Commentaire de Courouve
sur La morale contre l'homosexualité


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Senatus populusque (Courouve) Courouve 24 janvier 2006 13:41

Michel Foucault avait corrigé ses affirmations de 1976 :

« Le domaine des amours masculines a bien pu être « libre » dans l’Antiquité grecque, beaucoup plus en tout cas qu’il ne l’a été dans les sociétés européennes modernes ; il n’en demeure pas moins que l’on voit se marquer très tôt des réactions négatives intenses et des formes de disqualification qui se prolongeront longtemps. » L’Usage des plaisirs, (Gallimard, 1984), Introduction, 2, 3.

Noël Mamère avait d’abord prétendu qu’il y avait un vide juridique, puis a déposé une proposition de loi visant à « clarifier » le Code civil. En réalité, le mariage du code civil est bien celui d’un homme et d’une femme.

Selon Daniel Borrillo, la notion de mariage, comme institution, ne délimite pas son champ d’application, c’est au contraire le principe d’universalisme qui redéfinit non seulement le mariage, mais aussi le régime du sexe (construction sociale, à ne plus mentionner sur les papiers d’identité ...). D’où la dénonciation du caractère « discriminatoire et injuste » du seul mariage hétérosexuel.

Pour D. Borrillo, « Le mariage [...] consacre socialement l’union de deux personnes ayant comme but la solidarité réciproque sur la base de l’affection mutuelle ». Or l’homosexualité relève davantage de la liberté et de l’amitié (amitié charnelle en l’occurrence) que de l’égalité et de la conjugalité ; c’est une amitié « poussée à l’extrême », disait l’Athénien (Platon, Lois). La Constitution, la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946, sont muets sur le mariage ; le Préambule précise cependant sa conception hétérosexuelle de la famille (al. 10 et 11) : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. » La Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 16), définit le mariage comme hétérosexuel : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille [...] La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État. » La Convention européenne des Droits de l’Homme, dans son article 12, fait de même : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »

La rédaction a été « modernisée » dans le Traité Constitutionnel de l’Union Européenne pour « couvrir les cas dans lesquels les législations nationales reconnaissent d’autres voies que le mariage pour fonder une famille. Cet article [art. II-69] n’interdit ni n’impose l’octroi du statut de mariage à des unions entre personnes du même sexe » (explication du praesidum dans la Déclaration n° 12 jointe au Traité). Le Traité constitutionnel laissait ainsi, avec cet article II-69, la porte ouverte au « mariage » homosexuel.

Cette dénaturation de l’institution matrimoniale semble analogue à la démocratisation à la Meirieu de l’institution éducatrice, qui exige, sous couvert d’égalité absolue, que l’acte d’enseignement soit remplacé par la libre expression des uns et des autres, que les sciences dures disparaissent au profit d’une « culture commune », inconsistante mais (parce qu’insconsistante) apparemment accessible à tous ; que la démocratie, prétende définir par des procédures démocratiques la culture de haut niveau dont elle est issue. Ni la culture, ni l’anthropologie ne sont cependant solubles dans la démocratie. L’acceptation du mariage pour les esclaves ou les infidèles, les unions mixtes ou interconfessionnelles, en faisant progresser l’égalité des droits, n’ont jamais dénaturé la notion de mariage ; ces réformes se firent au contraire dans le respect du sens du mot mariage, sans vider l’institution de sa substance pour la soumettre à un a priori universaliste. En revanche, le divorce vient d’être déshétérosexualisé, si l’on peut dire, par la modification du seul article encore « marqué ».

Daniel Borrillo écrivait encore : « faire de la filiation une caractéristique essentielle du mariage revient à assigner une finalité reproductive à la sexualité ». Il assimilait bien légèrement mariage et sexualité. Le mariage donne en effet à la filiation un statut, assure en général (sauf adultère) à l’enfant la connaissance de ses origines, mais nul n’est obligé de s’engager dans le mariage. On sait, depuis Diderot, Sade, Nietzsche et Freud, et même depuis les Grecs, que la sexualité est une fonction de relation largement indépendante de la procréation ; c’est d’ailleurs ce qui justifie notre liberté sexuelle, y compris la liberté des vœux de célibat et de chasteté.

L’égalité des droits n’a jamais signifié que hommes et femmes soient identiques, interchangeables ; l’équivalence entre homosexualité et hétérosexualité est une erreur dérivée, basée sur l’identité supposée entre homme et femme et une fausse symétrie de ces termes inventés en Allemagne dans la seconde moitié du XIXe siècle. Si cette identité était réelle, elle impliquerait de ne plus voir de différences de fait ou de situation, entre une relation homosexuelle et un couple hétérosexuel marié. Faire de l’homosexualité revendiquée la base de l’ouverture de droits, comme le droit au mariage, reviendrait à reconnaître ce « troisième sexe » imaginé par quelques auteurs, eux aussi allemands (K. H. Ulrichs, Heinrich Marx et Magnus Hirschfeld ; les deux premiers avaient déjà revendiqué l’accès au mariage).

Toute inégalité, toute différence de traitement, n’est pas toujours une discrimination, ni une injustice, contrairement à ce que prétend la démagogie égalitariste, « comme si le principe de l’égalité des droits devait effacer toute différence ». L’égalité des droits des citoyens, libres individus, n’entraîne pas plus l’égalité juridique des couples homo et des couples hétéro, qu’elle n’entraîne l’égalité juridique entre les associations loi de 1901, les S.A.R.L. et les S.C.I., ou encore l’égalité juridique des associations cultuelles et des syndicats. En d’autres termes, l’égalité des droits des citoyens français (art. 1er de la Constitution) n’est pas l’égalité des droits conférés par des situations différentes (situations crées par des engagements personnels). L’égalité formelle des droits de l’individu (l’homme, le citoyen) n’implique ni l’identité des situations concrètes, ni celle des diverses institutions contractuelles. Gommer les termes « père et mère » dans le Code civil, les remplacer par « parents », (proposition des Verts, Ppl n° 1650), nous rapprocherait davantage d’Orwell (1984) que de la société idéale.


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