mardi 30 janvier 2018 - par Disjecta

VENEZUELA : « Le Média » explose en vol

En quête de crédibilité bourgeoise, le Média - nouvel organe journalistique garanti "100% indépendant" - commet son premier impair : le Venezuela de Maduro est bien une dictature qui empêche son opposition, profondément attachée aux principes démocratiques comme on le sait, de se présenter aux futures élections présidentielles. Un mensonge repris de l'AFP (organisme bourgeois "absolument fiable") qui semble déjà enterrer les ambitions énoncées à haute voix par des journalistes en principe libérés des chaines de leurs confrères.

Le Média, lancé le 15 janvier avec tambours et trompettes, a été présenté comme le nouveau support médiatique grâce auquel le lecteur, l'auditeur, le spectateur, allaient enfin pouvoir compter sur un solide travail journalistique, mû uniquement par le souci de la vérité, le développement de sujets touchant la vie des travailleurs, leurs combats, leurs souffrances ordinaires, la cupidité de ceux qu'ils affrontent. Et on ne peut nier que, comme a pu le souligner Daniel Schneidermann sur Libération, cela change du 20h de France 2 et, plus intéressant encore, cela montre à quel point nos antennes publiques ne sont plus (sauf cas rares et anecdotiques en vérité) que la voix des puissants, de l'orgie financière et de l'ignominie capitaliste. Il n'aura pourtant pas fallu onze jours pour que, le 26 janvier, le Média relaie dans son JT l'information complètement fausse, mais estampillée AFP (pour le petit-bourgeois avide de consécrations, cela reste - très normalement hélas - un gage de probité), selon laquelle la Cour Suprême de Justice au Venezuela aurait empêché aux opposants à Maduro de se présenter à l'élection présidentielle de 2018. Ainsi entend-on, à 12min10 du JT de ce soir-là :

« Au Venezuela la voie est libre pour Maduro. La Cour suprême vénézuélienne a en effet créé la surprise hier soir (une cour acquise, hein, au président socialiste). Elle exclut la principale coalition d’opposition de la prochaine présidentielle anticipée prévue d’ici fin avril.
La Cour suprême a en effet autorisé le conseil électoral à repousser de six mois l’inscription
des partis d’opposition en vue du scrutin. L’inscription se fera donc après le scrutin. Cherchez l’erreur. »

Les faits sont cependant ceux-là, qui demandent une recherche d'environ trente secondes sur internet (il est vrai en évitant l'AFP dont les preuves d'un passif particulièrement mensonger ne manquent en principe pas, sauf pour le petit-bourgeois avide de reconnaissance de ses "maîtres"), que la Cour Suprême de Justice - élue par l'assemblée nationale vénézuelienne - s'est basée sur la loi du pays pour refuser à la MUD, qui n'a pas de statuts déposés, de présenter un candidat à l'élection présidentielle. La Cour accorde cependant six mois supplémentaires à la MUD (dont les dirigeants, ces vicieux et ces traîtres à leur patrie, savaient très bien ce qu'ils risquaient) pour régulariser le dépôt de son (ou ses) candidat(s) en accord avec la loi électorale du pays. Autrement dit, les opposants à Maduro ont obtenu, malgré leur incroyable impair par rapport à la loi du pays, six mois supplémentaires pour présenter leur(s) candidat(s) aux élections présidentielles. Et non pas, comme l'a affirmé le Média, l'interdiction pendant six mois d'enregistrer leur(s) candidat(s). Exactement l'inverse donc de la réalité des choses, sur les principes très orwelliens de "vérité" auxquels répondent les médias - tous ou presque détenus par des milliardaires - de notre pays.

Le Média, onze jours seulement après sa création, ose donner à son auditeur - en brandissant les vertus d'indépendance et de vérité qu'avec quelques raisons il ne perçoit plus chez ses confrères - pour balancer un énorme mensonge. Qui plus est, sur un pays qui résiste depuis vingt ans, et l'élection de Hugo Chavez, à une campagne d'injures, de mensonges et de menaces quasi incessantes depuis les médias occidentaux, tous coupables d'avoir défendus les guerres les plus ignobles, les renversements de gouvernement permanents et les élections les plus truquées (cf. l'Irak, la Libye, la Syrie, le Mexique, le Honduras, le Brésil, l'Argentine, la Colombie, etc.). Comment expliquer cela ? Par cette expression bien connue : "Chassez le naturel, il revient au galop."

Le Média est en vérité un média petit-bourgeois et, en tant que tel, il lui faudra sans cesse lutter contre sa nature de classe - qui est de vouloir s'accrocher aux wagons de la bourgeoisie, aux honneurs, aux récompenses, aux carrières - pour échapper à son destin : celle de n'être qu'à la remorque de la bourgeoisie, quêtant de celle-ci les colifichets institutionnels, de respectabilité - innombrables - mis en place pour assurer que tout ce qui la dérangera vraiment ne parvienne pas à obtenir les brevets de bienséance qui constituent un pan essentiel de son hégémonie. Or, tout ce qui a paru préoccuper ses créateurs jusque-là, c'est de répondre aux accusations des médias "jaunes" - ceux que se sont payés les milliardaires - qu'ils seraient proches des idées de la France Insoumise, qu'ils pourraient être suspectés d'être inféodés aux idées de Jean-Luc Mélenchon. Et plutôt que de demander à leurs contradicteurs d'observer la poutre ignoble qui leur barre le cerveau, celle de leurs propriétaires milliardaires dont le seul intérêt de détenir un journal est d'augmenter leur magot, les voilà à jurer que, non, non, ils sont tout ce qu'il y a de plus indépendants, de plus objectifs, la preuve ils reprennent des dépêches de l'AFP... Reniement à la Saint Pierre face aux bourreaux du Christ qui n'a pas manqué d'aboutir très vite à trahir les idéaux qu'on s'était donnés et à relayer l'énième mensonge balancé contre le Venezuela par les officines de presse occidentaux, férocement préoccupées de démocratie, d'égalité, de fraternité et de liberté comme on le sait...

Le Média, ses concepteurs, ses journalistes, vont en vérité devoir lutter très dur pour abandonner leur quête - propre à leur position de classe intermédiaire - d'honneurs bourgeois, et respecter enfin ce pour quoi ils prétendent se consacrer : la cause du peuple, la cause des travailleurs, la cause de ceux qui ne vivent pas de rentes, la cause de ceux qui n'ont pas des millions pour s'acheter des journalistes, des candidats présidentiels, des Hollande, des Macron, des Wauquiez ou des Le Pen, la cause de ceux qui ne leur donneront pas des prix, des salaires confortables, qui ne les inviteront pas dans des soirées "select", qui ne leur feront pas côtoyer les "grands de ce monde", qui ne les pousseront pas à s'admirer dans le miroir des soi-disant bons sentiments, des soi-disant "principes démocratiques" (ne valant que pour les autres), des grandes manifestations d'auto-congratulation à la "Je suis Charlie" qui ne font que masquer l'épouvantable ignardise dans laquelle la bourgeoisie tente de maintenir nos sociétés, pour le seul profit de ses intérêts, de son pouvoir et du vampirisme intrinsèque à sa classe parasite.

N.B : Accessoirement, on ne saurait trop conseiller au Média d'accepter la main tendue de Maxime Vivas et du Grand Soir pour leur donner les bonnes informations sur le Venezuela, plutôt que l'AFP. Évidemment, ça ne va pas sembler très crédible pour le Figaro ou Libération mais si c'est ce genre de crédibilité que recherche le Média, autant arrêter tout de suite de prendre ses "socios" pour des pigeons...

 



101 réactions


    • Disjecta Disjecta 12 février 2018 13:35

      @Tarukaja
      Il est impossible de changer ou de compléter un article sur Agoravox. Le serait-il que je ne ferais évidemment pas la note que vous réclamez. Si je suis si exigeant avec le Média, c’est - vous vous en doutez - que je suis avec intérêt ce qu’ils font. Et je crois avoir souligné suffisamment le péril qui, quoi qu’on en veuille, menace ses journalistes.
      Encore une fois, le Venezuela joue sa vie, affronte tous les médias mainstream et le pays le plus dangereux au monde (les US : plus d’un million de morts en Irak, des centaines de milliers en Libye et en Syrie - avec l’aide de notre pays-caniche -, entre autres récents faits d’arme). Le Média doit donc faire très attention à ce qu’il dit, d’autant plus qu’il est suivi par le dernier cercle de ceux qui, s’il y a lieu, devront défendre jusqu’au bout le droit du Venezuela à disposer d’un gouvernement progressiste. Désinformer ce cercle-là est donc d’autant plus grave.
      Les journalistes du Média ne doivent pas chercher à se gagner une légitimité facile sur le dos du Venezuela ou de Cuba (mais je ne reviens pas là-dessus, c’est assez bien expliqué dans l’article et mes commentaires).
      Je me suis effectivement réjoui de la première de l’émission Les Sujets qui Fâchent. Mais je ne vais pas faire un article pour dire que le Média fait enfin son boulot ??
      Du moins j’espère que ses journalistes auront appris quelque chose de cet épisode. Pour être franc, je suis pessimiste. Gerard Miller, qui présente les Sujets qui Fâchent, a lâché cette phrase à l’émission de Ruquier, le 20 janvier 2018 : « Comment ne pas critiquer Cuba lorsqu’il y a des persécutions contre les homosexuels ? » Je vous renvoie à l’article du Grand Soir sur le sujet.
      On voit en tout cas que le mal est profond. Dès qu’on lui demande de se justifier, le gentil petit-bourgeois de gauche qui veut se faire bien voir du « cercle de raison » bourgeois a toujours la possibilité de balancer un mensonge contre le Venezuela ou Cuba (c’est au choix). Non seulement c’est lâche mais c’est en plus criminel sachant ce que ces deux pays endurent de propagande et de menaces. C’est donc évidemment sur ça que je continuerai à faire des articles car il est intolérable que de telles attitudes perdurent dans notre camp (cf. plus haut mon anecdote d’un militant d’Ensemble dans une manif...). Si tant est évidemment qu’on veuille vraiment être de notre camp...


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