Commentaire de Lucien Denfer
sur Beauté naturelle et identité conflictuelle
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Sélection naturelle et psychanalyse : la lutte pour le phallus
La seule question fondamentale qui s’est posée jusqu’à récemment à l’homo sapiens relevait de la sélection naturelle : « comment assurer au mieux ma descendance ? » Toutes les normes sociales, toute la culture, toute l’Histoire dérivent de cette question et des moyens d’y répondre. Pendant des millénaires, les rapports hommes-femmes se sont résumés de la façon suivante : du fait que ce sont les femmes qui sont enceintes, un homme ne peut jamais être sûr que l’enfant est de lui, d’où la nécessité du contrôle de la sexualité des femmes. Les voiles, tchadors et burkas des musulmanes n’ont pas d’autre fonction. Et du fait qu’une femme isolée sera dans l’impossibilité d’élever ses enfants, elle devra s’assurer du contrôle de la puissance sociale du partenaire mâle qu’elle choisira, afin qu’il la protège avec ses rejetons des agressions extérieures. Les hommes essaient de contrôler la sexualité des femmes, et les femmes essaient de contrôler la puissance des hommes : telles sont les bases de toutes les structures sociales traditionnelles. Au moyen du pouvoir social, les hommes essaient de contrôler le pouvoir sexuel des femmes, c’est-à-dire leur pouvoir de séduction et donc de reproduction. Et au moyen de leur pouvoir sexuel de séduction, les femmes essaient de contrôler le pouvoir social des hommes avec les avantages qu’il procure pour la reproduction. Chacun essaie de contrôler l’autre et chacun dépend de l’autre, ce qui produit un équilibre relatif, une boucle homéostatique du système relationnel masculin-féminin.
Il faut donc comprendre les relations hommes-femmes en termes de théorie des systèmes. L’Histoire procède de ce système de contrôle mutuel qui est un rapport de forces, une lutte pour le pouvoir se tramant autour du phallus, symbolique ou physique et qui structure le développement des sociétés. Les hommes passent leur temps à vouloir enfermer les femmes afin de contrôler les phallus physiques auxquels elles auront accès. Par le pouvoir et la domination sociale ils cherchent à contrôler le désir sexuel féminin. Et les femmes, au moyen de la séduction exhibitionniste, passent leur temps à essayer de s’offrir un accès aux phallus physiques. Par le pouvoir et la domination sexuels, elles cherchent à contrôler le désir sexuel masculin, le phallus, pour bénéficier de sa puissance physique et de son pouvoir symbolique et social. Elles cherchent à exciter le maximum d’hommes, de phallus physiques pour s’ouvrir le plus large choix possible dans la sélection de ceux qui leur paraîtront les meilleurs, les plus virils et puissants. On lance un filet, on attend que des poissons s’y prennent, et on ne garde que les meilleurs. Au moyen des vêtements, des cosmétiques, des bijoux et autres artifices les femmes appellent la puissance érectile des hommes en essayant de les faire bander et de provoquer en eux une envie irrésistible de les pénétrer. Toutes les femmes n’ont pas le même potentiel de séduction. Cette lutte pour la conquête des mâles engendre donc entre elles rivalité et jalousie. Les plus douées, les plus belles, au milieu de tous les mâles qu’elles auront réussi à exciter ne choisiront pour s’en faire pénétrer que ceux qui leur paraissent les plus puissants sexuellement, physiquement ou socialement, c’est-à-dire les plus capables d’assumer une paternité conjugale protectrice. La puissance sexuelle est l’indice de la puissance physique. Et le mâle le plus puissant physiquement est souvent le plus puissant socialement. Quant aux femelles les moins séduisantes, elles prendront ce qui reste, resteront seules ou développeront une homosexualité de compensation. Il en va de même pour les hommes laids ou timides.
On voit dès lors comment la structure psychanalytique du rapport de forces hommes-femmes, la lutte autour du phallus symbolique, dérive des contraintes biologiques de la sélection naturelle, la lutte autour du phallus physique. En effet, comme Lacan disait de l’hystérique qu’elle cherche un maître sur lequel elle puisse régner, un phallus qu’elle puisse symboliquement castrer, les femelles humaines cherchent des mâles puissants dont elles puissent orienter et contrôler en leur faveur la puissance physique et sexuelle. Si le positionnement du désir masculin est clair, univoque : on cherche une femelle dominée, en revanche le positionnement du désir féminin est ambigu, équivoque, un peu schizo : on cherche un mâle dominant mais que l’on puisse dominer également.
La logique interne de l’Histoire humaine, de ses plus hautes réalisations jusqu’à la barbarie la plus ignoble, est le fruit de cette interaction systémique entre mâles et femelles, où chaque sexe assigne à l’autre une place dans son désir, un rôle social dominant ou dominé à tenir impérativement sous peine de n’être plus désiré. Dans L’imparfait du présent, Alain Finkielkraut se pose la question suivante : « N’est-ce pas l’assignation des hommes à la virilité qui voue l’humanité à la violence ? »[3] Il faut alors se demander : « Mais qui assigne donc les hommes à la virilité, si ce ne sont les femmes, à responsabilité égale avec les hommes ? » Car en effet, aussi longtemps que les femelles éprouveront plus de désir pour les mâles dominants que pour les dominés, les mâles se battront pour être dominants. La violence des mâles, génétiquement programmée par leur taux hormonal de testostérone, est ainsi une simple réponse de la sélection naturelle au désir des femelles qui se porte prioritairement sur les plus agressifs d’entre eux, les plus forts et phalliques. Les femmes n’aiment pas les loosers. Le caractère de coq macho agressif et guerrier de nombreux hommes n’est donc en fait que le résultat d’une sélection sexuelle accomplie par les femmes elles-mêmes qui, séduites par les parades et les démonstrations de force du phallus, n’accepteront de mélanger leur génome et de donner une descendance qu’aux mâles les plus dominateurs, c’est-à-dire les plus protecteurs mais aussi, car toute médaille a son revers, les plus destructeurs. Les guerres et les violences qui jalonnent l’Histoire de l’humanité, loin d’être des phénomènes spécifiquement masculins, sont en fait des produits du système interactif de contrôle mutuel du phallus qui se joue entre hommes et femmes. Tout ce que sont et font les hommes est une réponse au désir des femmes, et tout ce que sont et font les femmes est une réponse au désir des hommes. Au moyen d’une sélection sexuelle impitoyable, chaque sexe façonne l’autre. Les femmes ont donc toujours eu le même poids que les hommes, même si moins visible, dans la construction des phénomènes sociaux et historiques. Rien ne s’est produit dans l’Histoire qui ne fût désiré par les deux sexes.
Source : La guerre des sexes