vendredi 20 août 2010 - par Jean Levain

Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre…

Ni de réussir pour persévérer ! Même si Guillaume d’Orange n’était pas socialiste, loin de là, ce sain principe reste d’actualité. Risquons une synthèse de trois constats que l’on peut faire aujourd’hui.

Le premier est l’obstination de la droite à soutenir Sarkozy, malgré la démonstration par l’absurde de son erreur. Le sarkozysme se déshabille en effet tous les jours davantage devant nous, se révélant une idéologie faible dans sa conception comme dans sa mise en œuvre, dépourvue d’idéal, de nature essentiellement personnelle, enfermée dans le court terme.
Devant l’échec, elle dérive de plus en plus vers un populisme malsain et destructeur.

Le second c’est que l’opinion publique, si elle fait parfois le jeu de la propagande gouvernementale en reconnaissant à Sarkozy le mérite de se débrouiller tout seul, s’en détourne de plus en plus et semble prête à envisager un retour aux affaires de la gauche, à condition que ses multiples candidats cessent enfin de vouloir chacun vendre la peau de l’ours. Ce ne sont pas les manipulations organisées dont elle fait l’objet qui y changeront quelque chose.

Le troisième constat, sans doute le plus réjouissant, est que différents indices nous indiquent, comme Barcelone, qu’une France nouvelle et décomplexée est en train de naître et que le gros de la crise d’assimilation est en train d’être dépassée, au grand dam du président qui y voyait une porte de sortie pour masquer son échec. C’est pourquoi d’ailleurs il verse de l’huile sur des braises en extinction.

Dès lors, une opportunité existe. Encore faut-il proposer une stratégie globale, simple à comprendre mais en rapport avec les faits économiques et politiques que chacun peut aujourd’hui, connaître au travers par exemple d’Internet, sans pour autant être toujours en mesure d’en tirer une synthèse satisfaisante. C’est que la « grande bouffe » de l’Information qui nous entoure est indigeste et peut aussi générer une désespérance : plus on en sait, moins on comprend ce qui se passe vraiment !
Mais avant de comprendre où il faut aller et comment, encore faut-il savoir ce que l’on veut et ce que l’on attend de son propre pays

Au fond, les choses sont assez simples. Il s’agit de nous situer, en tant que Française ou Français de souche ou non. Nous appartenons à un collectif, la France, qui doit nous assurer le meilleur soutien possible pour notre vie. Attendrons-nous tout d’une hypothétique, fragile et lointaine « Europe » ? Croirons-nous « à la mondialisation » c’est-à-dire au seul jeu des lois du marché, ce qui revient à considérer les politiques comme des marionnettes ? Ou penserons- nous que même s’il y a des regroupements régionaux ou des alliances et même si les lois du marché ont aussi des effets bénéfiques, il faut cependant que chaque communauté culturelle importante de la planète, comme la nôtre, puisse défendre ses droits et chances et apporter en même sa contribution au genre humain ? C’est cette compétition politique, bien différente d’une concurrence purement matérialiste dépourvue de sens profond, que nous défendons.

Il s’agit ici, non seulement de ne pas nous laisser déposséder au nom de rapports de forces économiques ou militaires des valeurs que nous avons construites et que nous construisons toujours au travers de notre culture originale, mais de les affirmer et de convaincre toujours davantage de citoyens du monde d’y adhérer aussi. C’est donc tout le contraire d’une idéologie réduite aux acquêts, qui n’a de cesse que de diviser les gens en fonction de leur capacité à consommer, de leur origine ou de leur religion et qui se trouve toujours disposée à faire donner la priorité les intérêts économiques privés, sous prétexte qu’ils constitueraient
l’épine dorsale de notre économie donc de notre bien-être.

Ce premier principe posé, il faut disposer d’une stratégie bien assise tant sur le plan économique que culturel, politique ou militaire, sachant que ces différentes composantes ne sont que l’expression d’une seule donnée, l’impact international de la France et son évolution dans le temps. Projet gaulliste, dira-t-on. Pas forcément : dans l’histoire française, le gaullisme (avant son triste avatar, l’UMP), n’a représenté qu’une version assez efficace d’une conception que bien des régimes ont exprimée avec des fortunes diverses. Mais on peut mener une politique sociale, progressiste, pacifique et ambitieuse sur la même base.

Pour réussir, cette stratégie doit comporter certains éléments essentiels.
Le premier d’entre eux nous paraît être une confiance fondamentale dans les capacités de tous ceux qui se reconnaissent Français à être eux-mêmes les artisans de leur propre bonheur et à contribuer à celui de l’humanité en général. En ce sens, poser en préalable l’« Europe », l’Occident, la Chrétienté voire l’idée d’une francité « de souche » n’ pour nous aucun sens car on ne commence pas par nier ou inféoder sa propre communauté avant d’exister, encore moins par exclure par soustraction immédiate ou future une partie de celle-ci.

Mais au-delà de cela, il faut partir de bases efficaces et les construire si l’on n’en dispose pas suffisamment. Ainsi, un premier « pré carré » économique, suffisamment grand tant sur le plan quantitatif qu’en qualité, doit être établi, car 65 millions d’habitants, c’est trop peu aujourd’hui.
On ne construit pas la santé économique d’un pays ou d’une union économique, par exemple, sur la pure consommation de produits importés massivement de zones où les coûts de production sont provisoirement plus faibles ni structurer les besoins des citoyens vers ce qui est socialement positif, encore moins en massacrant le service public qui aujourd’hui construit souvent davantage de valeur que les activités commerciales ou financières. Qu’on le veuille ou non, la relance par la pure consommation s’essoufflera un jour et il faut déjà trouver de nouvelles bases à une croissance durable.

Ce marché plus large, autrefois fourni aux puissances européennes par l’expansion aux dépens d’autrui, de la paix ou de la justice, il nous faut le retrouver par l’accroissement d’influence culturelle, sociale, humaine dans l’espace européen, continental, ou mondial, donc y investir massivement. C’est là que se situe la vraie compétition, non dans une lutte exclusive et sans espoir pour faire redescendre les coûts de production en « travaillant plus pour gagner moins » ou en délocalisant massivement des usines qui continueraient à nous appartenir. Or, investir se fait principalement au travers de l’action publique directe ou indirecte : recherche, création d’universités multiculturelles et de normes techniques dominantes alliances positives liées à la communauté culturelle, extension des media publics et privés.

Ainsi la culture, le sport et l’éducation sont des ressorts économiques et politiques grossièrement sous-estimés à l’heure actuelle, ce qui génère des spirales négatives vers l’injustice, la perte du sens civique, la réouverture de la fracture sociale ou la division du corps social. C’est là, d’ailleurs, qu’il faut chercher les sources des difficultés sociales, de l’incivilité ou de l’insécurité.
Le logement et ses dépenses annexes, la reconversion de l’agriculture ou de la pêche, les dépenses écologiques ou une refonte du service public avec comme critère non la dépense absolue mais l’utilité sociale globale, sont également des gisements essentiels et pour les exploiter il faut investir tous ensemble : Etat, Collectivités territoriales, Secteur associatif et économie privée ou solidaire. Dans ce combat, qui doit être planifié, le secteur privé doit donc être un allié, non un adversaire ou un exemple.

Toujours dans la même perspective c’est-à-dire celle d’une relance durable, la relation des Français par rapport à l’impôt et au service public mais aussi le mécanisme des prix et la philosophie de l’entreprise doivent être fondamentalement réexaminés en partant du principe que c’est par la motivation sociale, et non en faisant claquer le fouet du chômage ou en récompensant les revenus d’origine purement financière ou spéculative des revenus, qu’on développe la productivité d’une société.
La citoyenneté ne doit plus être présentée, y compris au plus haut niveau de l’Etat, comme une fonction essentiellement économique et égoïste.

Il faut aussi réhabiliter l’impôt direct et progressif, tant sur le plan idéologique qu’économique et la contribution directe du citoyen à la vie sociale sous la forme du service national citoyen et associatif. Ce n’est qu’ainsi qu’on parviendra à résoudre l’équation nécessaire entre le coût du progrès social et le dynamisme économique, non par la dérive permanente de la taxation indirecte abusive et injuste, même si elle est politiquement indolore.

Oui, une réforme est nécessaire en France mais elle est aux antipodes de ce que, sous ce vocable, on nous présente et dont, après avoir vu la moitié de l’épisode et les dernières « propositions » de ce gouvernement nous savons déjà qu’il ne s’agit que de l’avatar d’une profonde réaction, d’une régression politique, sociale et humaine. Seule l’Union Européenne, dont l’influence ici est positive, nous garantit sans doute de dérives plus graves.
Au-delà de la reconquête de nouveaux marchés durables grâce à l’investissement dans de nouveaux créneaux et à une action publique bien dirigée, au-delà du rééquilibrage de la citoyenneté il faut repenser l’éducation et l’orientation, non dans le sens d’un enseignement utilitariste, sélectionniste et de plus en plus confessionnel mais dans celui d’une formation équilibrée, ouverte et permanente de tous ceux qui vivent en France. La réhabilitation des sciences dures, l’enseignement en langues étrangères, une part plus grande faite à toutes les cultures dont celle du sport, en font partie. Et les politiques, au lieu de se mêler des programmes d’histoire, devraient s’assurer que le monde dirigeant scolaire et universitaire se remette enfin en question.

La France dispose d’atouts énormes : une communauté internationale francophone ou sympathisante qu’elle devrait respecter plutôt qu’exploiter, un domaine territorial et maritime immense, une culture originale et vivante, des moyens scientifiques, techniques et militaires importants, une population en renouvellement. Au lieu de jouer la repli sur soi, l’égoïsme de classe, la tricherie permanente avec l’opinion et les media, le bénéfice politique à court terme, la soumission à des intérêts et à des traditions qui ne sont pas et ne seront jamais les nôtres, bref toutes les cartes faibles, ce sont nos atouts qu’il faut jouer.

C’est une politique ambitieuse, large, intelligente qui donne la priorité au progrès social, à l’éducation citoyenne désintéressée, à la fraternité et à l’universalisme et surtout à la confiance dans nos propres capacités qu’il nous faut, Cette politique, la gauche peut et doit la mener. Pour être investie, sans doute devrait-elle accepter de travailler davantage sur le plan idéologique et de proposer un compromis impossible entre le post-marxisme et un libéralisme sur lequel ses partisans même s’interrogent aujourd’hui. Repartir des fondamentaux en construisant un projet original et décomplexé paraît aujourd’hui la bonne voie.
Et même s’il l’on peut douter, il faut entreprendre.


3 réactions


  • zelectron zelectron 20 août 2010 16:26

    Je me demande comment fait-on pour entreprendre quand on est désespéré ? même d’Orange peut se fourvoyer...


    • clostra 20 août 2010 18:15

      oui c’est vrai « être désespéré » est au-delà de « ne pas espérer », une frontière que certains ont franchi.
      C’est justement par un discours fort suivi d’actes qu’il est possible de « redémarrer » et surtout, suite de la citation : « ni de réussir pour persévérer »


  • ddt99 ddt99 26 septembre 2010 06:52

    On ne construit pas un pays en pressant ses citoyens comme des citrons, pour en exiger en retour de l’amour.

    Pour continuer d’entreprendre, les gens n’ont pas besoin seulement d’espérer, mais ils ont surtout besoins de reconnaissance de leur travail, de respect de leurs qualités citoyennes, etc.

    Donnez-leur cela et ils croiront de nouveau en l’État et en ce pays.


Réagir