Commentaire de Marsupilami
sur Du choc des civilisations aux changements climatiques
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Le choc des civilisations, on est déjà en plein dedans, désastre écologique ou pas. C’est évident qu’il faut dialoguer avec les musulmans modérés, mais ceux-ci sont quasiment inaudibles et submergés par le tsunami de l’intégrisme islamiste.
Un intéressant texte prophétique, écrit en 1956, à lire et méditer :
Où va l’Islam ?Un texte de Marcel de Corte publié en décembre 1956 dans La Libre Belgique et qu’il vaut la peine de lire et de relire :
Où va l’Islam ? Il est vraisemblable que l’Islam lui-même l’ignore à peu près totalement. Ce grand corps informe s’éveille d’une longue léthargie, paupières closes, cerveau engourdi, membres épars et secoués çà et là d’aveugles sursauts. Toute l’histoire de l’Islam manifeste d’un bout à l’autre ces étranges alternances de torpeur et de frénésie.
Il semble que l’atavisme nomadique de cet immense agrégat de peuples en soit la cause : l’Islam bouge et s’ébranle dans la seule mesure où il trouve un conducteur, un entraîneur, un führer, un émule de Mahomet. Sans cet élan que lui communiquent le berger et ses chiens, le troupeau retourne à l’anarchie et, de degré en degré, à la somnolence. L’Islam ressemble à une limaille de fer dont l’aimant seul peut assurer la cohésion.
C’est dire que l’islam présente, au regard de l’historien et du sociologue, l’aspect d’une force magnétique toujours exposée à la chute dans l’inertie, si le dynamisme d’une oligarchie dirigeante : vient à lui manquer, ou si une résistance ne s’oppose pas à son passage et à son expansion. Depuis le VIIIe siècle jusqu’aujourd’hui, les rapports de l’Occident et de l’Islam sont jalonnés de ces suites d’impulsions irrationnelles et de stagnations tout aussi inintelligibles.
Comme on l’a souvent remarqué, le comportement du disciple de Mahomet ignore, sauf exception, cette mesure entre l’excès et le manque dont l’intelligence grecque, enracinée dans l’ordre de la nature, a si longtemps imprégné l’Occident. L’Islam est instable et démesuré. Il est remarquable que la civilisation islamique, à Bagdad ou en Espagne, ait connu ses moments de vive splendeur lorsque le don que la Grèce a fait pour toujours au monde l’eut atteint. Peu de cultures sont parvenues à ce sommet d’efflorescence vitale et de subtile spiritualité conjointes.
Cette union fut de courte durée ; l’Islam retomba rapidement dans ce mouvement oscillatoire qui le projette d’un extrême à l’autre et qui se retrouve, avec son contraste majeur, en presque tous ses adeptes, sous la forme d’une brutalité explosive relayée par une exquise délicatesse inattendue, ou réciproquement. Tout se passe comme si l’Islam balançait toujours entre les qualités et les défauts de la Barbarie, et les qualités et les défauts de la Décadence.
Peut-être faut-il trouver l’origine de ce roulement dans la structure strictement religieuse de la mentalité Islamique et dans la violente antithèse qu’elle établit entre Dieu et les hommes.
Sans Dieu, je serais vil plus que la bête immonde, fait dire Hugo à Mahomet. L’Islam ignore le Christ en tant que Dieu incarné, régénérateur de la nature humaine qu’Il assume en sa personne. Le Christ n’est pour lui qu’un prophète. La notion de nature réformée par le Nouvel Adam lui est étrangère. Entre Dieu et l’homme, il n’y a rien, pour lui. A nouveau, Hugo a merveilleusement exprimé cette dualité de l’âme religieuse islamique écartelée entre le Ciel et la Terre :
Fils ; je suis le champ vil des sublimes combats Tantôt l’homme d’en haut, tantôt l’homme d’en bas, Et le mal en ma bouche avec le bien alterne Comme dans le désert le sable et la citerne.
La religion islamique est dépourvue de centre de gravité. Elle ne possède ici-bas aucun point fixe. Elle ne dispose d’aucun critère immuable, faute de ce Moyen-Terme qu’est le Christ entre l’homme et Dieu, faute d’une Eglise conçue comme corps mystique et comme Jésus-Christ répandu et communiqué. Aussi oscille-t-elle entre le fanatisme sans nuances, massif, coagulé en quelque sorte, et une poussière de croyances disparates qui vont de la mystique à la plus basse superstition. La foi en Allah, dominatrice et exclusive, se mêle à une multitude indéfinie de sectes dont l’Encyclopédie Britannique énumère la série en trois colonnes de petit texte bien tassé.Les conséquences politiques de cette attitude religieuse toujours trébuchante et déséquilibrée sont immenses.
C’est un lieu commun que la politique est ici un simple prolongement de la religion. Le Temporel et le Spirituel ne sont pas deux domaines distincts. Le premier n’est pas subordonné au second. Ils se confondent. Même dans la phase de laïcisation que traversent actuellement les élites de l’Islam, il en est ainsi incroyantes ou pharisaïquement ritualistes, ces élites considèrent l’Islam comme un monde à part, sans frontières, sans détermination qui proviendraient de la situation terrestre de l’homme et de la diversité corrélative des groupements humains. Méconnaissant l’existence de la nature humaine et de ses implications, l’Islam méconnaît totalement l’idée de patrie et à l’intérieur des patries, l’idée d’une différenciation hiérarchisée entre les hommes due à leurs fonctions différentes. Il n’y a pas de « caste », ni « d’ordre », au sens de l’Ancien régime : dans l’islam c’est l’égalité absolue des fidèles. Le musulman se sent chez lui dans tout l’Islam : son seul passeport est sa foi, vive ou dévaluée. Le Marocain ou le Tunisien n’est pas un étranger en Égypte.
L’Islam présente ainsi l’aspect d’une société sans classes, internationale ou plus exactement « anationale » dont les membres sont rassemblés dans une même conception des rapports entre Dieu et l’homme, à la manière de la société dont rêvait Marx et que ses successeurs ont tenté d’instaurer en Russie. Il suffirait d’une chute du niveau religieux dans les élites dirigeantes - et elle est en train de s’accomplir depuis le XIXe siècle - pour que l’Islam, braquant son regard sur la possession de la terre et sur les rapports entre l’homme et la seule matière, se trouve dans la même position que la Russie. Ce n’est point par hasard qu’un des plus sagaces observateurs du communisme, M. Jules Monnerot, a nommé celui-ci « un nouvel Islam ». C’est par un sens très sur des analogies entre les deux conceptions du monde.
L’Islam a du reste montré dans le passé, où il puise son exaltation présente, le même esprit totalitaire que le marxisme. Pour lui, comme pour le marxisme, l’humanité se divise en deux parts radicalement hétérogènes : les fidèles et les infidèles, les musulmans et les Occidentaux. La philosophie matérialiste du marxisme est sans doute encore inconcevable à l’Islam. Les communistes musulmans sont peu nombreux. Mais cette prétendue imperméabilité de l’esprit islamique au marxisme ne vaut guère plus que l’imaginaire discordance que certains découvrent entre l’esprit anglais ou scandinave et la même doctrine. L’histoire récente prouve que la Grande-Bretagne et les pays nordiques, tout en gardant leur vernis idéalistes et en n’élisant que quelques rares députés communistes, ont absorbé à larges doses un marxisme édulcoré.
L’alliance entre la Russie et l’Islam qui s’accomplit sous nos yeux n’a donc rien de contre-nature. Elle procède de mentalités qui se correspondent et qui peuvent parfaitement s’identifier dans la confusion actuelle de l’histoire. Les Américains n’extirperont jamais, par leur anticolonialisme puéril, cette affinité hors de l’esprit musulman. La Russie les surclassera aisément en jouant sur la ressemblance qui existe entre l’attitude antieuropéenne du musulman et l’attitude anticapitaliste : il lui sera facile de faire virer au moment opportun la première, qui existe et s’exaspère, vers la seconde, qui est encore informe, et d’englober de la sorte les États-Unis dans la réprobation qui frappe l’Occident. La diplomatie américaine, toujours plus sensible aux éléments économiques d’un problème qu’à ses facteurs psychologiques, ferait bien de s’apercevoir de ce détournement astucieux.
La politique étrangère soviétique n’a du reste jamais varié en la matière depuis les fameux entretiens - trop oubliés par les démocraties, sans mémoire ! -, que Zinoviev eut, au Congrès de Bakou, le 1er septembre 1920, avec Enver Pacha. Elle remporte aujourd’hui les fruits d’un effort poursuivi sans la moindre défaillance et qui contraste avec les piteuses pirouettes que les événements imposent à la diplomatie des peuples dits libres. Les deux « guerres saintes » que mènent la Russie contre le Capital et l’Islam contre l’Occident finiront par s’amalgamer si l’Amérique n’ouvre pas les yeux.
La perspective est d’autant plus probable que la morale islamique ouvre un champ plus vaste que la morale chrétienne aux passions de l’esprit et au ressentiment. C’est là sans doute la raison pour laquelle l’Islam s’insinue peu à peu dans les populations primitives de l’Afrique : son éthique, moins exigeante, y est plus aisément adoptée. Personne ne niera, d’autre part, que le marxisme fleurit partout où la morale se relâche. Le mot de Rivarol reste vrai : « en déliant les hommes, on les déchaîne. »
Il est vraisemblable que les historiens de l’avenir verront dans la dissolution de l’empire ottoman consacrée par les traités de 1918 une des hypothèques qui auront pesé sur le XXe siècle aussi lourdement que la stupide destruction de l’empire austro-hongrois. Assagie par ses conquêtes, par ailleurs très écornées, l’ancienne Turquie stabilisait l’Islam au même titre que l’Autriche-Hongrie calmait l’effervescence balkanique.
Ces deux systèmes formaient au surplus un tampon contre l’impérialisme russe. Nous payons aujourd’hui les conséquences de cette politique aveugle où « l’idéalisme » laïque et les sordides préoccupations économiques se rejoignaient. Puissions-nous ne pas les payer très cher, car, pour citer à nouveau Rivarol, il n’est pas de pire malheur que de mériter ses malheurs !
Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que les nationalismes arabes sont sans racines dans les traditions de l’Islam et qu’ils évolueront fatalement vers un seul « internationalisme » et vers le panislamisme. La Russie, toujours vigilante, y mettra d’autant plus de soins que les errements de la diplomatie dite atlantique l’y aideront. L’Occident n’a d’autre atout en main que la terrible faiblesse du sens de l’État en terre islamique. Mais on fabrique aujourd’hui par la contrainte des Etats artificiels. Et d’autre part, l’État en Occident est dégénéré en État-Providence qui vampirise son énergie et ses réactions vitales de défense.
Marcel DE CORTE, Professeur à l’Université de Liège - La libre Belgique - 28 décembre 1956.