attendant le feu d'artifice.

Une force irrésistible m'attira vers un petit escalier qui descendait en dessous du niveau de la Seine. Après avoir dévalé une volée de marches, je poussai une porte en bois bardée de ferrures rouillées. Une vague lueur pointait au fond de ce sanctuaire. Je m'en approchai.

C'était un cercueil en verre dépoli. Les différentes facettes de verre étaient maintenues par du plomb, comme pour les vieux vitraux. L'ensemble était recouvert d'une fine mousse vert émeraude, le caveau était très humide. Je me penchai au-dessus de la lueur et je vis l'image même de la souffrance.

C'était Karl Marx. Momifié. Les joues creusées à l'extrême. Les yeux au fin fond des orbites éclataient d'un noir suppliant et grave.

Il me parla par télépathie.

« Par pitié, je te supplie de me libérer. Va dire à cette bande de pauvres gens de se dissoudre. Tant qu'ils existeront, je resterais enfermé ici sans pouvoir réincarner cette version de moi-même. Va, j'ai confiance en toi ! ».Quand je remontai les marches, j'étais certes un peu surpris mais nullement étonné. J'avais surtout peur que ça ne marche pas. Jamais ils ne me croiront, pensai-je. De plus, même s'ils critiquent différentes formes d'avoir, ils ne croient pas en l'être. Ils s'en fichent bien de la souffrance de Karl Marx. Ils s'en tapent ! L'ont-ils seulement lu ? Ou bien seulement des textes aussi compliqués que dans la Bible.

Pourquoi moi ? Personne me connaît. Je suis dans la merde !

Quand je revins, ils étaient encore tous là comme s'ils m'attendaient. Je ne me souviens plus si je leur parlais ou bien si nous avons communiqué par télépathie comme avec le vieux ; toujours est-il qu'après une courte concertation, ils me suivirent. J'étais très étonné, moi qui n'avait jamais voulu convaincre personne. Au fur et à mesure que nous avancions vers la Seine, la centaine de membres s'égrena. Certains paraissaient réellement effrayés ce qui me donnait confiance car cela prouvait que le charme agissait. Ils auraient pu en effet tout aussi bien s'amener autour du cercueil, tétant leur rouge et grignotant leurs pop-corns et dire avec leur suffisance habituelle : « Et alors ? ».

Eh bien non. Une dizaine resta encore devant la porte et les douze derniers s'approchèrent de la lumière à ma suite. Parmi eux, l'un des chefs de la dernière lignée : un barbu qui semblait tout droit sorti de la planète des singes, une sorte de mac rond, enfin pas vraiment carré. Nous étions en cercle dans un silence impressionnant, en dehors du temps.

Je me doutais bien que Karl ne voulait pas parler à ces apôtres-là, mais je sus que l'opération avait réussi. Instantanément ils venaient de prendre la décision de se dissoudre. C'était incroyable ! Pendant des années, des milliers de gens sincères s'étaient creusés les méninges pour savoir dans quoi ils pouvaient bien être solubles, eh bien la solution était là : ils étaient solubles dans le silence.

Ils ne feront aucune déclaration et ne prétendront plus jamais avoir un avis politique. C'était gagné !

Alors que nous faisions demi-tour, un ex communiste dit : « Incroyable !Il est enterré à Londres mais sa tête est à Paris ! ». Après avoir raccompagné nos invités, Karl m'appela.

Bien, dit-il, j'étais sûr que je pouvais compter sur toi. Il faut que tu fasses encore une chose. Tu dois me couper la tête pour me sortir de là et tu dois la jeter dans la scène, enfin la Seine. Le travail sera ainsi terminé.

Hein ? M'exclamai-je à haute voix.

Allons Marat, ne me dis pas que c'est un problème pour toi...

En m'appuyant contre le mur suite à un vertige, mon pied buta contre un vieux morceau de lame de guillotine. Je ne me souviens plus comment je procédais ou du moins je crois que je préfère ne plus m'en souvenir. Toujours est-il que je me retrouvai parmi la foule portant la tête de Karl Marx dans un sac en plastique de chez Carrefour market. En fait, ce n'était pas la foule de la commémoration qui s'amassait un peu plus haut, mais une masse de sans-logis qui avait élu domicile à cet endroit. Là où souffrait Karl Marx un instant auparavant.

Je m'approchai très difficilement de la berge. Les gens étaient assis les uns contre les autres, le regard perdu dans le fleuve, les pieds affleurant l'eau. Il faisait très sombre, la nuit était complètement tombée et nous étions sous un pont. Je fixai un moment mon attention sur la tête du vieux. Une faible énergie s'en dégageait encore, mais le sac tenait bon. Balancer la tête du vieux dans la Seine me paraissait délicat. J'imaginai un instant faire un bras roulé comme au basket pour passer outre les SDF, mais je me dis : Merde ! c'est quand même la tête de Karl Marx. J'étais de plus persuadé que cela devait se faire très discrètement, personne ne devait me voir.

Au même moment, un immense et féerique bateau-mouche couvert de lampions déboucha inondant la scène de lumières et d'une musique de Nino Rota.

Les réfugiés continuaient de regarder les tourments de la Seine qui reflétaient tant de couleurs sans échanger la moindre parole.

Alors je criai très fort : « Regardez comme c'est beau ! » Tous levèrent la tête vers le bateau et j'en profitai pour laisser doucement choir mon sac dans l'eau. Il sombra d'un seul coup sans effervescence, à l'évidence ce n'était pas un Alka-Seltzer, Poséïdon peut-être ? Tous les océans étaient à remettre en état. Bref, je divaguai.

J'étais content de moi et tout en m'asseyant je me dis : « Voilà une bonne chose de faite, si seulement tous les partis pouvaient se dissoudre. ».

« Cela arrivera ! » me dit la voix de Karl Marx résonnant déjà sous l'arche du Pont . Je regardai une dernière fois les reflets de l'eau. Là où la tête venait de sombrer, une sorte de lueur laser émanant des profondeurs affleurait la surface et se mélangeait aux reflets obliques venant du bateau-mouche. L'ensemble cristallisa une sorte de forme, un visage. L'hologramme de Jean-Luc Mélenchon apparut, tout sourire.

Je me réveillai ensuite d'une humeur exquise pour la journée ...

Alain Dussort

 

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Simone_Weil_Note_sur_la_suppression_generale_des_partis_politiques.pdf



6 réactions


  • Albert123 11 avril 2017 12:38

    « Comme d’autres badauds, je trouvais étrange et joli le rouge et jaune de ce marteau sur le vert anthracite du car. »


    gris anthracite éventuellement, 



  • Claude Courty Claudec 12 avril 2017 04:20

    Le partage des richesses est une autre affaire que ce dont nous bassinent Mélenchon et tous ceux qui partagent l’idée archaïque qu’il ont d’une révolution sociale. Marx et consort ont fait faillite, il faudra bien que les plus nostagiques se fassent une raison un jour ou l’aitre.


    La première forme de ce partage doit être l’investissement par ceux qui disposent des moyens de le faire. Seulement après, la solidarité de l’espèce humaine doit et peut jouer son rôle, pour secourir tous ceux que les bienfaits du progrès n’atteignent pas ou atteignent insuffisamment ; tout simplement parce que « en bon père de famille », il faut gagner avant de dépenser.

  • JP94 12 avril 2017 10:16

    Petit détail bien réel : le présence de sans-papiers et de travailleurs au Colonel Fabien est parfaitement récurrente.

    Des camarades ont obtenu, par la lutte, la régularisation de 132 sans-papiers,salariés à Rungis, , très récemment : ce n’est pas un rêve.
    Et les municipalités « rouges » organisent des parrainages de sans-papiers.

    Pour la dissolution des partis, c’est une question qui s’est posée à la Résistance, mais notez-le, les partis dont il était question étaient tous les partis, sauf le PC , qui lui avait été interdit avant, dès le 26 septembre 39.
    A Londres s’est posée la question de l’Après-guerre, et les pour partis ayant trahi (y compris la SFIO, pour les membres de ce parti refusant la Collaboration), il a été question de les interdire à la Libération.

    Mais vous-même, avez-vous lu Marx ? Il est effectivement d’actualité, et je vous conseille le séminaire de Jean Salem ( CUEM ) , le samedi, à la Sorbonne. Vous constaterez qu’il n’est pas une momie pour les nombreux participants à ce séminaire.

  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 12 avril 2017 11:09

    En lisant l’article, je me demandais si vous parliez de Groucho ou d’Harpo, mais j’ ai vu qu’il s’agissait de Karl.


    Vous pouvez souhaiter la disparition du marxisme au même titre que celle de l’algèbre. Ca ne changera rien à l’évolution des phénomènes qu’il analyse.

  • Alain Dussort Alain Dussort 12 avril 2017 12:46

    Bonjour,

    Entièrement d’accord avec JP 94. Oui je l’ai lu, ainsi entre autres Gramsci, Tronti et Negri. Je reconnais que le PC a fait beaucoup pour les sans-papiers, sauf à l’époque du bulldozer de Vitry contre un foyer en 1980 je crois. J’avais pris ma part à la lutte de 1993, en mettant sur pied avec d’autres la coordination nationale des sans papiers avec Madiguène Cissé et Boubacar Diop, puis en collaborant au film « La ballade des sans papiers » enfin en créant la brochure Papiers qui a été vendue par les sans-papiers, ceux qui voulaient pouvaient garder l’argent.
    Enfin, je ne suis absolument pas contre le marxisme, mais justement pour le remettre en scène. En espérant que cet article incite les gens à lire l’article joint de Simone Veil.
    Si l’hologramme de Mélenchon est une synthèse de Marx et des reflets d’un bateau-mouches, c’est justement parce que je pense que de nombreux électeurs ne se doutent pas de l’immense travail de luttes qui s’ouvre après cette élection, que je souhaite victorieuse pour La France insoumise ...

  • Alain Dussort Alain Dussort 12 avril 2017 12:53

    P.S. Simone Adolphine Weil est une philosophe, humaniste, écrivain et militante politique française, sœur cadette du mathématicien André Weil, née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford le 24 août 1943. Wikipédia.

    Excusez l’erreur sur le nom Weil, c’est mon côté vert anthracite...

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