Villages d’antan et villages d’aujourd’hui
Je viens vous parler du temps passé et du temps présent. Vous parler du temps passé où les villages respiraient encore, où le coeur battant, tel le sang dans les veines, la vie grouillait dans chaque rue. Je viens témoigner du silence, du néant imposé au fil du temps par l'exode rural qui anéantit, tour à tour, le petit commerce, les services de proximité... Témoigner du silence imposé par ceux, qui venu des villes, ont fait le projet de faire de vos villages des oasis de silence au bitume vierge de fumier. Même le paysan devenu exploitant, producteur, s'est décentralisé laissant place aux villages-dortoir.
De bouches à oreille, de témoignages en témoignages, de souvenirs surgis des méandres de ma mémoire, j'ai esquissé un portrait de ces temps perdus ; traits de sanguine sur papier chiffon.
Aussi j'ai voulu partager avec vous tout ces mots reçus de voisins, d'anonymes croisés au hasard des rues, ces souvenirs d'enfance. Ces maux en mots soufflés au creux de l'oreille, ces joies ressuscités , ces éternelles querelles de clocher.
Quand j'étais petit, chez ma grand mère, il y avait trois chiens, une chèvre, des poules, des oies, un coq mais plus de vaches. Au dessus de sa maison, un pré avec de nombreux fruitiers, des pêchers, pommiers, des cerisiers... En face l'ancienne écurie était branlante et il m'était interdit d'y mettre un pied. L'écurie à deux étages était battit sur une pente et on pouvait avoir accès à l'étage, de plein pied, à l'arrière. Devant il y avait un rez de chaussé ou les motos et les camionnettes étaient garées. Au premier il y avait encore du foin et des vieux objets qui jonchaient le plancher. Un chemin gravillonné d'une dizaine de mètres reliait la propriété à la rue. C'était une belle bâtisse de trois étages qui avait été construite par mon grand père et ses frères. Régulièrement je voyais mon oncle (il était maçon) et parfois mon cousin d'une dizaine d'années passer avec des engins de chantier . Un peu plus bas, tout au bout de la rue, se trouvait une épicerie appartenant à un cousin de ma mère, lui appartenait aussi un abattoir et une charcuterie. J'y allait de temps à autre chercher le pain, la charcuterie et quelques courses. L'endroit était frais, agréable.
A cette époque la grande majorité de mes oncles et tantes se situaient dans cette ville, et quelques un dans cette rue. Aussi, régulièrement, je traversais la ville haute d'un bout à l'autre et tout le long de ma route j'étais annoncé par les aboiements des chiens. Jamais je n'ai entendu quiconque s'en plaindre, c'était normal, on y prêtait même pas attention.
Mes parents, eux, avaient hérités de quelques hectares de terrains et il fallait les entretenir. Pour ça ils enlevaient les broussailles près du bois et les mettaient en tas pour les brûler. Quand l'herbe était sèche, ils y démarraient un feu qu'ils tâchaient de dompter pour ne pas qu'il ne s'étende de trop. Sur ces terrains il y avait pléthore d'arbres fruitiers, le jardin était immense et jamais on achetait de légumes ou de fruits, parfois quelques oranges et nectarines tout au plus. Même les citrons étaient maison : le citronnier migrant à l'intérieur en hiver. D'ailleurs que d'anecdotes avec ces arbres fruitiers et ce jardin. Par exemple, quand les fruits étaient mûrs il fallait se presser à les cueillir, non parce qu'ils se gâtaient vite mais parce que les oiseaux pillaient le haut tandis que des bipèdes ratiboisaient le bas. Ne parlons même pas des légumes qui disparaissaient la nuit. Sujets de conversations récurrents. Parce qu'on les connaissait les coupables, toujours les mêmes...
Dans mon village adoptif, il y a 50 ans, il y avait des coqs, des poules, des chiens, des chats qui vaquaient dans les rues. Des troupeaux de vaches parcouraient le village d'un bout à l'autre, laissant des bouses malodorantes sur leur passage. Elles s'arrêtaient à la fontaine ou l'eau gratuite coulait, s'abreuvaient puis repartaient. Les dames qui brodaient sur le pas de leur porte protestaient parfois quand elles étaient éclaboussées au passage.
A l'époque on animait des bals, des fêtes, des processions... Le boucher du village préparait la viande et les repas. Parfois il se mettait quelques morceaux en douce de côté. Et quel scandale quand on le découvrait ! L'ivrogne du village voulait danser avec les jeunes filles, et à chaque pas qu'il dirigeait vers elles, c'était une envolée de moineaux.
Ma maison était une boulangerie, celle attenante, était une épicerie. Plus loin, il y avait le café ou les hommes se rencontraient, bavardaient. Ainsi dans ce petit village on trouvait à se fournir, à s'amuser et tous se connaissaient. Les ragots allaient bon train (maintenant aussi), entre celle là qui n'était pas la fille de son père, le curé qui flirtait avec les belles du village et la mère untel qu'on avait vu se cacher derrière le monument aux mort avec le tablier bien plein, les langues fourchues ne chômaient pas. Bien sûr, il était mal vu d'être une pièce rapportée. Avant, l'étranger, venait de plus loin que le village voisin. Aujourd'hui l'étranger est d'une autre couleur, d'une autre culture. Encore que la méfiance est toujours de rigueur face au nouveau venu d'où qu'il vienne.
Aujourd'hui qu'il est bien triste mon village. Dans ma rue, il n'y a pas un bruit à part celui des oiseaux qui chantent et des mouches qui volent. Rarement un tracteur ou une voiture ne passe, pas un coq ne chante, les chats sont tout juste tolérés, pas une oie ne cacarde, pas un canard ne cancane, pas un âne ne brait, pas un chien n'aboie (certains sont équipés de colliers anti aboiements), la cloche ne sonne qu'à certaines heures, les vaches sont dans des fermes à l'extérieur, les rues sont impeccables avec leurs fontaines remplies de terre et de fleurs. Quand à ma mère, là ou elle habite, elle ne peux pas brûler son tas de branches sans avoir les gendarmes à sa porte.
Combien ont été agressés ou menacés de tribunal parce qu'ils élevaient un coq ou possédaient un chien. Ce sont protestations quand les tracteurs passent dans la rue. L'âne que l'on entendait, on ne l'entend plus. Les chats ? Vous comprenez ils font du désordre dans les plates bandes. Un enfant joue bruyamment ; il se fait rabrouer.
Dans ma rue règne un silence de mort. A se demander si on est pas dans un cimetière.
De parole d'ancien, les dernières vaches au sein du village ont suscités des plaintes et se sont vues expatriés dans d'autres fermes à l'extérieur. En fait, petit à petit, les commerces sont partis faute de clientèle. Les citadins sont venus avec cette phrase : "je suis venu dans un village pour être au calme". Donc le village se tait. Comprenez qu'une ville, c'est moins domptable : comment arrêter chaque mobylette au son infernal, chaque idiot qui a deux heures du matin passe avec un quad poussé à fond, comment faire taire l'ivrogne qui hurle dans la rue, les passants indiscrets, le crétin qui klaxonne à minuit, etc... On y passerait la nuit. Non, disent-ils, un village n'est pas "une ferme" ! N'importe qui de raisonnable comprendrait qu'il est normal en milieu rural de trouver des fermes dans les villages, avec tout ce qui va avec d'animaux, de tracteurs et de fumier. Mais aujourd'hui, la raison est la raison du plus fort. Celui dont les menaces sont plus percutantes.
Anecdote supplémentaire : ça me rappelle cette histoire que j'avais lu je ne sais plus bien à quel endroit. Une femme vivait depuis une bonne décénnie de son élevage de canards. Puis une personne s'est installé à proximité. Horreur, malheur ! Que de nuisances ! Il fallut que cette nouvelle venue mette au tribunal l'éleveuse pour lui faire fermer boutique.
J'aime la campagne, elle fait parti de moi : probablement les gènes de mes aïeux. Alors si un village qui a gardé sa fonction de village, avec ses vaches, ses poules, ses coqs, et ses bouses qui jonchent la rue veut bien m'accepter, je suis preneur.
Je me suis posé la question maintes fois : "pourquoi cette évolution ?". La guerre du bruit contre le silence, n'est-elle pas la guerre de tous contre tous, dans une société individualiste ou seul l'intérêt de chacun compte ? Forcément, j'ai le droit de me détendre en mettant la musique à fond à 22h, mais l'autre n'a pas le droit de tirer une chasse d'eau quand je décide que ça doit être le silence à 16h. Et celui qui se veut le chantre du respect impose un silence de mort à tous car lui s'évertue à ce qu'il n'y ai aucun bruit qui traverse sa clôture. N'est ce pas un manque de respect que d'empêcher la vie, n'y a-t-il pas un équilibre entre le trop et le rien ?