mardi 22 décembre 2015 - par bakerstreet

Vivian Maier, la Mary Poppins au Rolleiflex ou un conte de noël pour la photo !

Vivian Maier-autoportrait {JPEG}

Le destin prend parfois des formes étranges. Ou alors est ce dieu qui se promène, qui s’amuse à jouer des tours ? Est-ce lui qui inspira ce jeune agent immobilier amateur d’histoire locale : John Maloof. « J’ai le don pour repérer quelque chose même de loin ! » dira-t-il plus tard..

              Mais en l’occurrence, il n’aura eu qu’à traverser la rue, de l’appartement qu’il habite à Chicago, pour entrer dans cette salle des ventes ! C’est là qu’ un jour de 2007 il commence à fouiller, sur les étagères, à la recherche de vieilles photos, illustrations, cartes postales d'une autre époque. Il pensa que ce carton de négatifs anonymes, payé moins de 400 dollars, pourrait lui servir. C'est qu'il travaillait à l’écriture et l’illustration d’ un livre sur le quartier….

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John Maloof

 Après une première expertise rapide, il est déçu ! Son flair l’aurait-il trompé ? Aucune vue de Portage Park, l’objet de son étude….Quant à cette photographe, dont il admire tout de même les compositions, une rapide recherche sur le net n'apporte rien : Une parfaite anonyme. Il oublie donc son achat dans un placard. Un an plus tard, il les numérise et commence à les vendre sur ebay. Un professeur d’art, intrigué par la qualité des photos, prend contact avec lui…..

             L’ intérêt de John Maloof commence à s’aiguiser. A part le nom, il ne connaît rien de cette mystérieuse photographe dont il a aperçu les autoportraits impressionnés sur la pellicule 30 ou 40 ans plus tôt : Une grande femme à l’allure étrange, dégingandée, au regard profond, avec une barrette plantée dans les cheveux, mais dont l'image commence à le hanter. 

             « Elle portait des vêtements amples… Une ouvrière en union soviétique dans les années 50… Marchant comme une automate, avec son appareil photo autour du cou  ! » Diront plus tard ceux qui l’ont connue. Mais pour l’heure, John ne possède qu’une histoire résumée en deux lignes, qu'on lui a fournie à la salle des ventes : Une vieille dame qui se mourait et ne voudrait pas être dérangé. Ce lot qu’il a acheté fait partie de la box qu’elle louait, mais qu’elle ne payait plus, et qu'on a donc commencé à liquider.

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             Ce sont des négatifs de qualité. Du 6-6. Un format carré de très bonne définition, qui lui fait penser avoir affaire à une professionelle. Une journaliste peut-être ? Les recherches croisées sur Google ne donnent toujours rien. Cette Vivian Maier est inconnue au bataillon de tout gotha ! Elle n’apparaît dans aucune rubrique, même des plus obscures, celles qui se développent en éventail sur internet pour souligner l’activité de toute personne ayant un tant soi peu fait parler d’elle, militant au sein d’une association, ayant eu des rsponsablilités quelconques. 

             Lui s’est trouvé une quête, une mission.Il en oublie "Portage park". Il veut retrouver les bouts de puzzle éparpillés, reconstituer l’image de fond.... JPEG Une histoire qui lui fera franchir l'atlantique. Mais pour le moment il est loin de se douter d'une telle suite. Il prend contact avec la maison de ventes aux enchères pour retrouver les acheteurs des autres lots. Il les rachète et acquiert au total plus de 100 000 négatifs, des films, des centaines de bobines jamais développées. Presque tout le fond : Une petite part restant en possession d’un collectionneur. Un immense chantier se dresse devant lui. Il se lance dans le dépouillement compulsif des milliers d’images, scanne les négatifs, développe avec précaution quelques-uns des centaines de négatifs réalisés des décennies plus tôt, toujours enfermés dans leur boite cylindrique.

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Vivian Maier-3 photos

              Des photos extraordinaires sortent du bac, que personne n’a jamais vues !…D’inconnus, d’enfants, de vieillards, des marginaux, des femmes au regard étincelant, pris au hasard des rues, avec une sensibilité et un sens du cadrage rare. C’est un kaléidoscope des rues de Chicago, allant des années 50 aux années 80.

Le plaisir de l’égyptologue qui entre dans un tombeau inviolé doit être du même calibre ! Il faut être un peu familier du labo pour comprendre le plaisir de voir les contours de l'image émerger, dans le bain de révélateur, et la jubilation que John a pu ressentir en exhumant des clichés que personne n'avait vus, même son auteur. Il prend de plus en plus conscience d’être à la tête d’un trésor inestimable, et va s’investir corps et âme, améliorant son regard, le calibrant sur les chefs d’œuvres qu’il visionne. Il ira demander de l'aide, mais ne sera guère encouragé par l’establishment. Quand il va proposer les images aux plus grandes institutions – le MoMA à New York, la Tate Modern à Londres, toutes vont refuser, tentant de justifier l’inexplicable : « Les musées estiment qu’un tirage qui n’a pas été validé du vivant de l’artiste n’a pas de valeur » !

                Entre autre enseignement, John découvre donc que le monde de l’art est un pré carré, où il faut posséder sa carte, un pedigree, être introduit. Qui peut justifier une telle cécité, ou plutôt un tel refus ?..A-t-il poussé du pied une porte qui lui était interdite, sur laquelle on veille comme sur une chasse gardée ?...Ce monde serait-il rempli de non-dits et de sacrifiés ? L’art ne serait-il qu’un marché comme les autres, où toute nouvelle valeur introduite ferait tomber le cours des autres actions ?

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               Têtu, le jeune homme crée un blog pour diffuser les clichés de l’inconnue, les postent sur les réseaux sociaux où des centaines de commentaires élogieux fusent du monde entier. C'est la preuve que la photo est un langage universel, surtout quand il s’agit de photos de rue ! Les vrais amateurs ont l’avantage d’être sincères et spontanés, et de ne pas inféodalisés à des intérets de chapelles et de clans.

                 Ce que l’on appelle « le street art  », demande à la fois des qualités d’opportunisme, d’immédiateté, et d’empathie avec le sujet. C’est un mélange qu’il n’est pas facile à obtenir ou à provoquer… Beaucoup de photographes professionnels diront plus tard leur admiration pour Vivian Maier : «  Un très bon œil, le sens de la lumière, de l’humour…Elle avait tout !  » Ils la compareront aux très grands, les Rembrandt et les Caravage de la photo : Doisneau, Willy Ronis , Diane Arbus.

                 John Maloof met en vente des fragments de négatifs. Certains lui rapportent jusqu’à 80 dollars sur eBay. S’auto finançant avec ces ventes, il organise une première exposition au centre ­culturel de Chicago. C'est un triomphe, le début d’un succès qui va aller s’amplifiant ! Les médias s'emparent de l'affaire. Elle fait la couverture des chaines télé, du magazine Vogue...Toute la presse internationale est sur le coup ! Vivian Maier devient "L'inconnue célèbre", rencontre de l'art et d'un thriller. Qui est vraiment derrière" The Nanny's secret" ?

                 JPEG Le secret de la nounou ?....Chez les spécialistes, qui n’aiment guère les OVNI, et toute forme de vie nouvelle, non prévue, non répertoriée, cette histoire va mettre ce petit monde fait de coteries, et de références partagées, mal à l’aise ! Ils ne savent toujours pas que faire du cas Vivian Maier. Les amateurs jubileront, heureux de constater qu’en ce monde standardisé, des histoires aussi incroyables peuvent encore se produire. 

                   

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 Dans un joli village des alpes françaises, les échos de cette étrange affaire ne vont pas tarder à se répercuter entre les montagnes. Et les anciens se souviendront que Maria Jaussaud, une fille du pays partie aux états unis au début du vingtième siècle, était revenue avec sa fille Vivian, agée de 6 ans, dans les années trente, avant qu'elles ne reprennent toutes deux les chemin de l'Amérique six années plus tard. Mais on reverra Vivian, plus grande, inséparable de ses appareils photo. 

                    En avril 2009 , Google fournit enfin un indice à John. Il apprend par un avis de décès paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune que Vivian Maier est décédée à l’âge de 83 ans.

                « Vivian Maier, originaire de France et fière de l'être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l'ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. »

                 Une première remarque à propos d’un quiproquo : Vivian Maier bien qu’ayant une filiation française, est bien américaine. Une erreur que beaucoup d’articles à son sujet reprennent encore. A leur décharge, beaucoup d’employeurs et amis de Vivian, comme les frères Gensburg, auteurs de cette nécro, et qui assurèrent sa vieillesse, pensaient eux aussi que c’était une émigrée. Sans compter les multiples allées et venues, les vides et les incertitudes qui dominent plusieurs années de sa biographie. 

 JPEG Cela en dit long sur le personnage qu’elle s’était créée, où que les autres projetaient sur elle, dans cette culture du secret et du silence. Vivian était bien peu prolixe sur ses origines, son histoire, même si beaucoup la décrivent comme sympathique, chaleureuse, drôle, inventive, alerte. Manifestement, bien des choses de son passé étaient assez douloureuses pour qu’elle le tienne à distance. Elle cultivait d’étranges névroses, d’autres diront des lubies, qui s’aggraveront avec le temps :. C’était quelqu’un qui ne pouvait se séparer d'aucune affaire. Elle gardait tout, de façon obsessionnelle : Journaux, factures, chapeaux, vieilles chaussures, vêtements, objets les plus divers et les plus insolites. Au total 200 caisses stockées dans ce garde meuble, avec au milieu, ses trésors de négatifs, et ses appareils photos, dormant dans un silence de pyramide….. 

               Cette histoire, tout autant que les photos, a bouleversé la vie de John Maloof, l’a donc fait dérivé dans des directions qu’il ne soupçonnait pas, et à même donné un sens à sa vie. : « Je veux faire entrer Vivian Maier dans les livres d’histoire  »…..

Avec Charlie Siskel il a réalisé un documentaire s’intitulant « A la recherche de Vivian Maier » Bande annonce : http://bit.ly/1lNAFZM

Charlie Siskel, John Maloof

Cela a donné une vraie réussite, faite d’estime et de respect, toute en pudeur, réalisée par des personnes que l’on sent troublés par leur responsabilité et leur mission ! Assurément, cet héritage aurait pu tomber dans de plus mauvaises mains que dans celles de ce jeune homme passionné et volontaire ! Dieu a-t-il voulu rattraper le coup ? Ce reportage nous rend Vivian plus visible, par le biais de ceux qui l’ont connue, les familles qui l’employaient, et autres amies rares qui l’ont côtoyée.

                   « Ca paraît fou d’être l’amie de quelqu’un pendant dix ans, et ne rien savoir d’elle »Nous dit d’elle cette femme chaleureuse, qui l’a approchée par le biais des enfants que Vivian gardait, dans les années soixante...

                    Suivent de multiples visages, des enfants dont elle s’est occupée, gardant le plus souvent d’elles des souvenirs émus, donnent des anecdotes pittoresques, saisissantes. Parfois une part d’ombre émerge, s’accordant à révéler une personnalité complexe, qu’aucun produit photo ne pourra fixer !

                 Tant de témoignages émouvants, terriblement humains, tintés d’émotions et de regrets, celui de ne pas avoir bien compris cette femme étrange, dont on ne soupçonnait pas le génie. Ce documentaire déborde de son sujet, pour nous parler des occasions perdues, du regret, de la culpabilité, de la difficulté de communication, de la transmission et de la place qu'une personne aimée peut continuer à occuper dans le coeur des autres, au delà de la mort. Il nous interroge aussi autour de notre responsabilité, et de notre droit, tout autant que de notre devoir à gérer les affaires, voir les secrets d'une personne disparue. 

                 Cette interview « La photographe Vivian Maier, entre mystère et surexposition » donné à Télérama par Charlie Siskel permet de mieux comprendre le sujet du film, ses ambitions, et ses limites.

http://bit.ly/1Z6yNJr

                    Il n’est volontairement pas exhaustif sur la vie de Vivian, ne pouvant pas tout traiter, s’attachant surtout à sa vie américaine, comme un cadrage délibérément sélectif. On ne saura rien de ces six années passées en France, en compagnie de sa mère, où elle fut scolarisée entre six et douze ans, avant de regagner les états unis. Vivian reviendra quelques années plus tard, à Saint Julien de Champsaur, pour solder l’héritage d’une tante qui en a fait sa légataire. Elle gardera néanmoins une correspondance avec certains habitants, et c’est une lettre adressée au début des années 60 au photographe du village qui ravira John Maloof, le confirmant dans l’intuition qu’il avait que cette grande artiste aurait apprécié être exposé. 

                 Dans cette lettre, Vivian propose à cet ami de continuer à travailler pour elle malgré la distance : « J’ai fait des piles de photos ! quand je dis des piles, c’est vraiment des piles, et je pense qu’elles sont vraiment pas mal. » Mais celui-ci refuse, ne se sentant pas capable d’assumer seul une telle charge de travail.

    On comprend bien que Vivian ne fut pas toujours cette pauvre ombre, que l’on voit peu à peu se refermer sur elle-même, au fil des années, comme un diaphragme d’appareil photo, pour ressembler sur le tard à un de ces sujets désocialisés qu’elle aimait prendre en photo.

                   Abigail Solomon Godeau dit d’elle : « Tout ce que l’on peut dire, c’est que, de manière mystérieuse et poignante, Maier vécut son existence d’adulte à travers l’objectif d’un appareil photo, existence par procuration dans laquelle l’"œil'"de l’appareil et le "je" du sujet sont inextricablement liés. Il n’existe, à ma connaissance, aucun autre exemple similaire dans l’histoire de la photographie. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que, comme le photo-journalisme, la photographie de rue est un domaine largement réservé aux hommes. Il y a de nombreuses raisons à cela : le regard scrutateur, prérogative masculine, le caractère sexué de l’espace public, la relative vulnérabilité des femmes au sein de cet espace, et les risques posés par la photographie de sujets récalcitrants. » (extrait de « L'Invention de Vivian Maier »)

                  Si les dernières années qu’elle vécues provoquent forcément beaucoup de regrets, de toutes parts, au sujet d’une reconnaissance qui lui aurait été bien utile, sur tous les plans, cette lettre montre que Vivian, qui était consciente de son talent, voulait que son œuvre soit exposée.

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Pourquoi ne le fut-elle pas ?

« Elle avait tout ! Elle aurait eu du succès ! Si elle avait exposé, elle serait devenue célèbre ! » Dira Ellen Mark, une grande photographe visionnant, admirative, les épreuves. 

 

Mais ne cherche t'on plutôt à se rassurer, en posant cette question ? Comment croire qu’elle n’a rien fait pour crever le plafond de verre ? Lui aurait-il suffit de déclarer "Regardez comme je suis géniale !", pour qu'on s'empresse autour d'elle ? Personnellement, j'ai plus qu'un doute, sur cette thèse de l'artiste ayant délibérément cherché à rester dans l'ombre. Bien des artistes qui ont bouffé de la "viande enragée", seront du même avis. L'excellence n'amène pas forcément la consécration, ni même la reconnaissance....Les exemples sont légions. De plus Vivian partait avec un sèrieux handicap : Elle ne connaissait personne, et sa condition sociale, même si elle était honorable, n'était pas faite pour l'aider. C'est un peu hypocrite de penser qu'elle n'a rien fait pour "percer" quand on connait les non-dits de cette société de castes. Car à la suite de cette missive, adressée à un photographe français, et qui essuya un refus poli, il est logique de penser qu’elle a fait la même démarche à Chicago. Et peut-être faudrait-il inverser l'ordre des tentatives ? Car il est logique de penser qu'elle essaya d'abord sur place, pour des raisons de suivis, d'envois et de couts, évidents. 

                  Je l’imagine, à Chicago, dans les années 60, poussant la porte d’une agence photo. Peut-être passant l’un de ces tourniquets que l’on voit dans «  Citizen Kane » ? Voilà un film qu’elle devait aimer particulièrement, à cause des prises de vue vertigineuses, et de cette curieuse narration en boucle tournant autour d'un mystère intime. Vivian était une personne très cultivée, très curieuse, grande lectrice, emmenant parfois les gamins au cinéma voir des films d'art et d'essai.

                  Dans son documentaire, John Maloof s'est-il inspiré lui aussi d'Orson Wells pour nous parler de Vivian Maier ? Wells recourait aux récits entrecroisés des témoins ayant connu "Kane", qui avaient tous une perception bien particulière du personnage,pour l'éclairer différemment. Un procédé narratif révolutionnaire, que reprendra aussi Henrich Böll, dans un livre qui fut célèbre dans les années 70, et donna même lieu à un film : "Portrait de groupe avec dame". http://bit.ly/1mafIaT. Remarquons que ce titre aurait été avec merveille avec le documentaire de John Maloof.

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Scénario : Quand elle rentre dans cette galerie, avec son "book " je la vois flanquée d’un gamin ou deux. Elle a traversé la ville avec eux d'un pas pressé, comme à son habitude, s’arrêtant de temps à autre pour faire un cliché de rue. Ils ont tourné un temps autour du magasin. Elle a hésité encore et encore. Elle est prudente, ne veut pas se monter la tête avec cette histoire ! Son appareil photo est à la fois son amulette et son bouclier ! C'est avec lui qu'elle tient les choses et les gens à distance idéale, les incorporant à sa manière, en leur donnant de la grâce et du mystère. Le photographe est un savant dompteur de la réalité. Chaque photo est pour elle une thérapie, qui obeit à la fois à une prise de risque et à un besoin de se protéger. Les photographes de guerre expliquent souvent que sans leur appareil, ils n'auraient pas le courage d'avancer !

                 On lui demande ce qu’elle veut. Elle s'explique rapidement, maladroitement, et ouvre son dossier, présente ses tirages en noir et blanc. Elles les a développés le mieux qu'elle a pu, dans sa salle de bain ! « J’en ai d’autres ! dit-elle, plus que vous pourriez l’imaginez ! Est ce que ça vous intéresse ? »

                 Sans doute l’employé trouve les photos intéressantes. C'est une chose indiscutable. Il est du métier tout de même ! Mais il est vrai que la valeur des choses est relative, et reste conditionnée par tout un tas de facteurs non objectifs et inconscients. Même si cette femme est bien une blanche ! Une noire dans ce pays aurait encore moins osé faire la démarche. Il la regarde, de haut en bas, revient aux photos, les parcourt de nouveau, lui demande si c’est bien elle qui les a réalisées.

 Elle lui montre irritée d’un doigt son Rolleiflex, qui vaut bien mieux qu’une carte

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de visite, ou qu’une médaille, quand il s’étale sur sa poitrine. Le Rolleiflex, c'est la Rolls de l'argentique ! 

Un appareil qui vaut un prix fou ! Cette femme est vraiment atypique !

Il ne sait que dire, que penser, danse d'un pied sur l'autre. Peut être finit-il par appeler son patron ? Celui-ci arrive, pressé, jette un coup d’œil à cette grande bringue un peu braque, ayant l’air, comme disait un témoin « d’une ouvrière soviétique » habillée à la mode des années trente, et pourvue d'un drôle d'accent.

                 Vivian raconte de nouveau son histoire improbable, qui ne tient pas vraiment dans les cadres, et ces cimaises accrochés au murs que les musées et les salles d’exposition aiment tant ; même quand toute trace de vie y est absente ! Mais une bonne signature reconnue compense amplement le vide et abuse les bénets. Il lui demande son métier. "Gouvernante..." dit-elle. Peut-être bien qu'il pense avoir affaire lui aussi à Mary Poppins. La réalité est sans cesse colorée de nos rêves. Il regarde les enfants, le nez collé à une vitrine. 

    JPEG Elle explique sa démarche d'artiste. L’homme secoue la tête d’un air gêné, lui dit "Désolé nous ne sommes pas intéressés !.... Voyez ailleurs peut-être !" Lui redonne son dossier plein de photos un peu éparses maintenant. L’une d’elle peut être glisse et tombe au pied du bureau. Elle part, entraînant les gamins à sa suite, désireuse déjà de faire d’autres photos, de façon urgente et compulsive !

                 Peut-être n’a-t-elle pas insisté, après deux ou trois refus, moins opiniâtre et moins jeune que John Maalof. Ce n’est pas son genre, de se mettre en vente, elle est trop fière pour ça ! 

                  Et puis, avant les années 70, la photo n’est pas encore considérée comme un art majeur. Ce sont les journalistes qui tirent les photos de rues, qui s’achètent des appareils coûteux. En dehors de ça, on dispose parfois les familles en rangs d’oignons pour les événements.

   

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                On n’a pas encore inventé les rendez vous photographiques d’Arles ! Les grands photographes sont encensés, sans doute, mais ne composent qu’une tribu d’indiens insolites, qui se reconnaissent entre eux, grâce à leurs plumes noires et blanches. Quelques légendes issus du photo-jouralisme, comme celle de Robert Capa, prennent tout le paysage. Lartigue, à 60 ans, commence à émerger. Pour quelle mystérieuse raison ces réactionnaires ne se sont ils pas mis à la couleur, et continuent à privélégier la bichromie ? Cela n’arriverait plus de nos jours. On ne mettrait plus à la porte de l’épicerie du village Vincent Van Gogh, en refusant qu’il paye un camembert d’une de ces toiles !..Arrêtons de voir des artistes maudits partout ! On n’est plus au dix neuvième siècle. Il n’existe plus de plafond de verre au dessus des gens. Il sont libres sur une terre au ciel un peu voilé, c’est vrai. Pas terrible pour la lumière quand on fait de la photo !

Vivian Maier dans le champsaur {JPEG}

                 C’est tout de même dommage que le photographe de Saint Julien de Champsaur n’ai pas répondu favorablement. On n'en serait peut-être pas là !...Mais c'est facle de refaire l'histoire quand on connait la fin. Tout de même, on reste avec un goût d’inachevé dans la bouche...Comme cette malheureuse histoire de Vincent, et son dernier tableau, avec les corbeaux planant sur un champ de bél. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, et les négatifs photos aussi !

                 On a beau tenter de se consoler avec ses trésors, estimer qu’elle aurait été heureuse d’être consacrée, même de façon posthume, reste qu’on aurait bien voulu en faire un conte de noël, et faire rentrer cette Mary Poppins, son appareil photo à la place du parapluie, dans une histoire à la Charles Dickens, et l'inviter à la table du festin avec nous !…

                 Tout cela reste spéculatif, ouvert aux rêves, et aux fantasmes ! Si Hollywood achète le scénario, peut être enjoliveront ils l’histoire ? En feront ils une success story ?...

 Refaisons notre scénario, "à la façon des frères Coen" : Cette fois-ci le directeur d’une agence va découvrir la photo tombée du book de Vivian, alors qu’il ferme la boutique le soir... Finalement, il a une tête sympa, des lunettes carrées, ressemble comme deux gouttes d’eau à John Maloof.Il rappelle son employé, et exige des explications ! Pourquoi celui a-t-il jeté à la rue un tel génie. L’homme est embarrassé, tente de s’expliquer : « Vous savez, ce n’était qu’une nounou ! Avec deux gosses, qui mettaient leurs doigts partout ! Et habillée n’importe comment ! Je ne voulais pas vous importuner  ! »

                Dés lors, notre directeur d’agence, un homme à la « Frank Capra », n’a de cesse de vouloirs rattraper le coup, un contrat à la main. Il retrouvera l'inconnue au Roleifflex avant la fin de la bobine, alors que les spectateurs ont les larmes aux yeux. 

 JPEG  Je ne crois pas qu’ils se marieront, tout de même ! Arrêtons le mélo. En tout cas il lui proposera un pont d’or pour avoir l’exclusivité de ses clichés. Mais Vivian n’a besoin de rien….Elle est ailleurs, elle rit, elle se moque. Elle a tout, c’est à dire un Rolleiflex, et le regard pour aller avec. Ou peut être autant né de la pratique. On ne devient jamais que ce l’on fait !.....Oui, d’accord, mais John Maloof, me direz-vous, qu’est-ce qu’il devient là dedans ? On ne peut pas faire deux contes de Noêl avec une seule histoire !…Il faut choisir vers qui part la main de dieu.

                  Mais la vie et l’œuvre de Vivian Maier ne sont pas disjointes. Elles est devenue universelle par la représentation, l'émotion, les regrets que l'histoire inspire, la beauté et le mystère contenu, qui résiste à toute analyse, et vous fait tirer des bords avec une émotion de force 8. 

    JPEG Quelle fut sa jeunesse dans les Alpes ?..Qu’a-t-elle fait de l’argent de son héritage ?…A-t-on le droit de publier l’œuvre posthume d’une artiste sans son consentement ?...D’où lui vient ce talent de photographe ? … Quelqu’un l’avait-elle familiarisée avec la photo….

                   Pour en savoir plus, a la poursuite de Vivian Maier, croisez d'autres sources, lisez par exemple cet excellent article de Vanity Fair. http://bit.ly/1ITfbo5. Il faut que cette journaliste, Marion Festraët, soit tombée amoureuse elle aussi de son sujet pour si bien écrire, être si imagée. Mais c’est sans doute le minimum quand on parle d’une photographe d’un tel talent, que de ne pas trahir le négatif au tirage :

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             Extraits : « Pendant deux ans, elle parcourt la vallée à vélo. « On disait qu’elle avait du gaz  ! » plaisante Rosette. Sûr qu’il en fallait pour avaler les routes de montagne sur sa bicyclette à pignon fixe. À son retour aux États-Unis, elle s’offre son premier Rolleiflex et part visiter le Canada avec le fruit de l’héritage. « Chaque fois qu’elle a eu de l’argent, elle a fait des voyages », remarque Françoise Perron. Quand elle se déplace, toujours seule, parfois sous des noms d’emprunts – un mystère de plus – Vivian cueille à la volée des paysages et surtout des gens  : une silhouette vaporeuse partant pour le bal en Floride, des enfants indiens s’amusant avec de vieux pneus au Canada, des ­gamins noirs à San Francisco, des marins à Cochin, la croupe d’un cheval narguant le sphinx de Louxor, des hommes enturbannés au Yémen... »

 JPEG C’est l’intérêt d’une bonne histoire, d’un bonne photo, de communiquer cette sorte d’excitation joyeuse, et insatisfaite, qui nous fait sortir du cadre, et nous aide à vivre, change la qualité de notre regard, et nous plonge dans un infini de possibles. Et l'on part en voyage à la poursuite d’une ombre, qui ne sera jamais rattrapée, dans sa course vers le soleil. Et c’est tout à fait surprenant de constater que cette histoire d’équation à une inconnue, contienne plus de mystère et d’humanité, que celui du destins d’aventuriers que l’on dit « hors normes » !

               Noir et blanc, lumière et contrastes, John Maloof a tout compris maintenant à la photo, en ne se voulant pas exhaustif, en soufflant un peu son haleine sur l’objectif, afin de suggérer le flou, le vaporeux, l’émotion, la transcendance. Les 1001 photos de Vivian nous sont offertes !

           JPEG Vous pouvez entrer dans le cadre, tenter de mettre à jour ses vrais secrets, ceux de la prise de vue, vous mettre aussi à la photo, attendre le moment magique où vous pourrez chuchoter « rosebud », cet instant magique où l’obturateur se referme sur le mystère…..

http://bit.ly/1JcgR7d The Hidden World of Vivian Maier

http://bit.ly/1ZeGEov Dans le Champsaur, le souvenir de la photographe Vivian Maier

http://bit.ly/1Qv9nE4&nbsp ;Les 20 plus belles photo de Vivian Maier - VirusPhoto ...

 



6 réactions


  • Pie 3,14 22 décembre 2015 11:14

    Merci pour cet article comme toujours complet et bien informé.


    J’ai entendu parler de V Maier par une collègue qui avait vu son exposition au Jeu de Paume en 2013/14. Puis j’ai vu un film documentaire passionnant sur canal+ il y a quelques semaines.

    Son histoire est assez proche de celle de Henry Darger exposé cette année au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

    Celle d’artistes anonymes découverts par hasard et devenus célèbres après leur mort, Darger dans une version assez tragique, Maier avec une vie qui semble plus heureuse.

    Son découvreur, le jeune John Maloof, complètement étranger au circuit de l’art a fait preuve d’une sacrée persévérance pour la faire reconnaître. 

    • bakerstreet bakerstreet 22 décembre 2015 12:26

      @Pie 3,14
      C’est ce documentaire qui m’a fasciné : Une histoire étonnante, avec de multiples prolongements, et ramifications, à la croisée de la passion, du jeu social, du trauma, etc, qui vous donne envie d’en savoir plus, avec l’assurance qu’on restera toujours insatisfait et rêveur...De plus je connais le Champsaur, une magnifique région, avec le Valgaudemar à coté, et cela à ajouté au charme...


  • Agafia Agafia 22 décembre 2015 20:06

    Merci Bakerstreet pour cet article de grande qualité comme une bouffée d’air frais dans une actualité plutôt morose.


    Combien d’artistes, des vrais, tels Vivian Maier et dont les oeuvres dorment au fond d’une malle, d’un tiroir, d’une cave, mais qui ne rencontreront jamais un John Maloof prêt à se battre pour les offrir à la vue du public ? 
    Talents anonymes et parfois perdus pour toujours, alors qu’on nous matraque culturellement avec des productions insipides, moches, le tout gouverné par le fric, la prétention et le consumérisme.

    La vraie beauté est rare, et c’est ce qui fait toute sa richesse.

    • bakerstreet bakerstreet 22 décembre 2015 21:12

      @Agafia
      Merci pour ce message. Les fleurs sauvages sont encore plus belles, car ce qu’il leur faut de talent, pour pousser et garder leur âme, sans attendre d’être consacrées dans un jardin. Oui, ce qui rend cette histoire plus prégnante, c’est qu’elle nous rend sensible à celles qui resteront anonymes, comme vous le dites, sans  avoir eu la chance de rencontrer un John Maloof. On comprend pourquoi l’establishment peut être irrité de devoir faire avec de tels cas, non prévus, non homologués, sans étagère ni boîte disponible. D’un autre coté, cela nous réconcilie avec la vie, en faisant descendre les artifices. Car qui sait si nous ne croisons pas chaque jour des génies, que nous ignonrions, persuadé qu’ils ne peuvent se confondre avec le vulgaire ?

       Et savoir même si chacun de nous ne renferme pas une petite lueur qui ne demande qu’à éclore. On peut voir ainsi cette histoire comme celle d’un monde dont il nous reste à sentir l’enchantement, le règne de tous les possibles. Le changement, cela passe aussi par celui de notre sensibilité, de notre ouverture aux autres et au monde. 

  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 novembre 2017 13:32

    Merci veloRolleifleix. A 14 ans, c’est le plus fantastique cadeau qui me fut fait. Belle synchronicité. Il y a sept ans, nous avonc acheté un Bonnard surEebay. Signé : Vieille femme enrobée dans un châle avec un chien à ses pieds. Juste preuve d’achat d’une vente aux enchères. Somme modique pour un Bonnard. Nous avons fait un prêt pour l’acheter. Aujourd’hui, nous le mettons en vente. Qui sait : coup de coeur,....L’argent ne m’intéresse nullement. Seuls des projets pour lancer des artistes.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 novembre 2017 13:39

    Le cadeau : Un Rolleiflex bien sûr. Fascinant. Caméra obscura. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_noire. Mon père m’invitait toujours dans son antre quand il développait ses photos. Un peu comme Attenborough. Les oeufs qui éclosent. Les fleurs qui s’ouvrent. Magique.


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