Commentaire de easy
sur Carnet de route. Thaïlande1. Départ et dépendances
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Zemmour et Naulleau se sentiraient probablement humiliés d’avoir eu à lire ça.
Moi j’aime bien.
Je retrouve dans cet exercice d’Ariane, ce qui fait la féminité.
Lors d’une sortie, au cinoche, à l’opéra, au restau, les hommes, les femmes, tout ça se tient et on ne peut rien dire de spécifique sur les sexes. Mais en dehors de ces moment de parades sociales où la fusion prévaut, les hommes et les femmes ont des comportements qui se distinguent suffisamment pour me permettre d’en parler.
L’homme va le plus souvent vers la position de blasé (qui inclut le savoir, l’expérience voire la sagesse, donc, in fine, l’autorité et la domination, de soi et des autres, si on le décide). La femme se retrouve le plus souvent en position de spontanéité (qui inclut la découverte, la fraîcheur, l’innocence, la naïveté, l’étonnement voire la fascination, donc, in fine, l’admiration, la reconnaissance et la soumission. Et là, ce n’est pas décidé, ce n’est pas maîtrisé)
Ce qu’en tant que garçon je sais, c’est que notre position de maître, nous la surjouons. Ca me paraît logique puisque par essence masculine, nous sommes censés maîtriser, tout maîtriser. Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que nous maîtrisions la maîtrise.
Ce que je sais moins c’est si les filles surjouent leur innocence. Mais je suis porté à croire que ne se posant pas en maîtresses (c’est bien trop péjoratif dans l’acception la plus courante) elles ne cherchent réellement pas à maîtriser.
On croit pourtant voir deux cas différents entre une Blanche qui cherche à tout ranger et une Ariane qui se suffit de mise en paquet.
C’est que la position de soumission de la femme (on aura compris que je parle de soumission à toute chose pas forcément aux messieurs et à leurs avatars) est bien entendu dangereuse. Il arrive donc fréquemment à la femme de refuser cette dépendance et d’essayer d’y échapper en contrôlant davantage les choses, d’où, par exemple, les soins que Blanche (prénom donné pour faire valoir l’innocence) accorde à un hyper rangement.
La femme qui n’a pas trop peur de son faible contrôle sur les choses, cette femme là, sera bien plus proche d’une Betty de 37°2 que de la Blanche du récit d’Ariane. Elle sera plutôt comme Ariane.
Je pose que ce n’est que pour la maternité que la femme développerait un certain contrôle des choses et refuserait sa dépendance habituelle à elles (c’est peut-être pour ça qu’elles exigent alors des fraises en hiver)
En dehors de la maternité et du maternage, la femme non peureuse, non angoissée serait comme cette Ariane qui s’émerveille du goût d’une mangue mangée sur place.
Jamais, sauf un cuisinier qui cherche à se faire valoir, un homme ne dira s’extasier sur le goût d’une mangue qu’il aurait redécouverte à la manger sur place. Il ferait volontiers le coup pour du vin ou du fromage car ce sont des produits travaillés, exigeants de maîtrise, mais pas pour un banal fruit d’étal quelconque.
Restons sur cette mangue pour bien saisir la différence homme./.femme.
La mangue sur laquelle Ariane nous raconte s’être extasiée, est une mangue banale, achetée sur un étal quelconque de Bangkok, sans la moindre expertise de la part de celle qui la déguste et sans expertise spécialement annoncée de la part de la vendeuse. Il n’y a aucune expertise dans cette histoire. Pas l’ombre d’un 007.
Si un homme lance des Oh et des Ah au sujet d’un fruit, d’un café, d’un cacao, d’un raisin, il sera ou il aura toujours préalablement posé que dans le circuit, de la production à la dégustation, il y aura eu une somme de maîtrises. Et ce que le dégustateur, alors expert ou grand amateur, expose alors à son auditoire, ce n’est pas tant le goût du fruit que son talent pour en parler.
Ariane dit explicitement être incapable de trouver des mots pour dire ses sensations gustatives. Et bien s’il prenait à un homme de parler du goût d’un fruit, il posera tant de mots dessus qu’on aura l’impression que c’est lui qui l’a fait, que c’est lui qui l’a inventé, que c’est lui le Créateur.
Marrant, vraiment marrant. Ya justement Brieli, qui nous livre, comme s’il en était un expert, un passage d’une lettre de Flaubert à son amie Louise Colet.
Or, ce qui ressort de ce passage au gland du tigre, c’est que Flaubert est expert. Il faut être sacrément fouilleur de toutes choses pour savoir dire autant de choses sur le gland du tigre et sur la déchirure de la tigresse ! Flaubert n’est pas émerveillé par les choses, il les sait, il en est blasé.
Mais ce n’est pas tout.
Citons justement Louise Colet dans une de ses oeuvres.
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Elle dit au cocher de la conduire au cimetière du Père-Lachaise. La voiture roula rapidement ; l’air, le mouvement, la pensée toujours présente de Frédéric chassaient toute impression funèbre de l’esprit de Diane. Elle allait prier sur la tombe de sa grand-mère, mais son amant serait près d’elle ; ce coeur qui l’adorait serait là vivant près de cet autre coeur glacé qui l’avait aimée. Malgré le souvenir tendre qu’elle gardait à son aïeule, malgré l’image si récente de son agonie, la mort en cet instant, par un miracle de l’amour, était vaincue par la vie ; la douleur et le deuil, par la radieuse ivresse du bonheur pressenti. Que de trésors de consolations la Providence a mis dans les coeurs épris !
Lorsque Diane arriva au cimetière, la neige avait cessé de tomber ; sa couche épaisse, durcie et brillantée par un froid vif, couvrait la terre d’un linceul uniforme. Ce vaste enclos semé de sépultures était désert ; les monuments funéraires, couverts d’un blanc manteau de frimas, ressemblaient à des spectres qui à cette heure matinale, s’étaient levés de leurs tombeaux et erraient dans la froide enceinte sans craindre la rencontre des vivants.
Diane, accompagnée par un gardien, fut longtemps avant de pouvoir reconnaître le lieu réservé où avait été déposée sa grand’mère ; le tombeau n’était point terminé : un treillis en bois et des fleurs maintenant couvertes par la neige occupaient la place destinée au marbre du monument. Diane s’agenouilla ; Frédéric n’était pas encore arrivé. Le gardien s’éloigna et la laissa seule. Couverte de ses vêtements de deuil, immobile sur la terre glacée, la tête penchée sur sa poitrine en signe de recueillement, sa sombre silhouette se détachait telle qu’une statue de marbre noir sur le fond blanc du sol. Elle avait fermé les yeux comme pour échapper à toute distraction extérieure : elle s’efforçait même, mais en vain, d’éloigner l’image de Frédéric et d’élever tout entière son âme vers l’âme de sa grand’mère, qui, pensait-elle, se préoccupait dans un autre monde des sentiments qu’elle lui gardait. Elle se rappelait avec attendrissement les soins maternels dont elle avait entouré son enfance, sa jeunesse écoulée auprès d’elle, si sereine ; elle revoyait Valcy, ses frais paysages, son joli château ; elle replaçait dans ce salon qui s’ouvrait sur le parterre sa grand’mère élégante, aimable et bonne, et qui lui avait fait de si belles, de si insouciantes années ; puis ses souvenirs se reportaient à ce fatal mariage consenti un peu légèrement par l’aïeule mondaine, mais sur lequel elle avait été la première à gémir et à pleurer. Diane s’était vue consolée et soutenue par sa tendresse durant ses années d’épreuve, et elle ne l’avait jamais accusée. Dans cette âme un peu faible, mais si affectueusement dévouée, elle avait épanché toutes les douleurs et toutes les joies de sa vie. Il y a huit jours encore, elle lui faisait l’aveu de son amour pour Frédéric, et maintenant cette âme n’était plus là pour l’entendre ! Diane cherchait en vain à se remettre en communication avec elle ; ses aspirations les plus ardentes ne pouvaient la rappeler, ses sanglots n’éveillaient plus la voix aimée qui s’était éteinte dans la mort.
Quel désespoir dans l’impuissance de celui qui survit et qui voudrait en vain ranimer, ne fût-ce qu’un instant, l’être aimé qui n’est plus ! Nos désirs, nos larmes sont superflus ; la mort est inerte et muette, et semble railler par son silence éternel l’illusion de la douleur. Alors la douceur se rattache aux derniers échos de cette vie disparue sur laquelle on pleure.
C’est ainsi que Diane, agenouillée sur la tombe de son aïeule, pensait à ses suprêmes paroles, à cette nuit d’agonie où elle l’avait entendue la bénir et lui dire : « Sois heureuse, ma fille, heureuse avec celui qui t’aime ; je vais près de Dieu intercéder pour votre bonheur. » Ces paroles, les dernières sorties d’une bouche vénérée avaient été pour Diane une sorte de consécration de son amour ; et maintenant que l’heure approchait où elle allait s’abandonner tout entière à cet amour, son âme implorait, pieuse et attendrie, l’appui de cette âme protectrice qui veillait sur elle près de Dieu.
Perdue dans une sorte d’aspiration extatique, elle avait oublié jusqu’au lieu où elle se trouvait ; elle semblait se dérober par degrés aux sensations physiques : le froid l’avait insensiblement engourdie ; elle était pâle, glacée et immobile comme si la mort se fût emparée d’elle. ............
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Allez-y les amis, vérifiez. Chaque ligne de cette pourtant poétesse, atteste qu’elle est soumise aux choses, que les choses s’imposent à elle et qu’elle les éprouve à défaut de les avoir créées. Nulle part elle ne ressort comme savante. Certes, elle raconte très bien et elle a adopté le verbe masculin, mais le fond dénote de la plus parfaite féminité en ce que nulle part elle ne prétend savoir et encore moins déjà tout savoir.
Se pose le problème suivant :
Il est impossible ou plutôt inadmissible, ridicule, pour un homme, de sortir de cette position de blasé, de se dire épaté par le fil à couper le beurre. Alors qu’il est davantage possible voire révolutionnaire, pour une femme, de quitter sa position naturelle pour marcher sur les plates bandes des hommes, pour leur disputer la maîtrise.
Tous les hommes d’aujourd’hui ont eu à constater qu’à l’école, leurs camarades filles apprenaient et savaient donc exactement autant de choses qu’eux. A cause de Jules Ferry, la position de maître du garçon est désormais très discutable. Concernant la maîtrise (de soi, des sentiments, et des autres) le garçon reste naturellement expert. Mais concernant le bête savoir, les filles en savent exactement autant.
Avoir réellement le sens et le goût de la maîtrise, mais ne pas avoir l’avantage du savoir, c’est castrant, ça fout les boules et ça rend agressif envers les filles qui la ramènent et qui semblent peu enclines à se soumettre pour rien, sans raison objective, aux garçons.
Alors chère Ariane, pour la mangue toute ordinaire, pour les pieds nus, ne changez surtout rien. Continuez à offrir aux autres votre ridicule. Continuez d’être volontairement ridicule. C’est une offre capitale pour l’humanité et déjà pour le genre féminin.