Zemmour Président : l’esprit du taon
Zemmour Président ?
Cela fait plusieurs mois qu’on chuchote son nom, qu’on le pousse à se déclarer. L’intéressé y songerait lui-même, murmure-t-on. En tout cas il laisse l’idée fuiter. Et sonde ses amis, comme en témoignent cette vidéo de Valeurs Actuelles reprise sur son site.
Allons bon !
Certes Zemmour est devenu un polémiste incontournable. Son excellente culture, son sens historique et sa curiosité intarissable qui le poussent à lire chaque jour et à se remettre en question en font un critique politique bien plus souple et respectueux de ses adversaires qu’il n’en a l’air. Et surtout moins crispé sur des convictions réacs voire nauséabondes, comme la caricature du personnage le suggère. Ses analyses de la situation actuelle, de la macronie, du mondialisme, de l’Europe de Maastricht, du néolibéralisme, de la bobasserie et du politiquement correct, de la menace islamiste, et même de l’immigration longtemps clivante, font aujourd’hui consensus. D’ailleurs presque tous les politiques de gauche comme de droite reprennent peu ou prou les mêmes arguments, puisés dans les mêmes lectures.
Son émission sur Cnews est un franc succès, dû aussi au professionnalisme tout en douceur de l’animatrice Christine Kelly. Un rendez-vous quotidien sans concession avec l’actualité, devenu incontournable pour des millions de Français. Et qui rend le trublion de la droite dure indéboulonnable.
Autrefois marchepied et caution « culturelle » du Rassemblement Bleu Marine, Zemmour s’est depuis affranchi de cette allégeance qu’on lui prête à l’extrême droite. Volontiers critique vis-à-vis d’un casting qui au Rassemblement National déçoit les sympathisants par son manque de vision, sa stratégie de dédiabolisation qui pousse ses dirigeants vers la couardise, et des concessions toujours plus incompréhensibles à la politique révoltante d’Emmanuel Macron.
Il faut dire qu’un Juif qui réhabilite Pétain et soutient le parti créé par d’anciens pétainistes, ça faisait désordre. Même si d’autres Juifs de France angoissés par la montée du fascislamisme ont depuis franchi le Rubicon et rejoint le FHaine. Mais aujourd’hui le Suicide français paraît loin. Plus question de sacraliser Pétain, tout juste de nuancer le regard rétrospectif porté par la bonne conscience majoritaire et ses amalgames grossiers sur la Collaboration et l’Occupation. Une période sombre beaucoup plus ambigüe que les mythes de la Résistance nous l’ont léguée.
Son goût pour un pouvoir fort autant que légitime, pour l’Etat impérial, pour une France éternelle qui n’a jamais existé, son désir d’en découdre avec le laxisme ambiant et de restaurer l’autorité jacobine, en rassurent certains et en agacent d’autres. N’empêche que face au chaos où la France est aujourd’hui plongée, noyée sous les assauts conjugués d’une violence ultralibérale, de la mondialisation, des séparatismes identitaires, du terrorisme, et surtout de cette dictature sanitaire et technosécuritaire qui avance à grands pas, on comprend que la nostalgie de l’Etat, du Pouvoir centré sur la Nation, sur l’identité française, faisant le lien entre ambition, rayonnement et Histoire, fasse sens.
Serait-t-elle à même de relever les défis du temps ? C’est un autre problème. En tout cas l’absence de nouveaux repères pour penser le monde de demain et la faillite des faux modèles « progressistes », avec leurs bavardages incessants pour masquer le vide éthique et ce totalitarisme idéologique que constitue le mondialisme, nourrissent les réflexes de repli vers des paradigmes éprouvés plus aptes à rassurer : la Nation, la Patrie, à défaut d’une planète-matrie qui se disloque de partout et semble vouloir nous expulser.
Mais suffit-il d’être un esprit exigeant, un intellectuel brillant, un analyste acerbe des soubresauts du siècle, et un nostalgique de la Grandeur pour faire un bon Président ?
Assurément non. Il faut aussi du charisme, de l’écoute, être réellement proche du peuple, de tout le peuple, savoir rassembler, et s’affranchir de cette quête stérile du consensus, en imposant et en assumant des choix parfois douloureux. Sans noyer son embarras dans des circonvolutions rhétoriques du type « et en même temps ».
Il faut savoir trancher. Notamment dans les situations cornéliennes. Mais toujours dans le sens de l’intérêt général, jamais des intérêts particuliers, comme c’est hélas le cas depuis trop longtemps : un mal qui creuse le désamour entre les Français et la politique.
Mais trancher ne veut pas dire s’agiter. Et c’est là que la personnalité d’Éric Zemmour le rend incompatible avec l’exercice de la fonction suprême. Un bon général doit être avant tout un bon stratège. Mais un bon stratège ne suffit pas à faire un bon chef de troupes. A fortiori une bonne vigie, un qualificatif qui convient mieux à Éric Zemmour. Lequel n’est pas dans l’action politique, mais dans le regard porté sur celle-ci. La critique et la polémique. Chacun son métier.
Qui plus est, son côté agité, excité, hystérique et agressif n’a vraiment pas de quoi rassurer. L’homme est un pur affectif. Trait qu’il compense par une certaine intransigeance dogmatique. Ses frustrations personnelles, relatives à son physique, son origine modeste, sa judéité et son arabité qui l’assimilent aux minorités sinon aux immigrés, déterminent une grande part de son profil psychologique, de son ambition personnelle et de son attachement à une certaine France : assimilationniste, une et indivisible, souveraine, puissante, impérialiste. Symbole de son ascension personnelle vers un statut que sa naissance ne lui aurait pas seule conféré. L’intéressé le reconnaît d’ailleurs souvent, avec honnêteté et modestie.
Malgré sa fascination pour le Pouvoir, la Puissance, la Grandeur, Zemmour reste au fond l’homme du ressentiment. Il admire Louis XIV, Napoléon et de Gaulle, mais il sait qu’il n’appartient pas a priori à cette France-là dans laquelle il se projette et qui l’a fait. Une France qu’il ne fait qu’aduler et regretter. Zemmour a le regard tourné vers le passé. Et regarde le présent comme ses contemporains avec mépris, colère et désappointement. Comment pourrait-il envisager l’avenir sinon à rebours ?
Or on n’écrit pas l’Histoire avec un rétroviseur. On la fait, on l’incarne, on la vit. En embrassant les aspirations du siècle, et en les dépassant pour accoucher de ce qui n’existait pas encore. Et l’offrir au plus grand nombre comme marchepied vers une autre incarnation de soi. Une autre conscience d’être au monde. Un nouvel avatar collectif.
Cette capacité du grand-homme à rassembler et cristalliser à un moment critique dans sa personne toutes les aspirations et toutes les potentialités d’un peuple, à leur donner une forme, une consistance, une vision, un sens, un élan nouveau, un horizon, un destin, et que les Français cherchent désespérément parmi un personnel politique composé de technocrates d’une médiocrité de plus en plus abyssale, Zemmour est bien loin d’en avoir l’étoffe.
De plus, pour rassembler il faut avoir comme on dit aujourd’hui « des réseaux ». Une prise, une consistance sur la réalité d’une nation et la façon la plus efficace de la diriger. Or Zemmour appartient au sérail médiatique, il n’a aucun ancrage dans la politique de terrain, pas plus que dans les arcanes du pouvoir ou le pays réel.
La candidature Zemmour, si l’idée flatte sans doute son ego, est donc une illusion de plus. Moins burlesque que celle d’un clown lourdaud comme Bigard, mais pas si éloignée.
Car Zemmour lui aussi est un amuseur. Un artificier, brillant certes, de la politique spectacle façonnée par les médias. Ces bateleurs de la farce des temps modernes qui entretiennent dans l’esprit du bon peuple l’illusion de la démocratie, jouant tour à tour avec ses affects – peur, colère, séduction, ressentiment – ses espoirs et ses désillusions, ses attentes et ses renoncements, et parfois aussi sa raison, souvent manipulée dans un fracas de mensonges.