Vingt-et-un Bobby Sands iraniens en danger de mort !
En 1981, Bobby Sands et neuf autres nationalistes irlandais ont trouvé la mort dans une grève de la faim longue et pénible. Le scénario risque de se répéter 29 ans plus tard, en Iran ce coup-ci.
Iran – Karaj (40 km à l’ouest de Téhéran) – La prison de haute sécurité de Rajaï-Chahr est déjà détentrice de records en matière de tortures et des exécutions en masse. Depuis le 30 juillet, cette sinistre prison est encore une fois à la Une. Des gardiens encagoulés et équipés des équipements de la police anti-émeute, ont donné l’assaut sans le moindre préambule au Bloc 12 du quartier 4 qui enferme les prisonniers politiques. Ces derniers sont passés au tabac, leurs biens sont cassés ou confisqués et leur argent liquide volé par les gardes. Ils sont ensuite transférés brutalement dans un nouveau bloc sans leur permettre d’amener leur ustensile personnel.
Là, les conditions de détention sont des plus insoutenables. « Les prisonniers sont détenus dans des cellules avec des fenêtres couvertes de plaques métalliques. Ils n’ont pas accès à l’eau potable. Il n’y a pas assez de lits. La nourriture est insuffisante. Les visites des familles ont été interdites et les détenus se voient refuser l’accès aux téléphones, qui sont généralement disponibles dans d’autres parties de la prison », indique un communiqué d’Amnesty International (22 août 2017).
Ce nouveau bloc est équipé de 40 caméras de surveillance et de 64 dispositifs d’écoute installés même dans les WC et les douches. Par contre, il est démuni de tout système de climatisation, de réfrigérateurs, de télévisions, de téléphones publiques et de distributeurs d’eau potable.
Il s’agit en fait d’un bloc de haute sécurité entièrement isolé du reste de la prison. Les derniers prisonniers qui avaient été enfermés dans ce bloc étaient 25 prisonniers d’opinion sunnites qui ont tous été pendus en un même jour.
Cet assaut et ce transfert manu militari est en fait une expédition punitive qui fait suite à une lettre conjointe de ces prisonniers politiques à l’occasion de la date anniversaire des massacres de 1988 dans laquelle ils avaient appelé à traduire en justice les protagonistes de ce génocide. Le geste ayant eu un large écho dans la société, le pouvoir en place veut les isoler dans les pires conditions de détention pour les réduire en silence.
En 1988, la machine de guerre de l’Ayatollah Khomeiny est à bout de souffle. Les échecs militaires se suivent sur le front contre l’Irak. Sous la pression de ses généraux, le fondateur de la République islamique, doit abdiquer malgré tout son attachement déclaré à la poursuite du conflit, « coûte que coûte » ! Les aspirations aux libertés privées constituent un défi majeur pour le Guide religieux qui justifiait jusque-là leur privation par un ennemi étranger sur les frontières. De nombreux prisonniers politiques qui avaient purgé leur peine de réclusion ou qui devraient bientôt être libérés, serviraient de moteurs à cette gronde sociale. Khomeiny le sait et c’est pourquoi il lancera une fatwa pour en finir avec tous les prisonniers politiques « qui sont restés fidèles à leurs convictions ».
C’est sur la base de cette fatwa que 30.000 prisonniers politiques ont été assassinés en moins de deux mois en 1988, sans aucun tribunal digne de ce nom, et en pleine infraction avec le code pénal même du pouvoir en place.
Cette tuerie apparentée par beaucoup d’Iraniens à un génocide politique a réduit la société iranienne en silence et a permis à la théocratie d’allonger de 30 ans sa vie qui était à la merci de la première révolte.
Déjà à l’époque, en 1988, aussitôt après la fatwa de l’Ayatollah Khomeiny, les visites des familles avaient été interdites, les détenus avaient été privés de téléphone, les télévisions avaient été coupées. Les détenus devraient être coupés du monde, avant d’être exterminés.
Vingt-neuf ans plus tard, à la fin juillet 2017, les circonstances de l’isolement des prisonniers politiques rappellent ces journées macabres de 1988. Les nouvelles en provenance de cette prison n’ont rien de rassurant, surtout que le bloc dans lequel ont été isolés ces prisonniers politiques, a servi de préparer 25 détenus d’opinion sunnites à la potence. Les recours répétés des familles aux autorités pénitentiaires pour obtenir une visite avec ces prisonniers politiques, sont tous restés sans aucune suite.
Les prisonniers sujets à ce déplacement forcé craignent la répétition du scénario de 1988 et notamment un détail de taille dans son déroulement, c’est-à-dire le silence monumental de la communauté internationale. C’est pourquoi, ils ont eu recours à leur dernière arme : la grève de la faim jusqu’à ce qu’ils soient ramenés dans leurs précédents lieux de détention.
L’Amnesty international a aussi tiré la sonnette d’alarme. « Le fait que les conditions de détention sont si précaires que les prisonniers désespérés se voient forcés de faire une grève de la faim pour réclamer les normes les plus élémentaires de la dignité humaine est honteux », dit Magdalena Mughrabi, la directrice adjointe de la section Moyen-Orient & Afrique du Nord de l’ONG, dans le communiqué du 22 août.
« Ce sont des gens qui ne devraient même pas être derrière les barreaux en premier lieu, mais au lieu d'être libérés, ils sont punis davantage par des conditions épouvantables », s’émeut Magdalena Mughrabi, toujours citée dans ce communiqué.
Amnesty International appelle les autorités iraniennes à permettre aux observateurs internationaux, y compris le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Iran, de procéder à des inspections indépendantes et inopinées de la prison Rajaï-Chahr et d'autres prisons à travers le pays.
En attendant, 21 détenus politiques se trouvent en grève de la faim depuis le 30 juillet. La plupart d’entre eux se trouvent déjà dans un état de santé déplorable.
En 1981, Bobby Sands et neuf autres nationalistes irlandais furent les premiers prisonniers politiques à avoir eu recours à la grève de la faim pour réclamer leurs droits les plus élémentaires. Ils y ont tous perdu la vie et depuis, le monde les a inscrits dans son registre des héros.
Trente-six ans plus tard, le monde parviendra-t-il à sauver ces 21 nouveaux Bobby Sands, ou faut-t-il que nous prenions l’habitude d’attendre des morts pour en faire des héros ?
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Une exposition sur ce thème sera organisée le 30 et 31 août prochain à la mairie du 2ème arrondissement de Paris.