Commentaire de Terran
sur Climat et recherche : un train peut en cacher un autre
Voir l'intégralité des commentaires de cet article
par Michael Billington,
rédacteur Asie de l’Executive Intelligence Review (EIR)
Alors que nous sommes au beau milieu de la plus grande crise financière de toute l’histoire, l’Asie comme la Russie se sont engagées dans une expansion sans précédent de l’énergie nucléaire. Ce vaste chantier est source de fierté pour les pays exportant cette technologie et d’espoir pour ceux qui l’acquièrent. Ces pays en développement furent longtemps privés de leur droit naturel à l’énergie nucléaire par l’influence permanente de l’impérialisme britannique. Les promesses du programme Atomes pour la Paix mené par les présidents Eisenhower et Kennedy – l’accès à une source d’énergie quasi-illimitée permettant de sortir de l’arriération coloniale – furent brusquement anéanties dans les années 1970, sous la poussée de l’hystérie anti-nucléaire nourrie par le mouvement écologiste du prince britannique Philip d’Edimbourg, sous le prétexte fallacieux que la non-prolifération des armes nucléaires passait par un gel du nucléaire civil. Désormais, les nations asiatiques ont définitivement rejeté le dictat impérialiste britannique en basant leur développement à long terme sur l’expansion de leur capacité nucléaire.
Malheureusement, les pays « industrialisés » ont sombré dans ce bourbier britannique. Alors que les pays asiatiques construisent actuellement 43 centrales, il n’y en a que 12 en chantier dans le reste du monde. Aux Etats-Unis, une seule centrale est en construction, et encore ne s’agit-il que d’achever le deuxième réacteur de la centrale de Watts Bar dans le Tennessee, suspendue en 1988. En Europe, seules deux centrales sont en cours, tandis que l’Allemagne et la Suède ont déjà pris la décision de fermer toutes leurs centrales (bien que la crise économique puisse les amener à reconsidérer cette folie).
En ce début janvier, 224 scientifiques et ingénieurs nucléaires ont adressé une lettre ouverte au conseiller scientifique du président Obama, John Holdren, lui-même un anti-nucléaire partisan de la croissance zéro. « Le reste du monde est en train de nous larguer, déplorent-ils sans détours. (…) Notre nation doit s’y remettre rapidement, pas dans 20 ou 50 ans, mais pendant que les pionniers du nucléaire sont encore là pour passer le flambeau à la nouvelle génération de scientifiques et d’ingénieurs. Il n’y a aucun argument politique, économique ou technique qui puisse justifier de se priver des bénéfices que l’énergie nucléaire apportera aux Etats-Unis alors que le reste du monde va de l’avant. »
A l’opposé de ce retour en arrière, la Corée du Sud vient d’annoncer son intention d’exporter 80 réacteurs nucléaires d’ici 2030, pour un montant total de 400 milliards de dollars. Ce pays n’est pourtant que le sixième exportateur mondial dans le domaine, place acquise tout récemment avec la signature d’un contrat avec les Emirats arabes unis, portant sur quatre réacteurs.
Ce qui fait dire à l’économiste américain Lyndon LaRouche : « Ce que nous voyons dans l’espace transatlantique est une civilisation qui se meurt, une civilisation qui se condamne à disparaître (…) alors que dans la région transpacifique, en particulier du côté de l’Asie et de l’océan Indien, le progrès est en marche ! Quand on regarde la dynamique économique de cette région, on constate que le développement de l’énergie nucléaire est partout au programme ; alors que dans l’espace transatlantique, le nucléaire est quasiment banni, et l’arriération menace de nous ramener à l’âge de pierre. »
La Russie prend les devants
Les accords sino-russes du 13 octobre dernier, portant sur le développement conjoint de l’énergie nucléaire et du transport ferroviaire à grande vitesse, illustrent la transformation en cours dans toute l’Asie. Des accords semblables ont également été signés par l’Inde avec ces deux pays. Pour LaRouche, ces avancées constituent un pas historique vers la réalisation de l’Alliance des quatre puissances – Etats-Unis, Russie, Chine, Inde – qu’il préconise en vue de créer un système international de crédit qui remplacera le système monétaire mondialiste en faillite.
Si, pour la première fois de l’histoire, les nations eurasiatiques coopèrent dans l’idée que leur intérêt souverain repose sur le développement mutuel de leur région, leurs dirigeants ne cessent de se poser cette question : pourquoi l’Occident ne les rejoint-il pas dans ce développement économique physique, alors que la finance mondialisée s’effondre ?
La Russie s’est engagée auprès de la Chine à accroître son aide pour développer le complexe nucléaire de Tianwan et à lui fournir deux surgénérateurs qui produiront autant, sinon plus de combustible qu’ils n’en consomment. De plus, elle lui construit une usine d’enrichissement tout en lui fournissant de l’uranium.
En Inde, la Russie va construire 12 à 14 réacteurs qui seront conçus « à la chaîne ». En effet, le directeur de la compagnie publique nucléaire russe Rosatom a déclaré que son pays prévoyait « de repasser à une phase de production en masse de réacteurs », un programme déjà en route avec plusieurs chantiers en Russie, en Iran et en Inde.
« Je reviens tout juste d’Inde, et ce pays a un réel besoin d’énergie, a déclaré le 15 janvier l’académicien russe Nikolai Ponomaryov-Stepnoy, vice-président du Centre nucléaire russe à l’Institut Kurchatov.L’Inde pense au futur et nous devrions en faire autant. Les réacteurs que nous bâtissons auront besoin de combustible pendant tout leur cycle de vie, c’est-à-dire jusque dans les années 2070. Nous devons donc penser à de nouvelles technologies nucléaires dont l’approvisionnement en combustible sera garanti. Je parle des surgénérateurs dont le cycle serait entièrement maîtrisé. Nous devrions dès maintenant offrir à l’Inde de coopérer dans ce domaine. Dans le même temps, nous devrons approvisionner nos partenaires non seulement en énergie électrique, mais aussi en carburant pour les voitures électriques et à hydrogène. Il est ainsi nécessaire de développer un nouveau pan de l’industrie nucléaire : la génération d’hydrogène. »
- Modèle de centrale nucléaire flottante russe, actuellement en construction.
Rosatom est également sur le point de lancer la première de ses « centrales nucléaires flottantes », des réacteurs de 70 à 250 MW construits sur le modèle de ceux qui équipent les brise-glaces et sous-marins russes. Ces réacteurs sont produits à la chaîne, placés sur des barges puis acheminés sur zone pour usage immédiat, tant pour la production d’électricité que le dessalement d’eau de mer. La première de ces centrales devrait sortir des chantiers de Saint-Pétersbourg cette année et déjà de nombreux pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique se montrent intéressés par cette technologie.
L’Inde et la Chine
Si la Chine ne compte que 11 réacteurs en service, elle est le pays qui en construit aujourd’hui le plus, puisque 20 nouveaux réacteurs sont en chantier – suivie par la Russie (9), la Corée du Sud (6) et l’Inde (5). Et elle ne compte pas s’arrêter là : elle prévoit de multiplier par 6 sa production d’électricité nucléaire d’ici 2020 et de la tripler d’ici 2030. Pour l’instant, la Chine a principalement recours à l’importation, mais elle est en train d’acquérir la technologie de base pour produire elle-même l’ensemble de ses centrales. La Russie lui fournit aussi une aide déterminante en vue d’acquérir la maîtrise totale du cycle de production d’uranium.
Avec ses 18 réacteurs en service, dont 16 « faits maison », et ses 5 en construction, l’Inde a développé sa propre technologie nucléaire, en grande partie parce qu’elle a refusé d’être l’otage de la mafia du Traité de non-prolifération (TNP). Détenant par ailleurs l’une des plus importante réserve mondiale de thorium (25%), l’Inde a pris les devants dans le développement de cette filière nucléaire.
Malgré les accords de 2008 avec les Etats-Unis, qui ont levé les contraintes pesant sur un éventuel partenariat dans le nucléaire civil, les échanges dans ce domaine entre les deux pays n’ont pas suivi et l’opposition de l’administration Obama au nucléaire ne risque pas de changer la donne. Par contre, la Russie et la Chine ont nettement accru leur coopération nucléaire avec la troisième grande puissance eurasiatique.
La Corée du sud à l’offensive
En décembre dernier, la Corée du sud a décroché un contrat de 40 milliards de dollars avec les Emirats arabes unis pour la construction de quatre centrales nucléaires, damant le pion aux consortiums français et américano-japonais. Ainsi, pour la plus grande fierté de son peuple, la Corée a définitivement signé son entrée dans le cercle des nations développées. Elle annonça de surcroît qu’elle exporterait 80 réacteurs d’ici 2030, démontrant ainsi le rôle que joue l’énergie nucléaire pour faire d’un pays sous-développé une nation industrielle moderne.
- Renaissance nucléaire en Eurasie
En effet, pour ce pays dévasté, il y a 50 ans encore, par le colonialisme et la guerre, l’énergie nucléaire a joué un rôle central dans son développement. En 1958, un accord signé avec les Etats-Unis mettait à l’ordre du jour le développement de ce type d’énergie, permettant non seulement de produire de l’électricité en abondance, mais qui servit aussi, comme l’a souligné l’ancien commissaire coréen à l’énergie atomique, Chang Kun Lee, de locomotive scientifique pour l’ensemble de l’économie et de l’enseignement, puisque se situant aux frontières de la science.
Le marché emporté dans le Golfe ne fut pas une surprise pour autant : la Corée a plus de 30 ans d’expérience dans la construction et l’exploitation de centrales nucléaires, et elle a le taux de fonctionnement le plus élevé de tous les parcs nucléaires du monde : 93,3% ! Elle a battu tous ses concurrents car elle est maintenant capable de construire plus vite et moins cher qu’eux.
La Corée est également à la pointe dans le nucléaire de l’avenir : elle a son propre réacteur expérimental pour la fusion, sur lequel sont formés de nombreux scientifiques et ingénieurs, dans le cadre du projet international ITER. Elle travaille aussi à la conception du premier prototype commercial d’une centrale de fusion.
Son objectif est d’atteindre l’indépendance énergétique d’ici 2015 au plus tard, comme l’a annoncé son Président à son retour de Copenhague, par la maîtrise du cycle de production et de retraitement des combustibles nucléaires.
Le déclin transatlantique
La destruction de l’industrie nucléaire américaine et européenne ainsi que la démoralisation des peuples et de leurs dirigeants ne sont pas sans conséquence pour la renaissance économique et nucléaire que le monde doit réaliser.
James Muckerheide, le responsable du nucléaire pour l’Etat du Massachusetts, a calculé que pour atteindre un niveau de vie décent pour tous d’ici 2050, il faudrait produire 6000 réacteurs nucléaires, tout en consacrant les ressources nécessaires pour que d’ici là, l’énergie de fusion devienne réalité.
Mais aujourd’hui, la capacité de production annuelle mondiale n’excède pas 30 réacteurs. Et le quasi-gel des constructions et l’abandon de certains programmes d’avenir en Amérique du nord et en Europe nous font perdre les ressources technologiques, scientifiques, industrielles et humaines nécessaires à une telle entreprise. Ces ressources de haut niveau, constituées au fil des ans, ne se recréent pas en un jour.
Même la France, l’un des pionniers et leaders mondiaux dans ce domaine, le pays dont 78% de l’électricité est nucléaire, ne construit actuellement qu’une centrale, poussant à bout un parc vieillissant de 58 réacteurs. Semblant perdre la tête, le gouvernement français va même jusqu’à subventionner l’installation de panneaux solaires en garantissant un prix d’achat de 58 centimes le kilowatt/heure, alors que l’électricité nucléaire ne lui en coûte que 3 !
Le plus fou de tous reste l’Union européenne : elle exige des ex-pays soviétiques qu’ils ferment leurs vieilles centrales nucléaires de conception russe pour pouvoir rejoindre l’Union ! Si la construction de nouvelles centrales est envisagée « à terme », les fermetures sont immédiates. C’est le cas de la Lituanie, qui a fermé le 31 décembre dernier sa seule centrale d’Ignalina. Depuis l’accident de Tchernobyl, rien ne fut entrepris pour remplacer les centrales du même type (filière graphite-gaz), entre autres celle de Lituanie. Pour l’heure, la fermeture de la centrale lituanienne, qui produisait 70% de l’électricité du pays, a brutalement livré le pays au bon vouloir de la Russie pour sa survie énergétique immédiate.
C’est un immense chantier qui nous attend, et dont dépend la survie de la société humaine. L’énergie nucléaire est la clé de voûte du monde de demain, et le monde transpacifique nous montre la voie.
Marsha Freeman et Ramtanu Maitra ont contribué à cet article.
****************