Commentaire de brieli67
sur Histoires croisées de l'Europe : Napoléon et l'Allemagne (1)


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brieli67 1er avril 2010 00:22

Traduction du texte de Goethe ” Chants guerriers et haine nationaliste” (”Kriegslieder und Nationalhass”)

Dans une conversation avec Johann Peter Eckermann, en date du 14 mars 1830, Goethe explique son refus de participer en 1813 à la campagne haineuse de nombreux intellectuels allemands dirigée contre la France et qui accompagnait le soulèvement armé contre les troupes de Napoléon.

“On vous a reproché”, fis-je remarquer un peu imprudemment, ( C’est Eckermann qui parle) ” que durant cette glorieuse période, vous n’ayez pas, vous aussi, pris les armes, ou, du moins, usé de votre influence comme poète.

“Laissons cela, mon cher,” répliqua Goethe. Nous vivons dans un monde absurde qui ne sait ce qu’il veut et qu’il vaut mieux laisser s’exprimer et laisser faire. Comment aurais-je pu prendre les armes, alors que je n’éprouvais pas de haine ! Et comment aurais-je pu haïr, alors que ma jeunesse était derrière moi ! Si j’avais vécu ces évènements à l’âge de vingt ans, alors oui, je n’aurais pas été le dernier. Mais c’est lorsque j’eus dépassé la soixantaine, que tout cela se produisit.

Ecrire des chants guerriers et resté calfeutré dans sa chambre, pensez vous vraiment que cela convenait à ma nature ? Dans le bivouac, là où la nuit on entend hennir les chevaux des avant-postes ennemis, oui, cela m’aurait convenu. Mais ce ne fut ni ma vie, ni mon affaire, plutôt celle de Theodor Körner. Ses chants guerriers s’accordent parfaitement avec sa personnalité. Mais chez moi, qui n’ai ni une nature guerrière, ni l’esprit guerrier, des chants de guerre n’auraient été qu’un masque incongru. Dans mes oeuvres poétiques, je n’ai jamais simulé. Ce que je n’ai pas vécu et qui ne me concernait ni me touchait directement, je ne l’ai ni écrit dans mes oeuvres, ni exprimé oralement. Je n’ai écrit des poèmes d’amour que lorsque j’étais amoureux.Comment aurais-je pu écrire des poèmes de haine, sans éprouver de la haine ? Et soit dit entre nous, je ne haïssais pas les Français, encore que j’aie remercié Dieu, lorsque nous en fûmes débarrassés. Comment aurais-je pu haïr une nation qui compte parmi les plus cultivées de la terre et à laquelle je suis redevable d’une si grande part de ma propre culture ?

De toute façon, poursuivit Goethe, la haine nationaliste est chose bien singulière. C’est aux degrés les plus bas de la culture que vous la trouverez empreinte de la plus grande force et de la plus grande virulence. Mais il y a un niveau, où cette haine disparaît totalement, où l’on se situe en quelque sorte au-dessus des nations, et où l’on ressent un bonheur ou un malheur qu’éprouve le peuple voisin, comme s’ ils concernaient notre propre peuple. Ce niveau de culture fut conforme à ma nature et et c’est à ce niveau que je m’étais fermement placé avant d’avoir atteint mes soixante ans.”

“Voilà un homme !” pour reprendre l’ exclamation prêtée à Napoléon, lors de leur rencontre ! N’est-ce pas cela que l’on appelle la “grandeur d’âme” ? Goethe était déjà bel et bien “un citoyen du monde”… Et combien paraissent mesquines et viles les basses manoeuvres politiciennes et populistes qui tentent de manipuler le sentiment national de nos concitoyens, presque deux siècles après la disparition de l ’auteur de “Faust” !


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