Commentaire de Helveto
sur La vérité sort de la bouche des Anglais !


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Helveto Helveto 8 mars 2009 01:27

Bon, il est vraiment exceptionnel que je laisse un commentaire sous un article, mais après avoir lu toutes les interventions ci-dessus, y’a quand même quelque chose qui me titille... alors je vais "claviériser" une petite remarque.

Je suis canadien ET suisse. Je suis aussi bilingue français / anglais. Je bosse dans les technologies de l’information (où l’anglais technique "computerenglish" est évidemment un must). Et à part ça (comme si ça ne suffisait pas) ça fait 20 ans que j’ai appris (et que j’utilise plutôt régulièrement) la langue internationale espéranto dans des contacts réguliers avec des gens de tout un tas de pays.

Alors, des débats comme celui ci-dessus : "l’esperanto ceci, oui.. mais. Et puis non, parce que l’anglais cela, et puis après ceci..." qui finissent par être ponctués de "ben, t’es con ou quoi ? et patati, et patata... !", Dieu sait combien ça me prend la tête et combien j’en ai croisé au cours de ces 20 longues années.

J’ai compris depuis belle lurette que la langue [la sienne notamment smiley], c’est une chose qui touche aux émotions, qui est rattachée aux premiers rapports avec les autres humains, dans nos toutes premières années. Donc c’est toujours un sujet éminemment explosif. Aborder ce sujet ne va pas sans se sentir vite pris aux tripes, ce qui donne envie (trop souvent) d’agresser l’autre.

Comprendre ça m’a permis d’acquérir une certaine "sagesse" (entre gros guillemets) me semble-t-il, quand vient le moment de parler avec quelqu’un de l’apprentissage des langues.

Mais y’a quand même un truc que j’ai pas encore pigé :
C’est ***pourquoi faut-il qu’il y ait constamment une mise-en-opposition entre l’esperanto et l’anglais ???***

Je connais bien les arguments d’un côté comme de l’autre, le genre David contre Goliath, dès qu’on parle de ça.
Chaque camp tire vite à boulets rouges...
Pourquoi y a-t-il si peu de commentaires qui fassent la part de l’ouverture, de la diversité des langues, et pourquoi pas de l’humanisme (respecter l’humain, en respectant aussi qu’il soit attaché à sa propre langue —allez demander aux Québécois ce qu’ils en pensent— sans pour autant rejeter les autres langues, nationales ou construite).

Voici ce que je dis à mes deux fils concernant l’anglais ET l’espéranto : Ne perds pas ton temps en bagarres stériles qui opposerait ces deux langues. L’anglais existe et occupe en ce moment la position que l’on sait. L’espéranto a aussi le mérite d’exister, de s’être développé depuis 130 ans et de jouer dans la communication humaine un rôle différent de celui de l’anglais, c’est déjà indéniable. Aussi, la seule attitude que je me sens capable de défendre pour le bien de mes fils, c’est de les encourager à les apprendre LES DEUX. C’est le seul choix qui me semble logique pour leur avenir (abstraction faite de leur recommander d’apprendre le mandarin, dans les 30 prochaines années). Je leur dis donc : bien sûr l’anglais te sera utile, voire indispensable, sur le plan professionnel, pour voyager dans les gares et les aéroports, et aussi pour accéder à un immense savoir (conférences internationales professionnelles dans de nombreux domaines), ou même pour goûter à la culture anglo-saxone (ouh... j’en vois qui s’offusquent, chez les francophones radicaux, mais il existe bien une immense culture anglosaxone, comme il y en a une française, ou allemande... on ne comprend juste pas assez l’anglais habituellement pour la goûter vraiment).

Donc, je dis à mes fils : apprenez l’anglais. Cependant, ils parlent aussi déjà tous les deux l’espéranto (de naissance, tout comme une brochette de leurs meilleurs copains). Et ils sont copains avec eux parce que ça leur permet d’être véritablement et rapidement en communication non frustrante avec ces enfants hongrois, serbes, flamands, norvégiens, allemands, catalans... et Jean Passe (il est de toutes les fêtes celui-là). Je ne parle pas ici de théorie, ni d’amis uniquement "potentiels", voire virtuels. Non. Je parle de leurs copains, qui débarquent chez nous à Pâques ou aux vacances de ski avec leurs parents. Je parle de leurs copains qu’on rencontre en partie chaque été, qui sont donc des enfants et des ados en chair et en os, avec des prénoms comme Jon, Bojan, Gretel, Marie, etc. Faut les voir jouer ensemble aux petites voitures, ou aux échecs, ou au foot, sans barrières linguistiques comme l’espéranto le leur permet, alors même que plusieurs d’entre eux se débrouillent pourtant AUSSI en anglais... pour comprendre que le débat qui consiste à opposer ces deux langues est un faux débat. Ils utilisent l’espéranto entre eux parce qu’ils sont cette langue facile en commun, et ils utilisent leur anglais dans les circonstances où ils en ont besoin. Eux en tout cas n’y voient rien d’étrange !

Mon aîné (11 ans tout juste) a tout naturellement développé une curiosité pour les langues, de par la proximité avec ces autres enfants qui viennent de pays aussi divers. Pardi, quand on est déjà bilingue avant l’école, on est suffisamment affranchi des structures parfois rigides de sa propre langue pour aborder l’apprentissage d’une autre (n’importe laquelle) en souplesse, et on est vite rassuré sur sa capacité à investir une troisième langue, fut-elle l’anglais, l’allemand, ou le serbo-croate ! Cet avantage est connu et documenté comme l’effet propédeutique de l’espéranto, qui facilite l’accès aux autres langues. Les enfants de plusieurs classes primaires genevoises qui avaient fait une année d’espéranto à l’école, suivie de 5 années d’allemand avaient, au terme de cette expérience, un niveau d’allemand nettement supérieur à celui des classes témoins (j’ai failli écrire "normales") qui avaient étudié 6 ans l’allemand.

Et cet effet existe aussi, évidemment, pour l’apprentissage d’autres langues, dont l’anglais. Mes fils ont aujourd’hui ce net avantage sur leur père, moi qui n’ai appris l’esperanto qu’à 27 ans.

Mon fils ne côtoie pas vraiment de véritables anglophones (un peu en fait, 5 jours par an environ), il n’a pas (encore) commencé l’anglais à l’école (en Suisse, ils ont d’abord l’allemand comme langue "seconde"). Et pourtant, il a maintenant un vocabulaire de compréhension immédiate de l’anglais que j’évalue entre 400 et 500 mots. Et ça ne déclenche chez nous aucune réaction épidermique ; les sceptiques peuvent-ils croire cela possible dans une famille qui s’avère être aussi espérantophone ?

Donc mon opinion personnelle dans ce débat, découlant de mon vécu de tous les jours, c’est tout bonnement que l’un n’empêche pas l’autre. Punkt schluss.

L’anglais ne menace pas l’espéranto. Et (évidemment) l’espéranto ne menace pas l’anglais. Ce sont deux langues différentes, dont l’usage diffère aussi. Comme mon vélo qui me permet d’aller partout à ma guise et à mon rythme ne menace pas l’avion de ligne que je prends pour aller au Canada. Comme je peux affirmer sans avoir besoin d’insulter mon voisin que j’aime autant le gigot d’agneau que le tiramisu. J’aime le calme des pâturages de nos montagnes, comme j’aime l’animation de Paris ou de Barcelone. Puis-je préférer la bière blonde sans qu’un amateur de bière brune se sente agressé ?

J’adore le français. Mais de même que je parle couramment l’espéranto, de même je ne crains pas d’affirmer que j’aime AUSSI l’anglais. Même si j’ai grandi au Québec. Et de plus en plus, d’ailleurs. C’est pourquoi le débat stérile des "pro-" et des "cons" m’exaspère. (So what ? mon attitude serait-elle trop "mojosa" ? — comprenne qui pourra).

Si vous avez consacré jusqu’à maintenant au moins 30 ou 40 heures de votre vie à débattre ou discourir CONTRE l’anglais, ou CONTRE l’espéranto (même futilité), vous auriez eu meilleur temps (expression suisse) d’investir ces quelques heures à au moins apprendre les seize règles de grammaire et les structures de l’espéranto, pour ensuite utiliser ces mécanismes pour à la fois vous ouvrir de nombreuses frontières et à la fois [pourquoi pas] vous consacrer enfin sérieusement à l’amélioration de votre niveau en anglais. Vous seriez alors gagnant sur les deux tableaux. Et puis voilà...
[Et parlant de tableaux : Ô joie, le tableau des mots when, where, what, always, never, someone, why, because, everywhere, nowhere, etc. enfin "apprenables" de manière structurée et logique en les disposant comme le tableau des 45 mots correlatifs de l’espéranto : une pure merveille qui ferait gagner un temps fou aux enfants des écoles. Pourquoi on ne m’a pas enseigné l’anglais comme ça, à Montréal ??? smiley ]

Pendant que nous débattons, d’autres écrivent quelques lignes (même malhabiles) à leur correspondant esperantophone (tout aussi débutant qu’eux) ou regardent un bon film, mais en version originale anglophone sans sous-titres. Ou autre chose, de leur choix... pourvu que ça soit positif (POUR quelque chose, plutôt que CONTRE). Oui, je sais, pendant que nous débattons, d’autres meurent de faim, ou sautent sur des mines anti-personnel. Mais c’est un autre débat.

Bref, je crois que vous avez maintenant suffisamment compris ma position...

Je recommande à quiconque croit que l’anglais est mieux que l’espéranto ou vice-versa de vite apprendre la seconde (amusant et utile), pour ensuite apprendre plus profondément la première (souvent nécessaire). Y’a pas d’opposition, en fait.

C’est du moins mon témoignage, qui n’est évidemment basé que sur ma propre expérience.

Pour vos commentaires en réponse à ce commentaire, on se les fait (au choix :->) en anglais ou en esperanto... d’ac ? smiley

L’Helveto.


PS. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu plus d’une page écrite par Henri Masson dans toute ma vie (je ne suis pas Français), mais si la question des langues au sein du parlement européen vous intéresse, lisez en tout cas le livre Le défi des langues, de Claude Piron, publié à L’Harmattan.


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