Y’a qu’des honnêtes gens dans l’gouvernement !
A la Belle Epoque (1895 - 1914), il y avait des chansonniers politiques dont un, Montéhus, gagnerait à être mieux connu. Certains de ses textes, s'ils étaient adaptés, pourraient tout-à-fait correspondre à l'époque actuelle. Cent ans après, on retrouve les mêmes maux : la retraite, le pouvoir d'achat, la corruption, les privilèges, les affaires...Pour ce qui est de l'imposition grandissante, Paul Lack, un autre chansonnier, s'en fait l'écho en 1910 avec "La polka des pauvres contribuables".
Montéhus se présentait comme le chansonnier du peuple. C'était un socialiste. Un vrai celui-là ! Il fut l'ami de Lénine lors de son exil en France, et chantait en première partie de ses conférences. Montéhus entonnait volontiers l'Internationale et il était pacifiste : sa chanson de 1905 "La Grève des Mères" illustre bien ses convictions :
Refuse de peupler la terre !
Arrête la fécondité !
Déclare la grève des mères !
Aux bourreaux crie ta volonté !
Défends ta chair, défends ton sang !
A bas la guerre et les tyrans !
On ne saurait être plus clair. Cette grève des mères vaudra à son auteur-interprète d'être condamné pour "incitation à l'avortement."
En 1912, le chanteur invoque l'esprit de la révolution prolétaire : "Le chant des jeunes gardes". Il croit voir monter les premiers signes de la puissance des idéaux révolutionnaires et, en 1907, soit deux ans après la mutinerie sur le cuirassé Potemkine, Montéhus rend hommage à une mutinerie bien française, celle des vignerons du Midi de la France qui s'étaient révoltés contre le vin chimique, qui leur faisait concurrence. Quand ils manifestèrent à Béziers, on voulut envoyer contre eux les soldats du 17e régiment d'infanterie de ligne. Ceux-ci, originaires de la région, étaient de proches parents des manifestants. Ils se mutinèrent. Ecouter "Gloire au dix-septième" (1907) de Montéhus.
Mais pendant la guerre 14-18, Montéhus met entre parenthèses ses idées pacifistes pour soutenir les troupes français. Il reste socialiste quand même : sa chanson "Lettre d'un socialo" en témoigne. Il ne déviera pas. Dans les années 1930, il adhère à la SFIO, et soutient Léon Blum avec sa chanson au titre évocateur : "Vas-y Léon".
Les chansons de Montéhus frappent sans complexe les élus et les élites de son époque.
On est en République ! - 1908 - (extrait) par Montéhus
Enfin, ça y est ! On est en République !
Tout marche bien, tout le monde est content !
Les députés, ça c'est magnifique !
Ne gagnent plus que quinze mille francs par an
Aussi on peut augmenter les salaires
Des cantonniers et des pauvres facteurs :
Cinquante sous par jour, j'crois qu'ça peut leur plaire ;
La chanson évoque les retraites ouvrières dont les premières lois furent votées en 1910. Elle dénonce un mal de la république : ses élus se servent les premiers et défendent leurs privilèges au détriment du peuple. On le voit encore aujourd'hui avec les députés qui refusent de justifier l'usage très personnel qu'ils font de l'indemnité spéciale qu'ils perçoivent, et avec ces sénateurs qui ne cèdent pas sur le cumul des mandats pour ce qui les concerne.
D'autres sujets sont évoqués dans la chanson : la peine de mort (le 4ème couplet évoque la "machine Deibler" qui désignait alors familièrement la guillotine). Quant au nom de Mme Steinheil, il est associé à un scandale politique : elle fut la maîtresse du président Félix Faure et c'est avec elle qu'il mourut en 1899 au cours d'un de leurs rendez-vous ! Cette histoire est loin d'être anodine ; elle fit le lit du nationalisme. Le député nationaliste Paul Déroulède, auteur de la chanson "Le clairon", tenta de faire marcher la troupe contre l'Elysée, là où le président Félix Faure avait été retrouvé mort dans les bras d'une femme.
Texte intégral / Ecouter sur YouTube la version récente de Marc Robine.
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement - 1910 - (extrait), par Montéhus
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement
Ah vraiment c'qu'on d'la veine en France
Aussi l'travailleur est très content
Voyez donc les r'traites qu'on vient d'voter
Trente sous par jour, quelle fraternité
Et 5000 pour les anciens députés
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement !
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement
Ah vraiment c'qu'on d'la veine en France
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement
Ici tout se fait très loyalement
Voyez donc pour les élections
Jamais de vol, jamais de corruption
Il n'y a qu'les urnes qui sont à double fond
Y' qu'des honnêtes gens dans l'gouvernement !
Texte intégral / Ecouter sur YouTube la version originale de Montéhus.
Avec "Les mains blanches", Montéhus va plus loin (peut-être trop loin ?) en fustigeant tous ceux qui ne se salissent pas les mains par le travail. "Les mains blanches : écouter sur YouTube la version moderne par Marc Ogeret.
La polka des pauvres contribuables par Paul Lack
Pauvre con, pauvr'contribuable
Taillables et corvéables
Nous courbons le dos
Sous les impôts
C'est cu c'est curieux sans cesse
Nous gueulons qu'on nous oppresse
Pour changer quoiqu' pas content
Nous lâchons not' pez tout l'temps
Texte (presque) intégral / Ecouter sur MusicMe la version originale de Paul Lack.
D'autres chansons politiques émaillèrent cette période dite de la "Belle Epoque", coincée entre la Grande Dépression et la Grande guerre. On voit naître des chansons nationalistes comme "Le fils de l'Allemand" ou "La terre nationale" en 1909, de Théodore Botrel qui l'aurait composée en réponse à l'Internationale. Le nationalisme est renforcé par la question de la revanche et de l'Alsace-Lorraine. Eugène Pottier continue de croire en la Commune : "Elle n'est pas morte" (1898). Jules Jouy, défend toujours le petit peuple avec sa rage coutumière : "Filles d'Ouvriers" est composée en 1898. Il reste encore quelques anarchistes : "Le Triomphe de l'Anarchie", 1901, de Charles d'Avray. Mais aucun auteur ne décrit avec autant de justesse et avec autant d'humour la vie politique de son temps que Montéhus, le chansonnier du peuple.