mercredi 7 septembre 2011 - par Paul Villach

Verdi banni des radios italiennes : les barbares dans la cité (IV)

Monteverdi, Vivaldi, Rossini, Verdi et les autres ont-ils jamais existé ? On commence à en douter. En tout cas, à écouter les radios de leur pays natal, ils ne paraissent pas mériter qu’on se souvienne d’eux !

Pas une radio audible !
 
On a traversé, cet été, l’Italie de part en part. La première fois, on est allé d’Est en Ouest, de Vingtimiglia au col du Brenner, puis de Villach, sur la frontière Autrichienne, à Vingtimiglia en passant par Venise, Padova, Mentova et Cremona, la ville, dit-on, des luthiers Amati, Guarneri et autres Stradivari qui sont sans doute aussi des légendes. La seconde fois, on est descendu de Vingtimiglia à Napoli en passant par Pise et Rome pour en revenir. On aime rouler en écoutant la radio. C’est même le seul moment où on en a le temps. On a donc pu en voyage passer en revue toutes les radios italiennes que l’on captait au passage selon les lieux (2).
 
Or, on n’en pas trouvé une seule d’ audible, à l’exception de RAI 3 qui diffuse de temps en temps de la musique classique, mais, - hélas ! – à la façon guindée de notre France Musique avec une préférence marquée pour les œuvres complètes sans mélodie, entrelardées de savants papotages sur la couleur des sons.
 
Il n’existe apparemment pas en Italie de station comparable à Radio Classique qui a compris que la meilleure façon de faire aimer la musique à des profanes est de proposer de courts morceaux choisis tirés de préférence des œuvres des plus grands mélodistes du répertoire.
 
Une soupe populaire musicale insupportable
 
Sur les radios italiennes, quand on ne bavarde pas à n’en plus finir entre compères et commères qui se marrent entre eux à l’antenne ou avec les auditeurs au téléphone, un même type de musique est asséné, sorti tout droit de la même usine qui formate et profile rythmes, timbres et sons comme le laminoir d’une aciérie débite entre ses rouleaux compresseurs des câbles de même calibre. Quatre tares caractérisent cette soupe populaire musicale :
 
1- un même rythme, le plus souvent binaire, battu par un attirail hétéroclite de ferraille flagellé ou cogné en cadence,
 
2- une rengaine de quelques notes ressassée jusqu’à plus soif, qui émerge vaille que vaille du tintamarre de lessiveuses tabassées,
 
3- des voix féminines pré-pubères ou des éructations masculines enrouées, à peine audibles ou, au contraire, vociférantes,
 
4- et enfin un bégaiement du rythme, de la mélodie et des paroles en sabir anglo-américain le plus souvent.
 
C’est proprement insupportable ! À l’exception de RAI 3, déjà nommée, de Radio Radicale qui ne cesse de jacasser pour refaire le monde et de Radio Maria avec ses prêches et ses prières, Toutes les radios dégurgitent le même vomi sonore entre des sketchs publicitaires criards d’une stupidité accablante.
 
La réflexion lumineuse de Platon
 
C’est alors qu’en entrant dans Rome, on a soudainement compris la réflexion de Platon, citée par Paul Watzlawick dans « Le langage du changement  », et qui restait jusqu’ici assez énigmatique : « Toute innovation musicale, écrit-il dans « La République  », représente un danger pour l’État tout entier et devrait être interdite. C’est ce que Damon me dit et je ne peux qu’abonder dans son sens. Il dit que, quand la musique change, les lois fondamentales de l’État changent inéluctablement avec elle.  » (1). On prête aussi à Platon cet aphorisme : « Si tu veux contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique  ».
 
Manifestement, les stratèges aujourd’hui au pouvoir, genre Berlusconi, ont lu Platon : ils ont pris les devants et imposé la musique qui protège leur régime ploutocratique de prédateurs. Ces soupes populaires sonores que déversent toutes les radios, offrent un exutoire aux égouts de frustrations d’une population abrutie : saturation sensorielle, hurlements et branle violent de tout le corps convulsé donnent sans doute l’illusion momentanée d’une maîtrise de soi et de l’univers pour soulager des humiliations quotidiennes d’une société où la plus grande part de ses membres est sommée de ramper aux pieds de ses patrons à longueur de journée.
 
Tous les joyaux du patrimoine musical européen en particulier sont aujourd’hui systématiquement bannis des radios italiennes. Il ne faut surtout pas le transmettre à une masse que ses maîtres entendent abrutir en la saturant de vacarme à la faire hurler et entrer en transes pour la vider de ses sanies. Les Barbares dans la cité ont exilé le dangereux Verdi et ses pairs : le choeur des esclaves de « Nabucco » ne risquerait-il pas d’inciter les sujets à la révolte et à l’insoumission ? Paul Villach 
 
(1) Platon, « La République  », cité par Paul Watzlawick in « le langage du changement  », Éditions le Seuil, 1980 , p 34.
 
(2) Voici une liste indicative de ces radios : Radio Radicale, Radio Italia, NIlsson Radio, Radio Capital, Radio Bruno, Radio Fiesta, RMC1, RMS, Radio Popolare, Radio Kiss Kiss, Radio Blu, RAI 1, RAI 2, RAI 3, Radio Zeta, Radio Subasio, RM5, Radio Nostalgia, Radio sportiva, RTL, Virgin, RDS, Radio 24, Radio Club, Radio Cuore, Radio Stop, Radio 101, Radio Beejay, Radio 19, Radio Toscana, Radio Maria.


14 réactions


  • pepin2pomme 7 septembre 2011 13:43

    Tout à fait d’accord Paul.
    Peut-être faisons-nous partie d’une minorité que n’intéresse aucun annonceur.


  • tiloo87 tiloo87 7 septembre 2011 14:48

    Depuis le temps que Radio Classique sert de la « soupe classique » au profanes, elle n’aura servit qu’à faire vendre du André Rieu...

    France Musique s’adresse plutôt à ceux qui aiment la musique, aiment en entendre parler et l’écouter vraiment (toutes les musiques, sans exclusion , contrairement aux autres radios).

    Par contre, je partage votre analyse sur l’utilisation de la « soupe populaire sonore », et pas qu’en Italie !


  • pepin2pomme 7 septembre 2011 15:57

    Il m’arrive d’écouter une radio qui ne diffuse que du classique, sans bla-bla autres que le titre des morceaux, sans pubs, en ne découpant ni trop (pas de simples extraits), ni trop peu (pas de symphonies complètes). Elle est accessible par internet, c’est Radio Suisse Classique.
    Malheureusement, je ne vois pas comment la capter en voiture, alors quand on est au volant on se réfugie sur France Musiques...


  • Kessonfait ? 7 septembre 2011 18:16

    « Les Barbares dans la cité ont exilé le dangereux Verdi et ses pairs : le choeur des esclaves de « Nabucco » ne risquerait-il pas d’inciter les sujets à la révolte et à l’insoumission ? »
     - vous ne croyez pas si bien dire ! Peut être êtes-vous déjà au courant de ce qui c’est passé lors de la représentation du 17 mars pour le 150e anniversaire de l’unification de l’Italie. Cela pourrait avoir un rapport avec votre article.

    Un article sur Avox en parlait.


  • docdory docdory 7 septembre 2011 18:23

    Cher Paul Villach

    Je ne vais pas forcément être très objectif sur ce coup là. 
    Personnellement, tout en reconnaissant la qualité musicale intrinsèque des compositeurs d’opéra en général et d’opéra italien en particulier, il se trouve que, si j’aime nombre d’oeuvres de musique classique, en particulier les musiques vocales quand ce sont des choeurs qui font la partie vocale, les vocalises des chanteurs et chanteuses d’opéra m’ont toujours, depuis mon enfance, paru franchir la limite du supportable.
    Arrivé à mon âge, j’essaie de m’astreindre d’en écouter de temps en temps pour ma culture personnelle, mais franchement, de là à aller zapper sur une radio pour entendre de l’opéra, il y a un pas que j’ai bien du mal à franchir. Quand à me rendre à l’Opéra pour voir un opéra, même si on m’offrait la place, je crois que je déclinerais l’invitation. Si j’aime de nombreux styles de musique ( bien que j’ai une nette prédilection pour le jazz et la musique classique de l’Inde : les ragas, pas Bollywood ! ), je ne parviens pas à aimer réellement l’opéra.
    Cela dit , je suis d’accord avec vous concernant la soupe radiophonique atroce qui est servie 24 h sur 24 dans les radios « musicales » destinées à un public adolescent.
    Mais là , on se retrouve devant un problème éducatif qui est quasiment insoluble.
    J’ai essayé à de nombreuses reprises de suggérer à mes enfants de venir voir un concert de musique classique, j’ai même été jusqu’à leur proposer trente euros à chacun s’ils acceptaient un jour d’assister avec moi à l’un de ces concerts, mais c’est peine perdue : bien que je le regrette profondément, ils frémissent d’horreur rien qu’à l’idée d’écouter de la musique classique. Même l’appât du gain n’est pas en mesure de les convaincre.
    Parfois, si j’ai le malheur de mettre de la musique classique sur mon auto-radio, j’ai droit à un torrent de protestations qui m’oblige à éteindre le poste ...
    D’une certaine façon, la seule façon de leur faire entendre autre chose que de la soupe musicale, c’est de les emmener au cinéma : après tout, il y a de très bonnes musiques de film, qui peuvent ouvrir leurs oreilles à autre chose que Kathy Perry et Rihanna ...




    • Méditerranéen 7 septembre 2011 18:54

      « franchir la limite du supportable »
       - je profite de votre commentaire pour vous proposer cette représentation qui selon les dire ce serait faite au « diapason de Verdi ». N’étant pas compétent dans ce domaine j’espère que vous pourrez m’en dire plus. Le texte introductif sous la vidéo en explique un peu la teneur.

      Sinon pour vos enfants, il vous faudrait devenir mixeur, mixer Katty Perry et Rihanna en Classique. 


    • Paul Villach Paul Villach 7 septembre 2011 18:55

      @ Cher Docdory

      Ne croyez pas que je sois fan de l’opéra. Je ne suis qu’un profane en musique qui adore les mélodies.
      De même que la littérature sans histoire me rase, genre « Nouveau Roman », je ne conçois la musique qu’avec une mélodie que j’identifie et qui me transporte : « Le lac des cygnes », Schubert, Mozart, Bach, Vivaldi, Verdi, Boëldieu, Rossini, Beethoven, Satie. Je ne vais pas tous vous les passer en revue.

      Il m’apparaît comme capital que ce patrimoine civilisationnel imprègne les générations européennes successives, car Platon a raison. J’ai fini par comprendre cette relation énigmatique entre régime politique et musique qu’il établit, en entrant dans Rome il y a trois semaines. Paul Villach


    • docdory docdory 7 septembre 2011 23:44

      @ Liberté

      J’ai fort heureusement d’autres moments pendant lesquels je peux écouter de la musique ! Néanmoins, étant professionnellement très sensibilisé à la sécurité routière, je n’ignore pas que la distraction du conducteur par un conflit stérile risque d’entraîner un accident. Eviter cela justifie de sacrifier momentanément certains principes !

    • docdory docdory 7 septembre 2011 23:49

      @ Paul Villach

      Effectivement, il m’arrive de craindre la survenue prochaine d’une époque dans laquelle jouer du violon, du hautbois ou du basson ( pour ne citer que ces instruments ), et lire une partition, soit devenu un art perdu comme l’allumage du feu sans allumettes ou la taille du silex.

    • Cosmic Dancer Cosmic Dancer 7 septembre 2011 23:55

      Oué, Doc.
      Juste en espérant que ce n’est pas à l’islam que vous l’imputerez, mais à l’évolution (on rase gratis) de nos sociétés (parce que, ailleurs, ça bouge).
      Sic transit gloria mundi.


    • docdory docdory 8 septembre 2011 17:05

      @ Cosmic dancer

      Je pense qu’il s’agit de l’évolution de la société : le fast food, la fast music, il y a aussi le fast speak qui consiste à remplacer les adverbes ( rapidement ) par les adjectifs ( rapide ). 
      L’islam n’a bien entendue rien à voir avec ça !

  • Atlantis Atlantis 7 septembre 2011 22:04

    youtube => « epic music »
    pas de quoi ...


  • Fergus Fergus 8 septembre 2011 10:08

    Bonjour, Paul.

    Il est effectivement dommage qu’il n’existe pas, en Italie, l’équivalent de France-Musique ou Radio-Classique, et a fortiori ds émissions comme « Carrefour de Lodéon » sur France-Inter.

    Mais en l’occurrence, c’est la dérive pour la soupe formatée qui est surtout en cause, évidemment pas le désir d’évincer des ondes les formidables compositeurs italiens. Ceux-là sont balayés comme les autres par le maketing triomphant.

    Sur le plan de la présence à l’antenne, force est d’ailleurs de reconnaître que les grands compositeurs français ou francophones sont eux-mêmes fort peu présents sur nos stations précitées, qu’il s’agisse de Couperin, Rameau, Devienne, Leclair, Saint-Georges, Gossec, Gounod ou Lalo. Seul Bizet et, à un degré moindre, Berlioz et Ravel tirent un peu leur épingle du jeu.

    Ainsi va la programmation. Et ce n’est pas demain la veille que l’on entendra, dans la programmation parisienne, hors Pleyel ou Gaveau, autre chose que la Petite musique de nuit de Mozart, les Quatre saisons de Vivaldi ou le Canon de Pachelbel. Terrifiante dictature du conformisme !

    Cordialement.


  • Roosevelt_vs_Keynes 8 septembre 2011 10:13

    Toutefois, en Mars dernier, Verdi a déjà foutu une claque à Berlusconi...


Réagir