Commentaire de Reinette
sur Desaparecido


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Reinette Reinette 2 mars 2009 18:43

le SAMEDI 25 NOVEMBRE 2006  : des dizaines de milliers de manifestants encerclaient le centre de Oaxaca, occupé par la police fédérale. « Qu’ils s’en aillent ! » est le cri unanime. Jante contre jante, des blindés chasse-barricades bloquaient les accès. Sur les toits, des tireurs d’élite. Les robocops lancent des billes d’acier sur les gens. La colère enfle. Le parlement local, la direction du tourisme et le tribunal de justice partaient en fumée. Quand les leaders s’interposaient, rappelant que la manif était pacifique, les émeutiers rétorquaient : « C’est le peuple qui décide ! » Puis, alors que la foule refluait sous les gaz, les sbires du gouverneur Ruiz entraient en action. Rafales d’armes automatiques, rapts. Des passants étaient raflés au hasard des rues. Plus de 200 personnes étaient enlevées/arrêtées et beaucoup subissaient des tortures (tabassages, doigts brisés, viols…) pendant le transfert vers des pénitenciers du nord du pays. Une trentaine de disparus, ce qui pourrait vouloir dire autant de morts… Le lendemain, les dernières barricades tombaient et Radio Universidad, la voix des insurgés, cessait d’émettre. Des convois blindés sillonnaient les quartiers. Les hommes armés faisaient irruption chez les gens, sans mandat. Au même moment, sous prétexte d’un « vice de procédure », un juge libèrait les assassins de Brad Will, caméraman d’Indymédia, officialisant ainsi l’impunité.

Ce traquenard du 25 novembre 2006visait à tétaniser le pays à la veille de l’entrée en fonction du nouveau président, Felipe Calderón. Fox ne pouvait lâcher Ruiz, car il avait besoin de l’ancien parti unique (PRI) pour adouber son dauphin, massivement contesté après une probable fraude électorale. L’alliance était scellée dans le sang.
Le 1er décembre, Calderón jurait fidélité à la Constitution, escorté par des militaires, au milieu d’un pugilat entre députés. Autour de lui, un cabinet de massacreurs, dont le responsable direct de la répression à Atenco et l’ex-gouverneur du Jalisco, qui se fit connaître en faisant appliquer la torture à de jeunes altermondialistes en 2004.
Le Mexique, dont la stabilité a longtemps été donnée en exemple, s’enfonce dans la spirale de l’arbitraire et de la violence d’État. Le fantôme de la « guerre sale » des années 1968-80 plane. Une coordination d’organismes de défense des droits humains déclarait : « La torture est avérée, on ne cherche même pas à la cacher. Elle est administrée comme une leçon et sert à terroriser le mouvement social.  » La déliquescence institutionnelle est telle qu’un des premiers actes du nouveau président aura été de faire arrêter quatre négociateurs envoyés dans la capitale par l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO). L’un d’eux, Flavio Sosa, un modéré au passé ambigu, aurait pu servir d’interface pour une issue pactisée au conflit. La tentation de la guerre civile est clairement du côté du pouvoir. « La mafia a plus d’éthique que ce gouvernement », avait tancé un sénateur.

Sous le choc, la commune de Oaxaca s’est repliée du centre vers les quartiers, de la ville vers les montagnes, de la lumière vers l’ombre. Vers le Mexique secret et tellurique de la vieille opiniâtreté indienne. L’APPO, échaudée par la répression et par les gesticulations de la gauche parlementaire, se tourne vers les zapatistes et l’Autre campagne, qui avaient dénoncé le leurre électoral. Malgré un état de siège de fait, un forum des peuples indigènes a réaffirmé que les communautés ne reconnaissent plus l’autorité du gouverneur et construisent un auto-gouvernement à partir des assemblées de villages. Dans la Sierra Juárez, une réunion de délégués zapotèques, chinantèques et mixes a débattu des modalités de cette démocratie horizontale.

Comme en Argentine en 2002, le fossé entre la société et l’État devient gouffre. Ce dernier se limite à agir comme une machine menaçante au service de l’argent. Au mieux comme une coquille vide.


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