Commentaire de elisabeth
sur La bataille juridique du traité de Lisbonne est lancée


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elisabeth 16 juillet 2008 17:16

Réponse à Laurent Simon,

"1. le droit n’est pas l’absolu, il est au service de finalités qui le fondent. A un instant il est l’image, nécessairement imparfaite, de ce qui a été voulu plus tôt. Et il faut aussi tenir compte du contexte, c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a des jugements, sinon il suffirait d’appliquer bêtement le droit... "

Si le droit n’est évidemment pas un absolu, dans le sens où il évolue, et où il est interprétable, en revanche, le droit engage, et les termes choisis, dans cet engagement, lie les individus (cas d’un contrat d’embauche par ex) ou les personnes morales (entreprises, Etat, organisation politique, etc.)
Je vous rejoins quand vous dites que le droit s’interprête...Mais attention, ceux qui ont à interpréter ce droit, sont des personnes qui ne sont pas engagés par le Droit en question. Ainsi, ce n’est pas le prévenu lui même qui se défend, mais un tiers, avocat qui fait un plaidoyer en vertu du droit liant son client.

Sous la Monarchie, la Loi et le respect du Droit, étaient liés. C’est à dire que le roi était à la fois législateur, et en même temps justicier. Dans des Etats démocratiques, ce sont des cours juridictionnelles qui ont à trancher, lorsque deux interprétations du Droit sont faites.

En matière internationale, c’est encore plus important, car des juridictions existent pour "sanctionner" (au sens de protéger, garantir) les individus, comme les entités politiques. Ainsi, par ex, les victimes des Nazis ont elles pu, aux vues des crimes perpétués contre elles, "inventer" le "crime contre l’humanité" en se basant sur des règles de droit existantes, qui bien entendu allait au delà du concept type, mais dans le respect du propos de ce droit. Jadis, les monarques eux mêmes, en prenant l’engagement de servir l’Eglise, lors du sacre à Reims, pouvaient être "rappelés à l’ordre" s’ils allaient contre le respect de leurs engagements sacrés : le Pape pouvait prononcer l’excommunication, c’est à dire interdire que les fidèles aillent à l’Eglise, interdire les enterrements chrétiens (ce qui à l’époque était une sanction terrifiante, notamment pour une Nation comme la France où 99,9% du Peuple, sinon 100% associait les mauvaises récoltes par ex, aux turlipitudes de leur monarque...Comme ce fut le cas avec Philippe Auguste, qui au final, dû "reprendre sa reine" pour être à nouveau considérer comme "chrétien" donc roi de France légitime)

Aujourd’hui, ces juridictions sont nombreuses : elles s’appellent le Conseil Constitutionnel, le tribunal de la Haye, la Cour Internationale des traités, la Cour Européenne, etc. Tous les citoyens (Français notamment) peuvent porter plainte devant ces tribunaux, qui sont, de par leurs attributions, garant des traités, comme jadis le Pape l’était des engagements des monarques envers les peuples chrétiens, etc.

2. La règle de l’unanimité s’impose, c’est vrai, pour la ratification. C’est bien un problème (car cela pénalise beaucoup d’évolutions, alors que nous sommes dans un monde complexe, incertain, et changeant rapidement... Voir p.ex. Leçon du Non Irlandais : quitter l’unanimité, vite ! Et demander une négociation bilatérale, avec référendum irlandais.), mais c’est ainsi. Mais cette règle ne veut pas dire que dès que quelqu’un a dit Non, cela empêche tout. Sinon cela fait bien longtemps que l’Europe aurait été arrêtée !

La règle de l’unanimité concerne le troisième pilier de l’UE. Cette règle est inscrite dans tous les traités de l’UE, dont le fameux traité de Rome, texte fondateur, mais aussi dans celui de Maastricht, fruit, en France, d’une volonté souveraine, à savoir celle des Français. Cette règle, en raison des nombreuses ratifications parlementaires, est donc aussi bien acceptée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement, que par le pouvoir constituant dérivé, à savoir le Parlement. Et comme tous les traités passent par l’unanimité...Il est étonnant d’entendre des "gouvernants" exprimer leur dépit, envers une règle qu’ils n’ont pas remis en cause depuis la création de l’UE.

Vous craignez qu’en l’absence d’une règle de la majorité, il soit impossible d"avancer. Cette crainte est non fondée, car les Etats peuvent très bien participer à des coopérations renforcées, et qui rien n’interdit non plus de convaincre, au lieu d’imposer. Cette règle de l’unanimité, en matière de traités, a toujours existé. Ainsi, lors du Congrès de Vienne, visant à déterminer le sort de la France, suite à "l’épisode napoléonien", le Ministre des Affaires étrangères de l’époque, agissant pour le compte de Louis XVIII, un certain Talleyrand, a réussi à convaincre ses homologues européens, de ne pas faire souffrir trop la France. Minoritaire, et dans une situation plus qu’infortable (pendant ce Congrès, Napoléon est revenu pour 100 jours en France) le talent de Talleyrand (qui avait beaucoup de défauts, mais était un diplomate accompli) a fait le reste, au point qu’à la fin du Congrès, les homologues européens de Talleyrand, comprirent qu’ils avaient été eu !
Au lieu de changer une règle, qui régit par ex l’ONU, on pourrait essayer d’avoir de meilleurs Ministres, défendant bien notre France, ce qui n’est pas le cas actuellement. 

S’ajoute à cela, que la règle de la double unanimité ne peut pas être modifiée, sans le consentement des citoyens. Pourquoi ? A cause, tant de la nature de l’UE, que celle de ses membres. L’UE n’est pas un Etat, car elle n’a ni personnalité juridique, ni peuple sur lequel asseoir une légitimité...Et une autorité. En effet, aucune des Institutions de l’UE n’émane du Peuple, y compris le Parlement européen, lequel ne représente personne, car il n’existe pas de "peuple européen", d’où une absence de "souveraineté européenne". C’est ce qui explique qu’on trouve dans les traités "la citoyenneté européenne "complète" celle "nationale", mais elle ne la remplace pas. Pourquoi cette expression ? Parce que la citoyenneté n’est pas un terme juridique, qui engage. Ainsi, on peut être un citoyen alsacien, un citoyen français, un citoyen de paris...Mais il n’y a qu’un seul pays, donc qu’une seule Patrie, d’où une seule nationalité...Qui confère des droits et devoirs liés à l’état de "citoyen". Les parlementaires ne peuvent pas donner un pouvoir constituant qui n’émane que du Peuple. Il est donc impossible, parce que la Constitution l’interdit, et que tout un chacun peut demander la garantie de celle ci devant les juridictions nationales, qu’un Parlement décide qu’on puisse violer l’expression de la volonté populaire et...Souveraine. Si le Conseil Constitutionnel ne se le permet pas...Un organe antidémocratique...Ne peut le faire. L’ONU reconnait cette vérité, puisqu’elle défend un concept révolutionnaire : le droit des peuples à disposer d’eux mêmes...Qui signifie concrètement que le "droit d’ingérence" en matière de traités, n’est pas possible. Pourquoi Pétain a t il demandé le changement du régime politique ? Parce qu’ainsi, il pouvait "légaliser" la collaboration avec Hitler et les Nazis. (A ne pas confondre avec les Allemands) 

Sous la Monarchie, une telle situation s’était produite, où un acte illégal avait été entérinée. Il s’agit bien sur du fameux "honteux traité de Troyes". isabeau de Bavière le fit approuver, mais...Juridiquement, le traité ne pouvait être valable, pour deux raisons : un roi de France ne pouvait signer un traité répudiant son héritier (le "dauphin" devenait, par sa naissance, le bien du pays !), et d’autre part, le Conseil des Pairs avait inscrit comme règle fondamentale la "loi des males" dite aussi "loi salique", qui interdisait la filiation du pouvoir monarchique par les femmes. 

Enfin, si éventuellement, une telle règle de la majorité, possible uniquement si l’UE devient une construction fédérale, ce qu’elle n’est, encore pas, elle ne pourrait s’appliquer qu’à un prochain traité...Si avant...La règle a été approuvée...Bien qu’elle pose des problèmes en matière constitutionnelles, très importants. 

3. Le traité n’est donc pas "mort juridiquement", sinon cela serait déjà vrai pour le traité de Nice, enterré selon vous en 2001... (voir p.ex. Lech Kaczynski : "le traité de Nice est juridiquement mort"... (en 2001) )

Le traité dit de Lisbonne est bien mort juridiquement...Comme le dit clairement Valéry Giscard d’Estaing, bon connaisseur des lois européennes, et accessoirement membre du Conseil Constitutionnel. En 2001, le traité dit de Nice était aussi mort, juridiquement parlant. Ce qu’on fait les Institutions européennes ? Elles ont "réssucité" le traité, en le faisant revoter par les Irlandais...Mais attention ! La situation n’était pas la même. Le traité dit de Nice devait être transitoire, il concernait peu d’évolution réelle, pas rapport à Amsterdam...Et la participation, lors du référendum était assez faible, ce qui a laissé croire qu’un "oui" était possible. Aujourd’hui, la situation est différente, puisque c’est une forte majorité d’Irlandais, s’étant déplacée en masse, qui est allé dire "non". Et les "dirigeants" européens, ont bien fait comprendre que ce traité, contrairement à Nice, ne serait pas transitoire...Mais sur le long terme.

Sur le plan juridique, par ailleurs, le traité de Nice est caduc, car en contradiction avec les règles imposées pour les traités antérieurs, donc contraire à la Constitution (ce qui annule dès lors la décision du 4 février 2008) et par les règles édictées par la Convention de Vienne sur les traités...Laquelle interdit la rétroactivité des actes, c’est à dire que par ex, si je prends un contrat de travail, qui engage 1000 individus, et qu’un d’entre eux dit "non", à ce contrat de travail, je ne peux pas rester sur cette situation. Ici, c’est la même chose.

J’ajoute qu’au niveau politique, non plus, ce n’est pas la même chose. Le Premier Ministre irlandais prendra t il le risque de prendre une nouvelle poire dans la figure...A si peu de mois des élections européennes ?

Nicolas Sarkozy l’oublie mais...Brian Cowen tient à son poste...Et pour les beaux yeux du Président français, il n’est pas prêt à tout accepter.


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