Commentaire de Oudeis
sur Une année de laïcité « positive », ou comment saper un principe républicain


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Oudeis 24 décembre 2008 14:48

Article très intéressant. C’est un rappel salutaire des évènements touchant à la laïcité en France ayant eu lieu en 2008.

Un paragraphe attire en particulier mon attention et mériterait - je pense - plus ample développement : celui concernant les deux camps laïques : "Deux camps qui se disent laïques se sont affrontés toute l’année autour de la laïcité et de l’islam. Pour schématiser, le premier (...) épingle toute tentative d’immixtion de l’islam dans la sphère publique ; quant au second (...) il voit dans les attaques contre l’islam au nom de la laïcité des propos racistes."

Cet affrontement vient - à mon sens - de l’ambiguïté du terme laïcité.

Quelle est donc la définition de la laïcité ? "Caractère de ce qui est indépendant de la religion" selon le dictionnaire. Ce terme et cette définition sont certes très consensuels - rare sont ceux qui ne se réclament pas de cette laïcité.
Cette vision de séparation de l’Eglise et de l’Etat reste cependant bien théorique car, dans la mise en pratique, deux acceptions différentes - pour ne pas dire opposées - existent.

La première acception de la laïcité affirme que l’Etat, étant séparé de la religion et devant assurer la liberté de croyance, se doit d’accepter toutes les religions et toutes les pratiques ne contrevenant pas à la loi (qui ne saurait traiter de sujets religieux). Cela signifie l’acceptation de toutes les religions dans une neutralité étrangère mais tolérante du fait religieux.
Cet aspect de la laïcité – particulièrement en vogue dans les pays anglo-saxons – est garantie par <a href= http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm#18 > la déclaration universelle des droits de l’homme - article 18 </a> : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites". Cet article faisait d’ailleurs partie du projet de Constitution européenne - article II-70. 
Dans cette vision de la laïcité, seules les institutions publiques se doivent de ne pas afficher de préférence religieuse (i.e. pas de symbole religieux dans les bâtiments publiques, pas de référence religieuse dans les textes officiels …). Mais rien n’interdit en principe même aux fonctionnaires (employés de l’état mais ne personnifiant pas cet état) d’afficher (à titre individuel) leurs appartenances religieuses. A fortiori les citoyens peuvent afficher publiquement et ostensiblement leur appartenance religieuse, même en public et y compris dans les bâtiments publics (mairies, écoles …) – justement au nom du principe de laïcité.
De fait, le principe de laïcité selon cette vision peut aboutir à ce qu’on nomme le communautarisme.


La deuxième aception - opposée à la première - définit la laïcité comme une interdiction de toute expression religieuse en dehors de l’intimité privée la plus stricte. La laïcité est alors considérée comme un refus de religieux, une absence de religion - et s’approche un peu d’un athéisme voire un anticléricalisme d’Etat.
Cette vision du principe de laïcité a parfois été celle retenue par la République (cf. par exemple le calendrier révolutionnaire ...). C’était également la vision de la laïcité par le communisme soviétique.


Il est patent que ces deux définitions de la laïcité diffèrent totalement - et seraient même incompatibles.
Si donc la laïcité théorique fait l’unanimité (ou presque), dans la pratique les positions s’opposent ... au nom même de la laïcité ! L’affrontement des deux camps mentionnés dans l’article relèveraient donc de cette ambiguïté qu’on ne cherche pas à lever afin de préserver le sacro-saint consensus national sur la laïcité.


Et la laïcité "à la française", me direz-vous ? Elle constituerait selon certains le juste milieu entre les deux visions précédante de la laïcité.
Il s’agirait plustôt - à mon avis - d’une laïcité à géométrie variable adoptant l’une ou l’autre des définitions en fonction de ce qui arrange.

Quelques exemples de telles incohérences de la "laïcité à la française".

Au nom de la laïcité "de refus", sont interdits à l’école les symboles religieux ostensibles (concrètement le voile islamique e la kippa juive - la pratique chrétienne ne comprenant pas le port de symbole spécifique). Cette interdiction est édictée dans l’article L141-5-1 du <a href=http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20081224 > Code de l’éducation </a> : "Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.".
Mais le même texte, quelques lignes plus haut, à l’article L141-2 choisit la laïcité "de tolérance" et affirme "L’Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse". Ces deux articles illustrent le manque de cohérance du choix du type de laïcité définie dans la loi.

Autre exemple. La proposition de la <a href=http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725/0000.pdf&nbsp ; >commission Stasi </a> (qui préconisait d’ailleurs cette interdiction des symboles religieux) de faire des êtes religieuses de Kippour et de l’Aïd-El-Kebir des jours fériés dans toutes les écoles de la République a été rejetée au nom cette fois de la laïcité « de refus ». Pourtant, au nom de la laïcité "de tolérance" la plupart des jours chômés en France correspondent aux fêtes religieuses catholiques (Noël, Toussaint, Pâque, Petecôte, Ascension, Assomption) comme le relevait cette même commission : "le calendrier conçu principalement autour des fêtes catholiques". Le caractère catholique du calendrier scolaire est d’ailleurs reconnu dans un <a href=http://www.education.gouv.fr/bo/2008/16/MENH0800336C.htm > bulletin officiel de l’Education Nationale </a> : "Les principales fêtes [catholiques et protestantes] sont prises en compte au titre du calendrier des fêtes légales".


En pratique, il s’agit donc souvent de considérer la laïcité comme tolérance envers les religions lorsqu’il s’agit du christianisme - et de prendre l’acception anticléricale envers les autres religions. Ce manque de cohérance dans la définition de la laïcité à la française risque aors de génèrer des frustrations - tout en fournissant des arguments aux partisans du communautarisme qui défendent leurs positions ... au nom de la laïcité !

Les affrontements entre les camps "laïques" risquent donc de se poursuivre en 2009 ... tant que le débat sur la définition de la laïcité n’aura pas permis de trancher pour une application cohérente.




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