Commentaire de Pierre-Marie Baty
sur NDE/Near Death Experiences : du nouveau !


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Pierre-Marie Baty 8 décembre 2011 01:59

J’ai eu un accident de voiture, une collision frontale. On a dû me désincarcérer. J’ai violemment mangé le volant dans les mâchoires, et le moteur m’est revenu dans les jambes. C’était un soir de février. Je me souviens des dernières secondes avant l’accident comme au ralenti, une sorte de ralenti de plus en plus lent - j’imagine que c’était lié aux doses massives d’adrénaline que mon cerveau était en train de produire. La voiture qui arrive en face, et l’impossibilité de l’éviter. Le temps se divise alors en une succession d’instants de moins en moins étendus et paradoxalement de plus en plus longs. Comme une asymptote.

Ensuite, extinction des feux et blackout pendant un temps indéfini. Je n’ai aucun souvenir du choc. Mon esprit se rallume pendant la désincarcération proprement dite : je constate que je me trouve à l’extérieur de mon véhicule, comme en suspension arrêtée dans les airs. C’est assez étrange. Je me dis que je vais tomber, mais en même temps je sais que non. J’essaie de bouger, et je vois que je peux me déplacer dans les airs sans effort, il me suffit de penser à un angle de vue sur la scène pour instantanément y être. Au départ, je ne m’en rends pas bien compte parce que je suis assez perturbé par la scène que je découvre : ma voiture comme passée au compacteur, et des gens autour qui s’affairent avec des outils. Je perçois comme un bruit strident de scie électrique, mais c’est assez lointain en fait. Je baigne dans une sorte de silence ouaté. J’entends les cris comme à travers une sourdine. Et je constate que la personne qui a la gueule en sang comme dans les films américains avec la mâchoire dans une configuration bizarre, c’est moi. Et je me dis instantanément que je suis mort. Ca y est. « Ca, c’est fait. » comme on dit après une catastrophe.

Je commence à me dire que c’est assez étrange, surtout que cette personne dans la voiture je la regarde comme un inconnu, comme un autre. On a l’habitude de se voir dans un miroir, mais la synchronicité des mouvements entre nous et notre reflet fait qu’il est assez facile de réaliser que le reflet et nous sommes indiscutablement la même personne. Mais dans ce cas de figure, c’est comme de se découvrir sur une vidéo. C’est aussi perturbant. Sauf que vous êtes aussi le cinéaste, et que tous les plans sont possibles - et même simultanément. C’est encore plus perturbant.

C’est cet aspect des choses qui est le plus déroutant au début : la faculté d’ubiquité. On est littéralement partout où on veut être, et au même moment si on en a envie. Par exemple, j’étais derrière ce pompier accroupi auprès de ma portière qui bricolait je ne sais quoi avec je ne sais quel outil mais j’étais en même temps en train de survoler à vingt mètres de hauteur cette ambulance Citroën qui arrivait sur la route et dont le bruit des sirènes avait poussé ma curiosité à aller la voir. Et j’étais aussi dans ce garage que je venais de quitter il y a quelques minutes, où la personne que je venais de voir rangeait les sièges. Et j’étais aussi incarcéré dans mon fauteuil, le volant entre le palais et la gorge, et le fémur plié.

Je ressentais surtout de l’étrangeté. La sérénité n’est pas venue tout de suite, loin de là. Et j’ai réalisé que je ne souffrais pas et j’ai aussitôt compris que c’est parce que j’avais décidé de ne plus souffrir. Comme si j’avais pris acte du signal de la souffrance, et que je lui avais signifié que je l’avais bien comprise, qu’il n’était plus nécessaire qu’elle s’impose à mon esprit. J’ai d’ailleurs gardé cette capacité à faire abstraction de la souffrance depuis lors. Désormais quand quelque chose me cause une violente douleur physique, arrive un point où j’éteins l’interrupteur et je ne ressens plus rien. Mais ce n’est pas instantané, et avant que je le fasse, je ressens toujours une sensation désagréable. Et qui plus est, ça peut être dangereux : cette année je me suis causé des brûlures chimiques en montant un mur de parpaings et en brassant le ciment à mains nues et sans gants - oh ça vous pouvez rigoler -, parce que je suis un gros con d’autodidacte qui ne prend jamais conseil avant d’entreprendre un truc qu’il n’a jamais fait avant et qui ne lit pas les précautions d’usage. Je ne m’étais pas rendu compte que le ciment avait déjà perforé mes mains. Je l’ai vu quand j’ai réalisé que ma peau était anormalement tendue. Rien d’étonnant : il y avait des trous dedans ! Enfin, quoi qu’il en soit, je n’avais aucune expérience d’une quelconque technique de yoga auparavant, j’ai découvert cette faculté « sur le tas » et c’est convaincant : la douleur n’est insupportable que tant qu’on est convaincu que nous n’avons pas le choix et qu’il faut souffrir. C’est faux.

Ubiquité, maîtrise de la souffrance - et c’est marrant d’ailleurs, parce qu’alors que je flottais où mon esprit voulait bien se poser, je ressentais les signaux corporels de mon corps dans la voiture comme s’ils ne m’étaient pas adressés. Je « recevais » les signaux comme on reçoit des factures par la poste au nom de quelqu’un d’autre. On sait que c’est une mauvaise nouvelle, mais on s’en fout, elle ne nous concerne pas. Elle concerne seulement l’amas de matière organique sanguinolente qui est là, et tout compte fait, c’est bien peu de chose.

Je me souviens que le ciel avait une couleur bizarre, orange. Mais je ne sais pas trop si c’est le ciel du lieu de l’accident ou l’un des autres ciels de l’un de ces autres endroits de ma connaissance où j’ai entrepris d’aller faire un tour voir ce qui s’y passait au même moment. Notez que ce ne fut pas un enchaînement de visites successives : je faisais tout cela au même moment. C’est presque impossible à se représenter (je dis presque à dessein).

Je me souviens aussi que j’ai pensé que ces gens qui s’agitaient autour des voitures me faisaient penser aux ouvriers de la fusée lunaire de Tintin quand ils découpent la porte de l’habitacle à la scie circulaire pour libérer les cosmonautes. Pourtant je ne me souviens pas d’avoir vu précisément de scie circulaire, mais je me souviens bien que cette comparaison s’est imposée à mon esprit.

Ensuite, profitant d’une sorte de « temps mort » dans ce qui était en train de m’arriver (aucun ange à l’horizon, pas de lumière blanche, du moins pas encore...) je me suis mis, étant d’un naturel curieux et expérimentateur, à essayer de juxtaposer plusieurs points de vue en ayant pleine conscience de chacun d’eux. Je m’attendais à faire l’expérience d’une sorte de vision kaléidoscopique ou pire, une sorte de « bouquet TV » mais en fait il est apparu qu’être à plusieurs endroits à la fois était aussi naturel qu’être au même. C’est assez révolutionnaire de le penser.

Comme par exemple en temps normal il ne vous paraît pas naturel d’être à la fois là où vous êtes et dans la pièce à côté, en fait en ces moments ça nous paraît aussi naturel que le fait d’être assis sur votre fauteuil à la fois sur votre fesse gauche et sur votre fesse droite : c’est le même lieu pour vous au final. Et en relisant cette comparaison je me rends compte que c’est exactement ça : il est absurde de vouloir changer d’endroit puisqu’il n’y en a qu’un. Il n’y a pas plusieurs lieux, il n’y a que des points de vue où nous n’avons pas encore réalisé que nous étions déjà. La plaisanterie « va voir là-bas si j’y suis » ne croit pas si bien dire !

Alors effectivement aussi, on voit très bien, on entend très bien, on a une excellente acuité visuelle, auditive, olfactive, tactile : on ressent même des sensations qui ne sont pas les nôtres. On peut choisir de voir ce que voit quelqu’un d’autre, ou de sentir ce qu’il sent. On a accès à toutes les données de la situation, tous les points de vue, toutes les expériences - du moment qu’on CHOISISSE d’en faire l’expérience.

Je fais une image que seuls les informaticiens comprendront, mais qui illustre parfaitement ce qu’on ressent à ces moments-là :

root@universe   ̴ # _

J’ai aussi essayé de voir si je ne pourrais pas accélérer les choses (parce que ça traînait en longueur cette désincarcération), et là, ce fut effrayant : je me suis retrouvé INSTANTANEMENT enfourné dans l’ambulance, enfin plutôt mon corps, et moi autour de l’ambulance, dessus, dessous, devant, derrière, et surtout en train de voleter comme un oisillon autour de la tête de ce pompier penché qui disait à mon corps étendu d’une voix tonitruante : « vous m’entendez M. Baty ? » et qui m’expliquait les choses comme à un demeuré dur d’oreille... J’avais envie de lui seriner dans les tympans : « mais fous-moi donc la paix... » smiley

Instantanément projeté dans le futur, j’ai choisi d’arrêter tout de suite l’expérience et de faire pause et retour arrière, et pof me revoilà en arrière en train d’être installé sur le brancard (et donc à l’extérieur de l’ambulance, juste désincarcéré) - tout en étant spectateur de la scène, très ennuyeuse au final (alors qu’au même moment j’étais aussi dans l’ambulance, j’étais cette fois à deux « temps » différents), et j’en venais à me demander ce que je foutais là, alors qu’il était évident que j’aurais pu parcourir le vaste monde et découvrir ses merveilles en l’espace d’une pensée. Ce que je fis sûrement d’ailleurs, mais je ne m’en souviens très mal. Je sais que j’ai fait un peu de tourisme, mais je ne sais ni où ni pourquoi, et je n’ai pas dû aller bien loin. Quelques appréhensions rémanentes, sans doute.

Bref, non seulement les lieux se superposaient, comme si toutes les distances étaient abolies et l’univers se résumait à un point, mais aussi le temps : selon ce que je choisisse de voir, de sentir, d’entendre ou de faire l’expérience, j’étais ici, ou bien là, ou bien aux deux endroits à la fois, soit maintenant, soit avant, soit après ; je pouvais m’y rendre à l’instant présent qui avait eu cours hier, comme je pouvais choisir de « visiter » l’un des futurs probables de chaque événement.

Je dis l’un des futurs probables parce que dorénavant pour moi le temps a perdu (et pour de bon !) son caractère linéaire. Le temps c’est une collection d’instants présent empilés les uns sur les autres, en quelque sorte « épinglés ensemble », et chaque instant en supporte une infinité d’autres, un peu comme une pyramide inversée, ou un arbre généalogique que l’on déploie ou que l’on replie à loisir. Il n’y a qu’un seul temps, c’est le présent. Par contre, il y a des choix, et des conséquences. A vrai dire, il n’y a même que ça. Le présent d’hier est le même que celui d’aujourd’hui, hier est en train de se décider aujourd’hui, et tous les demain possibles, dont (mais sans restriction à) celui que nous choisirons de vivre, se décident en cet instant également. C’est en tout cas comme ça que je l’ai compris.

Les médecins m’ont dit plus tard que mon coma n’avait pas excédé « quelques minutes ». Je ne sais absolument pas ce qu’ils entendent par « quelques minutes », deux ou cinquante-neuf, j’imagine que la vérité est quelque part entre ces deux valeurs. Mais je peux vous assurer que quand on le vit, on a tout le temps nécessaire à partir du moment où on réalise « comment ça marche ». On va-et-vient à loisir dans l’espace et dans le temps. Dans toutes les directions. Passé, futur, et latéralement.

Je pense que ce fut une chance pour moi de comprendre ça rapidement. Ca m’a permis de faire ces expériences. Il est probable que je n’aurais pas eu la curiosité de les faire sinon. Je pense que quand on est projeté là-dedans, on est un peu comme en roue libre au début : tellement habitué à notre temps linéaire et à notre singularité, on se réveille à UN endroit précis et le temps a l’air (A L’AIR) de s’écouler normalement. Donc, on vit (on CHOISIT de vivre) comme d’habitude, et ainsi crée-t-on notre réalité. Et on finit par passer à côté d’une expérience extraordinaire en la vivant de manière complètement linéaire. Je pense que c’est parce qu’inconsciemment on CHOISIT que ça se passe comme ça. Par habitude et aussi parce que c’est culturel. Mais il suffit de réaliser que ça peut se passer autrement et ça devient assez génial.

Les possibilités sont infinies. Il aurait suffi que je choisisse de faire l’expérience de quelque chose, et pouf je l’aurais reçue instantanément, j’en suis convaincu. J’aurais sans doute pu m’amuser à faire le poltergeist facétieux, mais ça n’avait aucun intérêt en face de l’impeccable sérénité de l’esprit qu’il comprend qu’il n’a plus AUCUN besoin. Pas même celui de faire un miracle.

J’aurais pu choisir de créer un halo de lumière convaincant, et il serait apparu. Et j’aurais sans doute eu envie de m’y diriger. J’aurais pu choisir de voir apparaître le Christ, Bouddha, Ctulhu ou le Grand Schtroumpf, et ils seraient apparus là devant moi aussitôt. J’aurais pu choisir de m’interroger sur mes grands-parents disparus, et cette seule pensée aurait suffi à me projeter en leur compagnie. Ils m’auraient parlé, ou plutôt je n’aurais pas eu conscience de créer leurs paroles, et je leur aurais répondu. Ce petit jeu aurait pu durer jusqu’à ce que je me décide à choisir de plonger dans cette paix qui semblait me tendre les bras, et j’aurais alors compris que tous ces autres êtres n’étaient que d’autres parties de moi-même, d’autres alter ego, la seule chose qui soit, l’entité universelle dans laquelle mon instanciation mortelle était sur le point de se diluer.

Je me souviens avoir lu par la suite quelques articles qui parlaient de NDE, et j’ai lu qu’un petit américain ayant vécu une NDE avait écrit un bouquin dans lequel il décrivait qu’il avait vu Jésus qui n’arrêtait pas de monter et descendre du ciel sur un ascenseur et qu’au paradis il y avait des poneys arc-en-ciel (ou quelque chose d’approchant). J’ai franchement rigolé et pour vous dire la vérité je rigole encore en m’imaginant votre tête si je vous dis que je trouve son récit très crédible, car je crois qu’il a raison, il y a bien des poneys arc-en-ciel au paradis. Et bien d’autres choses encore !

Le truc très désagréable qui mit fin à cette expérience, fut que je me suis retrouvé happé vers l’ambulance au moment même où (toujours en compagnie de cet horrible pompier qui m’invectivait) un infirmier ou je ne sais quoi injectait je ne sais quelle saloperie dans mon corps étendu. Et c’était glacial. Métallique. Je savais que ça allait mettre fin à tout et que j’allais me retrouver à nouveau prisonnier de ce corps souffrant (sur ce point j’avais tort, car j’ai pu emmener l’interrupteur avec moi. Malin le lapin smiley) Et pendant que j’étais aspiré vers ce corps, à peu près comme un aspirateur aspire de la fumée, je m’évertuais à tourner autour de la tête de mon « tortionnaire » en lui hurlant (croyais-je) de me laisser tranquille, que je ne voulais pas de son aide, que j’étais très bien là où j’étais et qu’il serait bien mieux inspiré de se mêler de ses affaires.

A un moment précis je me suis dit (mais pourquoi me le suis-je dit ?) qu’il était trop fort et que je n’avais PLUS LE CHOIX. Et c’est à ce moment précis que j’ai réintégré instantanément mon corps. (relisez bien cette phrase)

Ensuite, nouveau blackout et je me suis réveillé à l’hôpital après les opérations de la hanche et de la mâchoire. En réa. Ma mère souriait en me tenant la main. Elle avait l’air désolé. Je l’ai vue dans un brouillard nauséeux pendant deux secondes, et puis j’ai replongé.

Je me suis réveillé définitivement cette fois le lendemain, dans une chambre du CHU. Avec une amnésie complète qui portait sur une semaine avant l’accident, jusqu’aux dernières secondes avant celui-ci. Je ne savais même plus où j’habitais : cela faisait 4 ans que j’habitais dans une ville, et je croyais à nouveau habiter dans celle d’avant. J’ai reconstitué ma mémoire petit à petit, jusqu’à aujourd’hui.

Voilà mon expérience.

Je pense que nous sommes la même entité collective, mais nous l’avons oublié.
Et quand nous mourons, nous rentrons à la maison.


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