vendredi 5 novembre 2010 - par Paul Villach

Une déontologie peut-elle aider les médias à retrouver leur crédit perdu ?

Pour retrouver leur crédit perdu, les médias croient avoir découvert le remède miracle : l’affichage à tous vents d’une déontologie qu’ils se promettent de respecter à l’avenir. Des chartes d’éthique et de déontologie fleurissent ici et là. Le journal Le Monde  vient de publier la sienne sur son site Internet, mercredi 3 novembre 2010. Puisque c’est la confiance des récepteurs qu’ils cherchent ainsi à regagner, les médias sont-ils en mesure d’entendre la critique que suscite chez un de ses destinataires une telle manoeuvre ?

1- Un argument d’autorité dont il faut se méfier
 
Cette profession de déontologie est presque aussi touchante que cette profession de foi d’enfants en aube ou en brassard, qui, lors d’une cérémonie catholique appelée « communion solennelle », promettent avec une fermeté intrépide de « renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres  ». Le décalogue biblique et ses dix commandements ont-ils toujours été respectés par les fidèles qui y souscrivent ? En quoi une déontologie, si minutieuse soit-elle, garantit-elle, elle aussi, l’accès certain et continu à une information fiable ?
 
On peut être tenté, c’est vrai, de trouver préférable que des médias se donnent des règles à respecter dans la diffusion de l’information, plutôt qu'ils ne s'en donnent pas. Mais n’est-ce pas un argument d’autorité dont il faut se méfier ? « Tartuffe » de Molière y invite. Cet individu n’a que la déontologie du « Ciel » à la bouche, faisant connaître à la cantonade ses prétendus actes de charité et reprenant chacun sur sa conduite, le sein d’une servante, par exemple, qu’il ne saurait voir. Son ami qui l’héberge, s’est entiché de lui au point de lui faire totalement confiance et de le donner en modèle à toute la maisonnée, sans vouloir savoir que, pendant ce temps-là, le dévot cherche à séduire sa femme. Il ne faut pas moins d’une écoute clandestine à ce nigaud, caché sous une table, pour surprendre les avances indécentes que le voyou fait à sa femme, et ouvrir enfin les yeux, passant ainsi de l’information donnée tissée de leurres que l’imposteur livrait, à une information extorquée toute différente obtenue à son insu et contre son gré.
 
Dans ce contexte, que penser de la règle du Monde qui enjoint au journaliste de « ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents  ». Ne le condamne-t-elle pas à ne relayer que l’information donnée et ses leurres livrés par tous les Tartuffes de la terre ?
 
2- La prétention à s’affranchir de la physique de la relation d’information
 
On ne prétend pas pour autant que les médias qui brandissent une déontologie soient nécessairement eux aussi des Tartuffes. Mais ils prennent le risque de le devenir malgré eux. La raison en est évidente : ils nient tout simplement une loi fondamentale de la physique qui régit la relation d’information. Pourrait-on prendre au sérieux quiconque affirmerait s’affranchir de la loi de la pesanteur sur terre ? On n’a jamais vu personne s’envoler en battant des bras. Or, l’engagement des médias déontologues est analogue et aussi peu crédible. La relation d’information est soumise à un principe fondamental : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Les médias seraient-il les seuls à pouvoir faire le contraire ?
 
On reste donc stupéfait de lire dans la charte du Monde cette autre règle imposée au journaliste : « Respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité. » C’est honorable de se fixer cet idéal pour un journal. Mais le récepteur à qui est destinée la promesse de cet engagement héroïque pour gagner sa confiance, est certain d’avance que cette règle ne pourra pas toujours être respectée en raison du principe énoncé ci-dessus, dicté par le seul instinct de conservation.
 
Faut-il une fois de plus rappeler la maxime qu’on prête à Churchill qui figure en exergue d’un remarquable film de Gérard Vergez, « Bras de fer », paru en 1986 : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges  » ? N’y aurait-il que les médias à ne pas être assujettis à cette loi qui garantit la survie de chacun et pas seulement en temps de guerre mais aussi en temps de paix puisque la nature des relations humaines est d’être conflictuelle ? La préservation de la vie exige de ne pas l’exposer aux coups d’autrui. Et, du coup, « la vérité » peut être dangereuse et « le mensonge », au contraire, salutaire. Ces termes moraux doivent d’ailleurs être écartés dès que l’on parle d’information, car la charge morale positive de « la vérité » et celle négative du « mensonge » peuvent s’inverser quand ils s’agit de sauver sa vie. Mieux vaut parler de « représentation plus ou moins fidèle de la réalité  » et de « leurre  » en cas contraire.
 
3- Reconnaître les contraintes inexorables qui s’exercent sur l’information
 
L’affichage par les médias d’une déontologie ne peut donc suffire pour reconquérir leur crédit perdu. Au contraire, elle suscite un surcroît de défiance puisqu’ils prétendent s’affranchir par enchantement des contraintes qui s’exercent sur l’information, et de la première d’entre elles, les motivations de l’émetteur dictées en priorité par l’instinct de conservation. La déontologie apparaît comme un leurre, un argument d’autorité qui ne tire sa validité que de la puissance de celui qui l’avance, comme s’il ne lui arrivait pas de se tromper ou de tromper.
 
Il serait autrement plus intelligent que les médias admettent publiquement ce qu’ils savent pertinemment comme un nombre croissant de leurs récepteurs, à savoir que l’information est soumise à des contraintes sévères : 1- outre celle des motivations de l’émetteur, 2- celles des médias eux-mêmes selon leur nature (image et mots) leurs ressources, leurs sources ou l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion, et 3- celles des propriétés du récepteur, cible indocile à deux centres, avec son cœur et sa raison, comme dit Pascal.
 
La qualité de l’information sera d’autant mieux garantie que les médias s’adresseront à des récepteurs avertis de ces contraintes inexorables qu’eux-mêmes ne nieront plus : on ne raconte pas de bobards à qui peut les repérer en usant du doute méthodique, sous peine de perdre tout crédit. Les pêcheurs, après tout, eux aussi ont une déontologie : ils s’interdisent certaines pratiques de pêche. Qu’est-ce que ça change pour les poissons qu’ils cherchent à capturer ? Paul Villach


6 réactions


  • jef88 jef88 5 novembre 2010 11:41

    Pour moi cette « déontologie » ressemble à une promesse :
    « Depuis toujours on vous a menti ! Mais cela va changer »


  • Vaul Pillach 5 novembre 2010 13:03

    Tout ceci est bel et bon, Monsieur Villach

    Et si à votre tour, vous publiiez votre propre charte déontologique de citoyen-journaliste ?
    Je serais fort intéressé de la lire ici.

    Chiche ?


    • L'enfoiré L’enfoiré 5 novembre 2010 15:21

      Vaul,
       Il a déjà assez occupé avec la préparation d’un article qui va expliquer ce qu’est la physique quantique.
       Il est très occupé à rechercher les caractères spéciaux sur son clavier pour écrire les fonctions.
       Pas d’impatience.
       smiley


  • LADY75 LADY75 5 novembre 2010 16:06

    Lady Panam’ se marre :

    "Une déontologie pour la presse ? Et pourquoi pas pour la police aussi ?


  • LADY75 LADY75 5 novembre 2010 18:50

    Lady Panam, perspicace :

    « En tout cas, on peut être sûr que l’auteur a au moins lu 2 livres.. Vu qu’il les cite tous le temps :

     »Pour comprendre les media« de Mc Luan
     »Tartuffe« de Molière.

    Apparemment, c’est pour lui comme la Bible pour Sarah Palin ou l’Coran pour Ben Laden... pas b’soin d’lire rien d’autre, c’est des bouquins qui ont réponse à tout ! »


  • Yohan Yohan 5 novembre 2010 22:08

    La déontologie ce serait d’arrêter de biaiser et de commencer par appeler un chat un chat. Tiens ! prenez le cas du gamin miraculé tombé du 7ème étage du Cour de Vincennes. Pas une image du gamin, ni de sa famille à côté de ses pompes, ni des voisins, non rien, que le médecin racontant son exploit.
    Evidemment, il y a comme anguille sous roche, une impression de déjà vu. Eh bien, il se trouve que j’habite le quartier et comme ça me titille, je vais à la pêche aux infos. Ce que la presse n’a pas osé dire, c’est que ce fait divers concernerait une famille africaine logée par la Ville de Paris et vivant de l’assistance. D’après un voisin, le père serait même bigame, les deux femmes ne s’entendant guère.
    Voilà, je n’ai pas plus d’info, je ne dis pas que l’informatiion est totalement fiable, mais je ne suis pas non plus journaliste smiley Le vrai journaliste doit-il ne voirqu’ un exploit ou un coup de chance, ou tenter de creuser derrière les apparences d’un fait divers navrant. Comprendre comment et pourquoi les gamins tombent par les fenêtres, ah bon, c’est pas une question de journaliste....
     


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