Commentaire de Lucien Denfer
sur A-t-on peur d'être libre ?


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Lucien Denfer Lucien Denfer 25 juillet 2009 00:49

Extrait d’une discussion entre David Bohm (David Joseph Bohm 1917-1992, physicien américain, qui a effectué d’importantes contributions en physique quantique, physique théorique, philosophie et neuropsychologie) et Krishnamurti :

Krishnamurti : Cette évacuation du passé, c’est à dire de la colère, de la jalousie, des croyances, des dogmes, des attachements, etc, est indispensable. Si tout cela n’est pas évacué, s’il en persiste la moindre trace, c’est la voie ouverte à l’illusion, inéluctablement. Le cerveau ou l’esprit doit être totalement exempt de toute illusion, que celle-ci soit l’effet du désir, du besoin de sécurité ou quoi que ce soit d’autre.

David Bohm : D’après vous, cette démarche une fois accomplie, ouvre la porte sur quelque choses de plus large, de plus profond ?

K : Oui, sinon la vie n’a pas de sens et se résume à un schéma répétitif.

Narayan : Que vouliez-vous dire au juste quand vous avez parlé de l’univers en méditation ?

K : C’est comme cela que je le ressens, oui.

D.B : Remarquons tout d’abord, si vous le permettez, que l’univers échappe effectivement à la tyranie de son passé. En fait l’univers crée certaines formes qui sont relativement constantes, de sorte que, si on l’observe superficiellement, on ne remarque que cet aspect-là ce qui donne alors l’impression qu’il est déterminé à partir du passé.

K : en effet, mais il n’est pas gouverné par le passé. Il est créatif ; en mouvement.

D.B. : Et donc ce mouvement c’est l’ordre.

K : en tant que scientifique, souscrireriez-vous à ce point de vue ?

D.B. : En définitive, oui !

K : Sommes nous fous tous les deux ? Posons la question autrement : le temps peut-il réellement prendre fin ? -toute cette conception du temps comme passé - chronologiquement de sorte qu’il n’existe plus du tout de lendemain ? Avoir le sentiment, la certitude psychologique réelle qu’il n’y a pas de lendemain. J’estime que c’est le mode de vie la plus salubre -ce qui ne veut pas dire que je devienne irresponsable ! Ce serait par trop puéril.

D.B. C’est simplement une question de temps physique, qui est une certaine partie de l’ordre naturel.

K : Bien sûr, c’est entendu.

D.B. : La question est ou bien d’avoir la sensation de faire l’expérience du passé et de l’avenir, ou bien d’être délivré de cette sensation.

K : c’est à vous en tant que scientifique, que je demande si l’univers est basé sur le
temps ?

D.B. : je dirais que non, mais voyez-vous, la tendance générale ....

K : Vous dites que non ! C’est tout ce que je demande. Alors, est-ce que le cerveau, qui a évolué au cours du temps peut....

D.B. : a-t-il effectivement évolué au cours du temps ?Il a plutôt été pris dans le filet du temps. Parce que le cerveau fait partie du l’univers, dont nous disons qu’il n’est pas basé sur le temps.

K : Je suis d’accord.

D.B. : c’est la pensée qui a emprisonné le cerveau dans l’écheveau inextricable du temps.

K : Bien. Peut-on démêler cet écheveau, le dénouer, pour que l’univers soit l’esprit ? Vous suivez ? Si l’univers échappe au temps, est-ce que l’esprit, qui est pris dans le filet du temps, peut s’en dégager, et être ainsi l’univers ? Est-ce que vous suivez ma pensée ?

D.B. : Oui

K : c’est çà l’ordre.

D.B. : L’ordre, c’est çà. Appelleriez-vous cela méditation ?

K : Exactement. C’est ce que j’appellerais la méditation, pas au sens ordinaire, étymologique de « soupeser », etc. mais un état de médiation dénué de la moindre parcelle de passé.

D.B. : Vous dites que l’esprit se dégage lui même de l’emprise du temps, et qu’il dégage aussi réellement le cerveau de cette emprise du temps ?

K : Oui, admettriez-vous cela ?

D.B. : oui

K : en tant que théorie ?

D.B. : oui, comme hypothèse de travail.

K : non je n’en veux pas comme hypothèse

D.B. : qu’entendez-vous par théorie ?

K : une théorie c’est quand quelqu’un vient affirmer que c’est çà la vraie méditation.

D.B. : D’accord

K : Attendez. Quelqu’un vient affirmer qu’on peut vivre de cette façon ; que la vie a un sens extraordinaire, débordant de compassion, etc., et qu’on peut amender immédiatement toutes les actions procédant du monde physique, et ainsi de suite.
Vous, en tant que scientifique, admettriez-vous l’éventualité d’un état comme celui-ci, ou bien taxeriez-vous de loufoque celui qui l’affirme ?

D.B. : Non je ne dirais rien de tel. A mon sentiment c’est parfaitement possible ; c’est tout à fait compatible avec tout ce que je sais de la nature.

K : Alors tout va bien ! je ne suis donc pas un détraqué loufoque ! Bien sûr, lorsque nous plaquons des mots sur tout cela, ce n’est pas la chose elle-même. C’est bien clair, n’est-ce pas ? Mais peut-on la communiquer à autrui ? Ce peut-il que certains d’entre nous approchent cette réalité, pour pouvoir la faire partager, véritablement .


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